Ancienne enseignante et mère de deux filles, Maryse Rajaonarivelo raconte son parcours d’aidante. Elle met en lumière l’importance du soutien constant et de la compréhension de son entourage professionnel, familial et amical, qui l’ont accompagnée à chaque étape importante de sa vie.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Maryse Rajaonarivelo, j’ai 64 ans. J’ai été enseignante en anglais dans un institut de formation jusqu’à ma retraite. Je suis arrivée en France à 18 ans depuis Madagascar, ce qui a été un tournant fondateur dans ma vie. J’ai dû très vite prendre mon autonomie, assumer mes responsabilités loin de ma famille. Heureusement, j’ai croisé des personnes qui sont devenues ma famille de substitution, et à chaque étape de ma vie, ces rencontres m’ont portée. Je suis reconnaissante à la vie de m’avoir permis de trouver ces soutiens au bon moment.
Quel a été ton parcours vis-à-vis de ta fille Joyce ?
J’avais 27 ans lorsque Joyce, mon aînée, est née prématurée à six mois de grossesse. Cela a entraîné des lésions cérébrales. Elle a passé quatre mois et demi en service néonatal, une période d’incertitude totale. Nous ne savions pas quelles seraient les conséquences pour elle. Heureusement, j’ai été entourée par des médecins formidables et un entourage bienveillant, notamment ma sœur, qui a été une présence précieuse. Nos proches venaient à l’hôpital, partageaient des moments avec nous, nous apportaient du réconfort, des petites attentions comme le fait de nous apporter à manger.
Mais après l’hôpital, il a fallu entrer dans la réalité du handicap moteur. J’ai rapidement trouvé un travail à mi-temps, une opportunité qui m’a aidée à sortir du brouillard émotionnel. Joyce avait besoin de rééducation trois fois par semaine, avec des séances d’ergothérapie, kiné, orthophonie. Pendant deux ans, je n’en ai pas parlé à mon responsable, par peur d’être perçue comme une salariée à risque. Finalement, sur les conseils de deux collègues, j’ai osé en parler. Ce fut une libération. J’ai reçu une écoute bienveillante, et cela m’a même aidée à être titularisée. Je me suis séparée du père de mes enfants quand Joyce avait 13 ans et sa petite sœur 6 ans. J’ai dû assurer une stabilité financière en passant à plein temps tout en étant aidante.
L’assistante sociale de mon entreprise et mon employeur ont joué un rôle crucial : j’ai bénéficié d’une dotation mensuelle de leur part pour payer les frais de garde par les auxiliaires de vie et il y a eu des aménagements horaires. Mon employeur m’a accordé des absences sans impact sur mon salaire pour les suivis médicaux de Joyce. Mieux encore, alors que je pensais que cette situation allait me freiner professionnellement, on m’a confié des responsabilités importantes, notamment la coordination des partenariats avec l’international, ce qui impliquait des déplacements.
Avec le temps, mes parents sont venus me relayer chaque année, me permettant de ralentir le rythme, de passer plus de temps en tant que maman et non seulement en tant qu’aidante. J’ai aussi fait appel à une assistante administrative pour m’aider dans les démarches liées aux dossiers MDPH, afin de ne plus gérer seule cet aspect chronophage et mentalement épuisant.
Comment ta fille cadette a-t-elle vécu cette situation ?
Léonora, ma fille cadette, a été une aidante sans le savoir. Elle avait 8 ans quand elle s’occupait des petits gestes du quotidien pour sa sœur. Elle a toujours suppléé sans jamais se plaindre. Mais l’impact a été réel. À l’adolescence, elle a connu des périodes de burn-out. Heureusement, le personnel éducatif a été attentif et l’a aidée à relâcher la pression en la forçant à prendre du temps pour elle. Elle a trouvé du soutien chez ses amies qui ont compris son quotidien. Je culpabilise encore aujourd’hui d’avoir involontairement volé son insouciance. Les auxiliaires de vie, présentes matin et soir auprès de Joyce qui s’occupaient d’elle avant qu’elle ne parte en accueil de jour, ont également joué un rôle essentiel. En plus de l’accompagner au quotidien, elles ont veillé sur sa sœur lui permettant d’avoir des moments à elle et d’être soulagée de certaines charges.
Et aujourd’hui ?
En 2016, la famille s’est installée en Bretagne. Mon employeur m’a permis de bénéficier d’un dispositif réservé aux parents de trois enfants, mais étendu aux parents d’enfants en situation de handicap. J’ai donc cessé mon activité professionnelle. Joyce a été accompagnée à domicile avec des auxiliaires de vie jusqu’en 2022. Depuis deux ans, elle vit dans un habitat partagé, entourée de professionnels. C’est une nouvelle vie pour elle, comme pour moi. Aujourd’hui, elle a 37 ans.
Quelle est la force du collectif pour toi ?
Je n’ai jamais mené ce combat seule. Avec d’autres familles, nous nous sommes regroupés en collectif et nous avons organisé des activités de loisirs solidaires tels que la danse en fauteuil, la musique, le chant, la randonnée en joëlette et même des séjours de vacances pour nos enfants et jeunes en situation de handicap. Une année, on a pu accompagner jusqu’à 10 personnes en situation de handicap avec 60 bénévoles accompagnateurs pour un séjour. Nous avons aussi mutualisé nos ressources pour financer des séances de rééducation supplémentaires avec un kiné, un ergothérapeute, une orthophoniste et d’autres professionnels. Ce sont des parents qui ont créé l’habitat partagé où Joyce habite actuellement en colocation. C’est en se regroupant que l’on avance.
Comment prends-tu du recul aujourd’hui ?
En 2023, j’ai traversé un burn-out. Mon corps a dit stop, cela s’est manifesté par des maux bénins qui se sont multipliés, une fatigue constante. Depuis, j’ai appris à déléguer, à demander de l’aide, à m’accorder du temps : yoga, sorties entre amies, même des week-ends off. Quand je dépasse la zone rouge, je m’accorde une journée entière en thalasso pour me recentrer. J’ai mis en place un tableau pour voir à qui je consacre mon énergie chaque semaine : mes filles, l’association, moi. Et si je vois que je m’oublie, je rectifie. Grâce à cette expérience, j’ai aussi appris à me faire confiance, à laisser mes filles voler de leurs propres ailes.
Que souhaites-tu transmettre aux Fabuleuses Aidantes qui te lisent ?
Ose ! Ose demander de l’aide, parler de ta situation. Trop souvent, la peur nous fige : peur de ne pas être à la hauteur, peur de l’avenir. Mais quand on touche le fond, on ne peut que donner un grand coup de pied pour remonter. Il y a toujours des mains tendues, des solutions à trouver ensemble avec l’aide d’autres aidantes. Et surtout, souviens-toi que la fragilité que tu prends pour de la faiblesse est une force. Les épreuves te révèlent. Tu es bien plus forte que tu ne le penses.
