Parents vieillissants

Mes parents vieillissent

Hélène Dumont 11 octobre 2019
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Un témoignage m’a particulièrement touchée ces dernières semaines, celui d’une fabuleuse me confiant la peine de voir ses parents vieillir :

« J’étais assise à côté de mon père à regarder le cerisier. Tu sais, ça sentait le matin, la rosée et l’herbe mouillée. On était bien là, tous les deux, en silence. Tout d’un coup, un bruit de truelle s’est dégagé de la rue joyeusement. Papa était maçon, alors j’ai tout de suite réagi : « Écoute, Papa ! »

Quand il a froncé les sourcils, j’ai compris qu’il ne reconnaissait ni le bruit, ni le rythme de ce geste qui l’avait tant prolongé. Je me suis levée pour vérifier. Dans la rue, j’ai observé un homme qui maniait avec fermeté le manche en bois d’une truelle.

Ça m’a brisé le cœur.

C’est vrai que Papa devient un peu sourd, mais maintenant, c’est sa mémoire qui lui joue des tours, qui l’éloigne doucement de la réalité. Je me suis sentie pleine de tendresse envers lui et j’ai pensé que nos rôles allaient s’inverser. Il fallait désormais que je m’en occupe. Jusqu’à maintenant, comme papa était dynamique, travailleur et moderne, je n’avais pas conscience qu’il pouvait « devenir vieux ». Dans mon esprit, il était resté le parent que j’ai eu gamine : un peu éternel. Aujourd’hui, je perçois pour la première fois le poids de son âge sur ses épaules et comprends sa fatigue. »

Quelles que soient les relations entretenues avec nos parents, paisibles ou compliquées, réaliser que ces derniers puissent prendre de l’âge demande un mouvement d’acceptation, de lâcher prise et de maturité. Dans cette relation particulière, il est souvent question de place, de juste distance, de croissance et de pardon

Je pense, par exemple, à cette fabuleuse qui me partage combien les relations se sont apaisées depuis la naissance de ses enfants. Comme si l’accès à la maternité l’avait aidée à comprendre l’imperfection de ses parents, comme si le fait de galérer avec ses petits l’avait rendue moins sévère avec eux. 

Inversement, en changeant de génération et en devenant grands-parents, sa mère et son père avaient élargi le regard qu’ils posaient sur elle.

Oui, elle pouvait être une personne autonome…

Ils pouvaient lui faire confiance et cesser de vouloir diriger ses choix. Chaque séjour passé auprès de « ses vieux » est un moment de réconciliation. Pas forcément verbalisé, parfois tacite, il met en avant le caractère précieux et fragile de ces instants et du lien filial qui nous relie : profiter d’être ensemble, vivre et transmettre à travers un repas, un jeu de cartes, une promenade ou la lecture d’un album photos, les valeurs qui nous tiennent à cœur, notre histoire, nos racines.

Pourtant, séjourner auprès de nos parents peut relever du défi. S’ils ne sont pas forcément fatigués, l’âge est une réalité qui impose peu à peu une évidence. Tous ne peuvent pas (ou n’en ont pas même l’envie) courir après nos rejetons.

Dans ces moments, il s’agit :

  • d’admettre de ne plus compter sur eux, comme on aurait pu le faire avant
  • d’accueillir leur état d’être
  • de se résigner face à leurs petites manies qui s’invitent avec l’âge
  • d’accepter d’être déçue

Cette reconnaissance est une façon de les considérer imparfaits, limités dans leur aptitude à donner de l’amour, et de les accepter ainsi. Quel que soit notre âge, ce mouvement de détachement, qui ne remet pas forcément en compte l’affection que nous pouvons leurs porter, est une étape dans notre devenir « femme ».

Ainsi, une fabuleuse m’expliquait combien les vacances chez ses parents pouvaient devenir tendues. Épuisée par son année scolaire, elle appréciait de se poser quelques jours dans la maison de son enfance avec ses trois petits, tout en espérant le soutien de sa mère. Mais le message maternel était on ne peut plus ambivalent :

« Viens me voir avec les enfants, mais surtout ne me fatigue pas ! »

Comment faire, avec une intendance qui double,…

…des enfants qui ne demandent qu’à jouer ou profiter de leurs grands-parents ? Et que dire de ces petites remarques blessantes qui en disent long sur la relation à nos parents, pas toujours apaisée ?

Le vieillissement de nos parents force à revisiter les liens que nous avons tissés avec eux. Des liens discutables, nourrissants ou blessants, et dont l’issue que nous souhaitons leur donner, interroge.

Pour cette fabuleuse, la fatigue de sa mère est l’occasion de se rapprocher d’elle et de la materner un peu. « Un privilège pour rattraper le temps que nous avons perdu à nous disputer autrefois. L’âge de maman la force à ralentir, et donc à m’écouter, tandis que je m’occupe d’elle. Quelle aubaine ! ». Les rôles qui s’inversent nourrissent parfois de façon nouvelle ce lien qui les rapproche.

Mais pour cette autre fabuleuse, l’âge n’a rien arrangé.

Bien au contraire. Les liens se sont tellement distendus qu’il s’agit pour elle de faire le deuil de ne pas avoir eu « une bonne mère, un bon père ». La souffrance est immense. Comment se consoler de cette absence d’amour que l’on désirait tant, tout en devenant à son tour celui qui « devrait » porter ce parent mal-aimant et mal-aimé ? Peut-on se dégager de la culpabilité de ne pas vouloir le faire ?

Le temps œuvre et nous travaille.

Sans vouloir sacraliser le passé ou le retenir, voir nos parents vieillir implique de changer notre regard et de  considérer l’évolution de nos rapports d’adulte à adulte, et non plus à travers le seul prisme de la filiation. Un mouvement qui doit se faire dans les deux sens, et qui, s’il n’est pas mis de côté, viendra considérablement enrichir la relation que nous tissons nous-même … avec nos propres rejetons !



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Cet article a été écrit par :
Hélène Dumont

Après avoir suivi un parcours de Lettres et Civilisations, Hélène est devenue professeur des écoles puis conseillère conjugale et familiale. Très attachée aux problématiques de l’articulation du maternel et du féminin, elle travaille aujourd’hui en cabinet libéral au rythme de sa vie de famille : un chouette époux et 6 enfants !
https://www.conseilconjugaletparentalite.com

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