Enfants extraordinaires

Un sourire sur le trottoir de l’école

Anna Latron 11 octobre 2021
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C’est arrivé sans prévenir, alors que je sortais de la boulangerie, juste après avoir déposé les enfants à l’école. Avec cette maman, ça faisait plusieurs mois qu’on se lançait des regards par-dessus nos masques, qu’on se disait bonjour rapidement en se croisant le matin ou à la sortie de l’école.

Et puis là, sur ce bout de trottoir, elle avec son chien en laisse et moi mes baguettes sous le bras, va savoir pourquoi, on s’est arrêtées. C’est alors qu’elle m’a lancé :

« Comment ça se passe, la rentrée, pour votre petit ? »

Je ne sais pas dire pourquoi, j’ai senti qu’elle avait le temps.

Et qu’elle avait senti que pour une fois, moi aussi, j’avais un peu de temps devant moi, que je pouvais m’arrêter cinq petites minutes pour papoter, alors que d’habitude je cours me mettre au travail le portail de l’école à peine refermé.

J’ai saisi l’occasion. Je me suis dit :

« Tu veux vraiment savoir ? Alors je vais te le dire ! »

Je lui ai donc raconté que mon fils était ravi de sa nouvelle maîtresse, que ça se passait plutôt pas mal, surtout qu’il a maintenant une AESH* avec lui en classe. Je lui ai dit que l’essentiel pour moi et son père était qu’il ne rechigne pas trop à aller à l’école le matin et que sur ce plan-là, notre objectif du mois de septembre était rempli.

Je ne lui ai pas caché que sur le sujet des devoirs, on tâtonnait encore un peu, qu’on testait ce qui fonctionnait et ce qui à coup sûr nous mettait tous sur les nerfs. À savoir : pas la peine de s’y mettre le mardi ou le vendredi soirs ; travailler à un moment où on le sent disponible (le matin de préférence) et à un endroit qui lui plaît (un petit bureau installé dans sa chambre, pour faire “grand” comme son frère aîné).

Au fil de mes mots, j’ai senti un regard rempli de compassion fondre sur moi.

Et puis, cette question :

« Désolée d’être aussi indiscrète, mais son AESH, c’est pour quoi ? »

Alors je lui ai parlé de ce diagnostic de TDAH reçu il y a un peu plus d’un an et qui nous a permis d’obtenir cette aide humaine en classe.

« C’est vraiment super que vous ayez cette AESH. Quelle chance ! »

Alors j’ai osé lui raconter très rapidement que cette chance avait largement été provoquée par ma détermination à ne rien lâcher, même après un premier refus par la MDPH** et que j’avais énormément de gratitude envers l’enseignant référent qui m’avait poussée à faire appel de cette première décision.

« Bravo, vous n’avez rien lâché ! »

Alors, j’ai osé lui partager à quel point son “bravo” me touchait parce que de temps en temps, j’ai juste envie de lâcher, de ne plus remplir de dossier, de ne plus chercher à composer, de ne plus tout faire pour accompagner au mieux ma tornade préférée. Je lui ai partagé que son intérêt bienveillant au sujet de mon enfant si turbulent me touchait profondément…parce que je savais bien qu’extérieurement, il pouvait juste passer pour une — mignonne — tête à claques.

Et là, ce fut le coup de grâce :

« Mais il est tellement adorable, ce petit ! Depuis la rentrée, il me manque devant le portail de l’école maternelle, vous savez ! C’est toujours un rayon de soleil ! »

Alors voilà, j’avoue, mes yeux se sont embués d’un coup, et j’ai bafouillé un merci ému.

« Les gens ignorent tout de ce qui fait sa spécificité. Alors si ça peut vous rassurer, je serai toujours ravie de le voir devant le portail de l’école ! »

Elle m’a alors confié que l’une de ses nièces était également atteinte de TDAH. « Je sais que c’est encore largement méconnu et que pour beaucoup de gens, ce sont juste des enfants mal élevés. Mais ils ne savent pas. Ils ne comprennent pas ce que ça veut dire au quotidien. »

Nous sommes restées encore quelques instants sur le trottoir, debout dans la lumière de ce petit matin d’automne avant de nous saluer et de retourner chacune à notre vie. En rentrant chez moi, j’ai eu cette certitude : ce petit moment “cadeau”, hors du temps, j’ai eu envie de le partager avec les Fabuleuses aidantes.

Parce que je suis comme toi, chère Fabuleuse :

Me sentir comprise, entendue par quelqu’un, peut changer ma journée et me redonner confiance en la bienveillance et la solidarité ;

Entendre une quasi inconnue me confier qu’elle trouve mon fils attachant remplit mon cœur de maman d’une joie indescriptible.

Il suffit parfois simplement de laisser la porte ouverte à une conversation totalement inattendue.

Il suffit parfois simplement de s’arrêter le temps qu’il faut et oser partager — un peu — de ce que l’on vit.

Bien sûr, on ne peut pas tout partager tout le temps et avec n’importe qui, mais ce matin-là, sur le trottoir de l’école, entre une baguette enfarinée et un pipi de chien, c’était le bon moment.

*AESH : Les AESH (Accompagnant des Elèves en Situation de Handicap) sont recrutés directement par l’Education nationale. Les personnels accompagnants assurent des missions d’aide aux élèves en situation de handicap. Ainsi, sous la responsabilité pédagogique des enseignants, ils ont vocation à favoriser l’autonomie de l’élève, sans se substituer à lui dans la mesure du possible.

**MDPH : Maison départementale des personnes handicapées



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Cet article a été écrit par :
Anna Latron

Journaliste de formation, Anna Latron collabore à plusieurs magazines, sites et radios avant de devenir rédactrice en chef du site Fabuleuses au foyer et collaboratrice d’Hélène Bonhomme au sein du programme de formation continue Le Village. Mariée à son Fabuleux depuis 10 ans, elle est la maman de deux garçons dont Alexis, atteint d’un trouble du spectre de l’autisme.

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