Enfants extraordinaires

Comme un carré dans un rond

Anna Latron 3 novembre 2020
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Depuis qu’il est arrivé dans nos vies, il illumine notre quotidien de sa joie de vivre et son énergie…parfois débordante. Son imagination est sans limites. Tout comme sa capacité à tester les nôtres.

Au départ, nous avons mis cela sur le compte du fameux “Terrible two”; sur sa place dans la fratrie, aussi : pas facile d’arriver après un grand-frère porteur d’un trouble du spectre de l’autisme.

Mais alors que ses deux ans sont bien loin derrière lui, chaque journée ressemble de plus en plus à un combat. Pour s’habiller. Pour venir déjeuner. Pour jouer seul quelques instants. Pour partir à l’école. Pour attendre son frère devant le portail de l’école primaire. Pour rester tranquille pendant que j’aide mon aîné à faire ses devoirs.

Il est toujours après nous… et surtout après moi.

Je dois l’avouer, je me sens comme tyrannisée par son besoin de présence continuelle et ses désirs impossibles à satisfaire. Et j’en ai ressenti énormément de honte.

Une vague qui m’a littéralement submergée.

  • Honte de ne pas avoir su lui donner assez d’attention à sa naissance : bébé facile, c’était plutôt lui qui attendait son tour quand son grand-frère piquait une crise.
  • Honte de ne pas avoir pu prendre la mesure de ses difficultés avant sa rentrée à l’école : nous pensions que “ça se tasserait” au bout de quelques mois, qu’il avait “juste besoin d’un peu de temps”.
  • Honte d’avoir envie de le fuir par peur de déclencher une nouvelle colère en frustrant une de ses envies.
  • Honte de me sentir aussi démunie alors que j’ai déjà connu, il y a quelques années, le même découragement face à son grand-frère.
  • Honte de vouloir à tout prix le faire rentrer dans la case de l’enfant sage qui colorie sans dépasser et colle des gommettes calmement.
  • Honte d’avoir honte de lui quand il se roule par terre devant le portail de l’école parce que j’ai oublié le goûter.
  • Honte enfin de comprendre que j’allais devoir batailler fort contre mon désir de perfection face à mon fils que je voulais à tout prix, tel un carré qu’on tente d’emboîter dans un rond, faire rentrer dans le moule.

Cette honte m’a consumée de l’intérieur, remplie d’une colère inavouable.

Colère contre moi-même (“Je suis vraiment trop nulle, incapable de me mettre à l’écoute de ses besoins”), colère contre la vie (“Mais pourquoi ça tombe encore sur nous ?”), colère contre ceux qui ne comprennent pas ce que nous vivons au quotidien derrière les jolies portes de notre foyer.

Et puis cette honte et cette colère m’ont isolée :

Je me sentais seule, incomprise, incompétente. Je pressentais une imposture, aussi : comment pouvais-je encore prôner le bien-être maternel chaque mercredi matin alors que – appelons un chat un chat – j’en chiais profondément ? Alors que je piquais des gueulantes mémorables pour essayer de me faire respecter par ce petit bout d’homme que pourtant j’aimais de tout mon coeur ?

Mon coeur de maman, une nouvelle fois, est éprouvé.

Et puis il y a quelques temps, à force d’opiniâtreté – et parce qu’on commence à connaître le système ^^ – nous avons compris que nous aurions beau nous époumoner, nous mettre en rogne ou à sa hauteur, négocier, parlementer, ce petit garçon était bel et bien un carré qui ne rentrerait pas dans un rond. Ou du moins, pas facilement. Pas légèrement.

Son sourire crispé, son regard fuyant, ses frustrations incessantes, sa maladresse, son impulsivité, son incapacité à se concentrer, sa difficulté à faire seul, son inconscience du danger : cela le rend un peu trop carré pour rentrer dans un rond.

Une nouvelle fois, je me trouve face à une montagne et je sais qu’un seul chemin me permettra de la gravir : celui d’accepter que la facilité et la légèreté ne font définitivement pas partie de mon expérience de la maternité. La maternité, telle que je l’expérimente depuis maintenant neuf ans, ressemble elle aussi à celle d’un carré que j’essaie toujours de faire rentrer dans un rond, quitte à m’épuiser, quitte à me rendre infecte aux yeux de mes enfants et de mon conjoint, quitte à me laisser envahir par un sentiment d’imposture qui dégoûte.

Mon humanité, une nouvelle fois, est challengée.

Mon imperfection, remise au premier plan. Sans me leurrer ni me bercer de faux espoirs – je sais que je pèterai encore un plomb ce soir quand il filera tout nu sous la pluie à l’autre bout du jardin quand je l’appellerai pour le bain – je prends la ferme résolution d’accueillir avec toute la bienveillance possible ce nouveau défi qui se présente à moi.

Bienveillance pour lui, bienveillance pour la vie, bienveillance envers moi.

Devant cette montagne, j’ai avant tout besoin :

  • de me faire confiance,
  • de me rappeler que je suis une mère “suffisamment bonne”,
  • de me souvenir que je ne suis qu’une humaine qui essaie de faire ce qu’elle peut avec ce que la vie lui a donné,
  • de me répéter que je ne suis pas seule,
  • de ne pas oublier que je suis fabuleuse, et que ça change tout !


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Cet article a été écrit par :
Anna Latron

Journaliste de formation, Anna Latron collabore à plusieurs magazines, sites et radios avant de devenir rédactrice en chef du site Fabuleuses au foyer et collaboratrice d’Hélène Bonhomme au sein du programme de formation continue Le Village. Mariée à son Fabuleux depuis 10 ans, elle est la maman de deux garçons dont Alexis, atteint d’un trouble du spectre de l’autisme.

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