Enfants extraordinaires

Le rejet

Anna Latron 27 décembre 2021
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Il y a quelques semaines, je suis au bureau quand mon téléphone sonne. Numéro inconnu. En cette période de covid où les fermetures de classe font partie du quotidien, j’ai préféré répondre.

C’est l’entraîneur de rugby de mon cadet.

La communication commence et je sens immédiatement la gêne de mon interlocuteur.

– Voilà, je voulais parler des entraînements… Vous avez une minute ?

Et là, j’ai eu un seul réflexe : couper court à la conversation. Je prétexte une réunion en cours.

– Est-ce que je peux vous rappeler un peu plus tard ?

Ce réflexe est venu d’une intuition :

L’entraîneur n’a pas interrompu sa journée de travail juste pour me parler des entraînements. J’ai bien senti sa gêne. Non, il y a certainement autre chose. J’avais bien remarqué que mon fils avait du mal à prendre le pli, à obéir aux instructions du coach et à se fondre dans le groupe. À chaque entraînement, je voyais bien que les “résultats” ne suivaient pas : malgré son dossard et ses crampons arborés fièrement, mon cadet restait l’électron libre qu’il était en dehors du terrain.

En un mot : ingérable.

Ni une, ni deux, j’appelle mon Fabuleux :

– Chéri, désolée de te déranger, mais l’entraîneur m’a appelée et j’ai un mauvais pressentiment.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– J’ai l’impression qu’ils ne veulent plus de Numérobis.

– Ah bon, t’es sûre ? C’est ce qu’il t’a dit ?

– Ben non… je n’ai pas pu lui parler, j’avais la gorge nouée et les larmes prêtes à sortir. Je lui ai dit que j’allais le rappeler en début d’après-midi.

Je crois que j’ai bien fait d’appeler mon Fabuleux à la rescousse, car le sentiment qui monte en moi à cet instant est plus fort que ma capacité à écouter simplement l’entraîneur m’expliquer la situation.

Ce sentiment, c’est le rejet.

Une fois que j’ai rappelé le coach et que j’ai pu m’entretenir avec lui de façon un peu plus sereine, mon intuition s’est trouvée confirmée : le club ne peut plus accueillir notre enfant. La période d’adaptation était maintenant passée et il fallait se rendre à l’évidence : il ne passait pas un bon moment et son comportement perturbait l’ensemble du groupe. Le ton n’est absolument pas accusateur mais plutôt désolé. L’entraîneur de ce tout petit club géré par des coachs bénévoles semble un peu dépassé par l’attitude de mon zébulon porteur de TDAH, et toute sa bonne volonté ne pourrait rien y faire.

Après un échange très cordial de quelques minutes, je raccroche et fonds en sanglots. Depuis des années, nous faisons connaissance avec l’univers des enfants atypiques et nous apprenons à être des parents atypiques, nous aussi.

Les comportements de nos deux garçons — l’aîné est porteur d’un trouble du spectre de l’autisme et le second d’un TDAH — questionnent notre entourage, mais aussi tous ceux que nous croisons au quotidien. Nous avons tout fait pour les accompagner du mieux possible et leur permettre, notamment, une scolarité normale.

Mais jusqu’à présent, jamais je n’ai senti que mes enfants étaient rejetés.

Cette nouvelle étape franchie me fait l’effet d’un nouveau petit “deuil”, qui s’ajoute à tous ceux, importants comme plus anodins, que nous avons été amenés à faire ces dernières années.

Un nouveau petit deuil de la normalité.

Alors oui, évidemment, je mesure que ce rejet est bien minime — après tout ça n’est qu’un entraînement de rugby, pas son accueil à l’école. Mais le sentiment de rejet est bel et bien présent, impossible de l’évacuer. Ce ressenti, j’ai préféré lui laisser toute la place et en parler longuement le soir avec mon Fabuleux. J’ai eu besoin de déposer le fait que je trouvais ça injuste et surtout que je ne voyais pas bien comment annoncer à notre fiston qu’il ne retournerait plus au rugby.

Cette frustration ressentie, puis cette colère, et enfin cette souffrance pour mon enfant, j’ai accepté de les vivre pleinement, le temps d’une soirée.

– Je ne trouve pas ça juste !

– Je n’ai même pas réussi à me mettre en colère car ce pauvre entraîneur n’en peut pas grand chose, mais je trouve ça rude !

Accepter ces sentiments mêlés m’a fait le plus grand bien et j’ai pu terminer la journée un peu plus apaisée. Cette expérience m’a aussi permis de me mettre à la place de toutes ces mamans — et de tous ces papas — qui font un jour ou l’autre l’expérience du rejet ; à qui l’on envoie un jour ou l’autre le message suivant :

« Désolé, mais ça ne va pas être possible avec votre enfant ! »

La douleur ressentie dans mon cœur de maman m’a offert cette nouvelle possibilité : dépasser cette expérience douloureuse pour me sentir plus proche de celles et ceux qui la vivent quotidiennement, et pas juste une fois à cause d’un entraînement de rugby.

Chère Fabuleuse,

toi qui es cette maman dont les années t’ont habituée à éprouver à maintes reprises cette blessure du rejet : je te dédie ce texte et je rends hommage à ta force intérieure. Je t’encourage à ne pas rester seule avec cette blessure mais à trouver des personnes bienveillantes qui sauront l’écouter et t’aider à la panser. Qui sauront poser une main sur ton épaule et te rappeler que vraiment, oui, tu es sacrément fabuleuse.



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Cet article a été écrit par :
Anna Latron

Journaliste de formation, Anna Latron collabore à plusieurs magazines, sites et radios avant de devenir rédactrice en chef du site Fabuleuses au foyer et collaboratrice d’Hélène Bonhomme au sein du programme de formation continue Le Village. Mariée à son Fabuleux depuis 10 ans, elle est la maman de deux garçons dont Alexis, atteint d’un trouble du spectre de l’autisme.

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