Enfants extraordinaires

Quand l’amour ne suffit plus

Rebecca Dernelle-Fischer 3 février 2025
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« Mais moi, je ne trouve plus en moi d’amour pour lui ». Cette phrase, c’est le cri perçant qu’une femme, aidante de son enfant, nous a lancé. « Vous y arrivez, vous nous parlez de votre amour qui vous porte dans les situations les plus difficiles, dans votre quotidien particulier, dans les défis qui parcourent votre vie : mais moi je n’en peux plus ! Même l’amour pour mon aidant vient à manquer ! »

Quand l’amour vient à manquer ; 

quand le quotidien a usé tous nos nerfs, 

quand les symptômes, les crises, le dédale administratif, le peu d’accès au personnel médical spécialisé, le coût financier et humains des traitements, nous volent toute notre énergie,

quand la dette de sommeil, les montagnes de questions et de soucis balayent tout espoir, 

quand il ne semble plus rien rester au plus profond de nos cœurs. 

Que nous reste-t-il alors ?

Que dire à cette Fabuleuse aidante au bord du gouffre ? Que dire à celle qui semble se trouver dans un labyrinthe sans fin, sans aide et sans issue. Elle le crie, gênée, désespérée : l’état de son aidé, ses réactions, ses comportements provocateurs et ses émotions la poussent toujours un peu plus à bout. Que faire ? Comment encore aimer cette vie d’aidante ? On la sent seule, au bord du désespoir, à la merci de l’explosion, et la haine semble vouloir la prendre en otage.

Cette haine qui grandit, haine de la maladie, haine du diagnostic, haine de la société qui ne sait pas, qui ne veut ni savoir ni comprendre, qui détourne le regard au lieu de tendre la main. La haine d’être coincée dans ce quotidien décalé, sans liberté, sans issue et sans air frais à respirer. Comme si le disque était rayé, toujours les mêmes notes, toujours les mêmes mots et cette haine qui étouffe… Il se crée alors comme une impression d’être enfermée avec un geôlier que l’on supporte de moins en moins.

Le cri du cœur de cette maman nous bouleverse. On préférerait peut-être ne pas l’entendre.

Car au fond, il fait écho à ce que l’on ressent parfois.

Il réveille notre envie de briser toutes les chaînes qui nous prennent au piège. Qu’il est dur d’entendre que l’amour peut ne pas suffire. Que parfois, il semble n’y avoir aucune solution. On voudrait la faire taire pour ne pas prendre peur, pour ne pas craindre d’en arriver là. 

Et pourtant, parfois, l’amour ne suffit plus. Ça arrive, comme une lame de fond qui nous fait perdre pied par surprise. Une vague qui nous emporte. On n’en peut plus et on se sent usé jusqu’à la corde. Et nous le savons, bientôt, si ça continue, ce sera nous qu’il faudra soigner. Elle nous le dit cette maman, elle a besoin que le poids qui écrase son cœur soit soulevé un instant, qu’elle trouve un répit, du repos. 

Alors que faire, que dire ?

Quels sont les mots quand l’amour commence à faillir ? Quand la haine de la situation prend toute la place et engloutit espoir, tendresse, patience et joie de vivre ?

Si seulement je pouvais te donner une recette facile, un coup de baguette magique pour que l’amour refleurisse, la patience renaisse, le rire reprenne toute sa force. Mais je n’ai ni conseil tout fait, ni solution à portée de la main. Mais si j’étais face à toi, je commencerais par te dire que : 

  • L’amour varie, chez toi, comme chez moi, chez tout être humain, parfois, il se fait plus rare, plus discret.
  • La haine peut être tellement proche de l’amour, comme le revers d’une médaille, l’amour intense peut tourner à une haine intense. Tu n’es ni un monstre, ni un super héros, tu es juste humaine, et parfois, tout fait mal, si fort et si longtemps, qu’on en perd l’amour, qu’on se fond dans la haine.
  • Un des signes du burn out — que ce soit de l’aidant, du parent ou du soignant —  c’est la perte d’empathie et de sentiments positifs envers la personne aidée. Tout a été brûlé à vif, on n’a plus rien à donner, il n’y a que des ruines et des cendres, on est vide.
  • Notre rôle d’aidant peut prendre parfois tant de place qu’on en oublie qu’on est maman et pas infirmière, fille et pas éducatrice, épouse et pas surveillante… le futile, l’inutile et le léger sont partis sur la pointe des pieds.

