maman et son enfant qui courent dans un champ
Enfants extraordinaires

Seule, on va plus vite. Vraiment ?

Axelle Huber 12 juin 2023
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Nathalie, 37 ans, est la mère de deux garçons : Liam deux ans et Thomas, quatre ans, ce dernier atteint d’un trouble sévère du spectre de l’autisme (TSA). Le soir du diagnostic, il y a un an, elle a découvert devant sa porte, une paire de baskets neuves, du 38. Elle n’a jamais su qui les avait offertes et s’est réjouie, reconnaissante devant cette générosité. Les baskets sont brodées sur le côté, très élégantes. Souples et confortables avec un cuir et des matériaux de qualité. Des soudures et un collage impeccables. Éthiques et écologiques, de nos jours cela va de soi. Mais surtout, les baskets sont dotées d’une lame de carbone dans la semelle et des coussins d’air qui permettent d’aller vite, très très vite.

Nathalie a chaussé ces nouvelles baskets.

Au début elle a eu quelques ampoules ; ça piquait, ça frottait, ça faisait mal parfois. Souvent même. Et puis, elle s’est adaptée à elles. Elles lui ont permis de “faire face” à l’adversité, de s’adapter à la situation de la maladie, de la différence, d’aller chercher des idées, des ressources, de frapper à la porte de droite comme de gauche pour trouver de l’aide. Elle a pris son courage à deux mains et s’est battue comme une maman lionne pour ses petits, et leur offrir le meilleur. Elle est devenue active, méthodique, organisée. Et le soir, Nathalie se couchait épuisée, débordante d’émotions et fière aussi de ce combat mené.

Aujourd’hui, Thomas a beaucoup progressé et Nathalie est heureuse de la structure qui l’accueille.

La lutte est en bonne partie derrière elle. 

Les ampoules ont disparu, laissant place à de petites cicatrices. Les pieds se sont habitués aux frottements en créant une nouvelle peau. Nathalie a envie de voler avec ces nouvelles baskets pour rattraper le temps “perdu”, que ce soit celui de la maladie ou ce temps où il lui semble aujourd’hui qu’elle avait des œillères devant les yeux. Elle les adore ces nouvelles baskets super chouettes qui font aller vite, être et faire plus de choses. Son appétit de vivre en plénitude est immense. 

Oh, elles ne sont pas du tout un problème en soi, ces nouvelles baskets, bien au contraire. Le souci, c’est que ses proches, eux, n’en n’ont pas chaussé. Ils sont restés avec leurs vieilles paires. Alors, Nathalie a tenté de réenfiler ses anciennes chaussures, celles de la vie d’avant, pour aller courir avec eux. Seulement voilà, elle n’arrive plus à les mettre. Elles sont devenues trop petites, inadaptées. Les nouvelles baskets sont aujourd’hui plus ajustées à son pied qui a grandi et s’est élargi.

Avec l’épreuve de l’aidance, Nathalie a changé.

Ses priorités ont évolué. Et elle s’est transformée aussi. À présent qu’elle a pris ses marques dans ces nouvelles habitudes, elle ne peut plus réenfiler ses baskets précédentes et revenir à sa vie d’avant.

Elle ne reconnaît plus les autres, ou plutôt ne se reconnaît plus dans les autres. Et ceux-ci ne la comprennent pas toujours. Ils ne sont pas allés aussi vite qu’elle. C’est difficile pour Nathalie qui se sent parfois isolée. Et cela l’est aussi pour les autres qui se sentent parfois perdus, démunis, et n’arrivent pas toujours à suivre son rythme.

Nathalie aimerait que son entourage ne reste pas ancré dans un modèle précédent et aille plus vite dans les projets et les actions du quotidien pour enchanter la vie. Quant à son entourage, il aimerait équiper les nouvelles baskets de freins pour qu’elle ralentisse. Parfois, Nathalie aimerait que son entourage devine aussi ses besoins, mais comme il n’est ni dans sa tête ni dans ses baskets, cela n’est pas possible.

C’est un peu comme si Nathalie avait franchi un pont pour passer sur l’autre rive, et que l’entourage était encore sur la première. 

Comment jeter un pont entre eux ? 

Nathalie a pris le temps de descendre dans sa “cabane” pour faire le point sur elle, se regarder, se retrouver, réinvestir sa vie. Elle a revisité ses priorités et pris le temps de discerner des fruits nés de son histoire de Fabuleuse aidante. Elle a pu décider de lâcher certaines choses qui faisaient sa vie d’avant. 

Nathalie n’a pas pris le temps de partager cela à ses proches, et a gardé beaucoup pour elle : ses nouvelles priorités, ses besoins, ses attentes. Et elle a traversé seule, avec ses nouvelles baskets qui vont très vite, le pont, laissant sur l’autre rive ses proches. Elle était certes heureuse de courir vite, mais son bonheur était incomplet de ne pas être suivie par ceux qu’elle aimait. Elle criait à son entourage qu’ils n’avaient qu’à mettre eux aussi de nouvelles baskets. Mais ceux-ci ne savaient où les trouver.

Un jour où Nathalie pleurait de se sentir ainsi incomprise et mal aimée, elle s’est dit qu’elle pouvait peut-être trouver des baskets super chouettes, similaires aux siennes, et en faire cadeau à ses proches. Nathalie a fait des recherches sur internet et a trouvé. 

Alors elle est sortie de son isolement et mutisme pour faire ce don précieux des baskets qui vont très vite : exprimer à son entourage proche ce qu’elle a traversé et ce qui l’habite aujourd’hui. 

Elle a pu dire à quel point elle s’épanouissait dans son nouveau travail, mettant en pratique ses qualités d’organisatrice très méthodique révélées par son expérience d’aidante. Comme elle avait besoin de soutien pour concilier cela avec sa vie d’aidante. Elle a pu nommer des actions concrètes que son entourage pouvait mettre en place pour l’aider. Elle a pu parler de son besoin viscéral de s’engager pour le bien commun et que l’association qu’elle avait créée et présidait, ayant pour but de soutenir les familles d’enfants avec autisme, avait tant de sens. Elle a pu dire que là encore, elle avait besoin non seulement de se sentir soutenue et encouragée mais aussi d’actions tangibles.

Elle a pu exprimer qu’elle n’était pas une superwoman n’ayant besoin de personne, ce que son environnement proche avait tendance à penser. Elle a pu mettre des mots concrets sur ses attentes et entendre celles des autres.

L’entourage a essayé les nouvelles chaussures.

Ensemble, ils ont joué le jeu de s’écouter vraiment sans jugements intempestifs. Pas si facile ! Ensemble, ils ont pu, à tour de rôle, identifier, exprimer des émotions, clarifier des besoins, établir des demandes concrètes et négociables, et surtout agir pour qu’ils puissent cheminer ensemble, et en être heureux.

Nathalie a compris qu’avec ses nouvelles baskets, elle allait certes plus vite mais qu’ensemble, avec son entourage munis des mêmes chaussures, elle irait plus loin.

Et tous ensemble, avec Liam et Thomas, ils se sont mis à danser et chanter la vieille rengaine des Forbans : « Chante chante, danse et mets tes baskets ! »



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Cet article a été écrit par :
Axelle Huber

Coach et thérapeute, Axelle Huber accompagne aujourd’hui les personnes sur des enjeux de connaissance de soi, de compétences émotionnelles et relationnelles,  de développement personnel, et notamment dans des contextes de ruptures de vie comme peuvent l’être l’aidance ou le deuil. Elle donne des conférences et anime des ateliers sur ces sujets.

Elle est l’auteur de Si je ne peux plus marcher je courrai, Mame 2016 et  de Le deuil, une odyssée, mame 2023.

https://axellehuber.fr

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