Chère Fabuleuse,

Si tu te reconnais dans ces mots, alors, on balayerait ensemble la honte et puis, je t’inviterais à t’envoler au-dessus de ta maison, à prendre du recul, à regarder le tout de haut, à imaginer ce que tu penserais si c’était ta meilleure amie qui était à ta place. Que lui dirais-tu ? Que ferais-tu ? Que lui proposerais-tu ?

Ce qui te manque peut-être cruellement, c’est de récupérer des forces physiques, de dormir une nuit sans interruption, de t’hydrater plus, de manger assise et pas debout dans le coin d’une pièce à l’aguet de la prochaine crise.

Peut-être que ce dont tu as le plus urgemment besoin c’est de parler à quelqu’un qui te comprend, qui peut tout entendre sans paniquer. 

Et si c’était un burn out ?

Est-ce que tu es tellement vide que tu penses bientôt imploser ? Perdre ton calme avec ton aidé ? Si oui, n’aie pas honte : tu n’es pas la seule à qui cela arrive ou peut arriver. Bien souvent, ce sont les aidants qui veulent faire tout super bien qui se prennent les pieds dans le burn-out. C’est de trop, tout devient de trop. Eh oui, nous arrivons toutes parfois dans nos retranchements, à la limite de nos capacités. Parfois, il faut s’arrêter et prendre du recul pour pouvoir souffler et penser à autre chose, laisser à nos cœurs le temps de refleurir un peu, pour que l’amour y retrouve un jour sa place.

Parfois, montrer de l’amour pour notre aidé, c’est accepter nos limites et chercher un relais, que ce soit pour quelques heures ou encore pour plus longtemps. Aimer l’autre, c’est parfois s’épargner soi, donner moins intensément, modérer notre présence, nos interventions, pour assurer plus longtemps, pour aimer plus longtemps.

Ne sois pas toujours là, pas toujours disponible.

Cherche de l’aide pour retrouver des forces, 

Délègue, ose une prise en charge imparfaite, 

Donne-toi de l’espace et du temps pour que l’amour, la motivation et l’espoir reviennent vivre sous ton toit. 

Si l’amour vient à manquer, écoute attentivement ce que cette alerte rouge te dit ! C’est un appel à l’aide, de toi à toi, de toi aux autres, c’est la fusée de SOS que lance une embarcation qui part à la dérive.

Tu as besoin d’aide.

Non pas de jugement, non pas de reproches, mais de comprendre ce qui te manque et chercher ce qui te permettra de retrouver le cap, un équilibre plus solide, une vitesse de croisière plus adaptée.

Tu es fabuleuse, vraiment, une aidante unique, même quand l’amour vient à manquer. Mais tu n’es pas “Superwoman”, tes forces, ta patience, ta bienveillance ont leurs limites. Tu as tes limites. Et ce dont tu as peut-être le plus besoin maintenant, c’est d’amour, d’un peu de temps, de bienveillance, de repos, d’air, de liberté, de bons moments avec ton aidé, marqués de légèreté et de bienveillance.

Donne-toi ce dont tu as tant besoin.

Ne reste pas seule, s’il te plaît. L’amour reviendra sur la pointe des pieds quand tu iras mieux, promis, aie confiance, aie confiance en toi ! Tu n’es pas seule, ne reste pas seule ! On t’entend, on te comprend et on t’encourage !



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Cet article a été écrit par :
Rebecca Dernelle-Fischer

Psychologue d’origine belge, Rebecca Dernelle-Fischer est installée en Allemagne avec son mari et ses trois filles. Après avoir accompagné de nombreuses personnes handicapées, Rebecca est aujourd’hui la maman adoptive de Pia, une petite fille porteuse de trisomie 21.
https://dernelle-fischer.de/

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