Je continue d’explorer la palette des émotions que nous traversons quand nous nous retrouvons engagées dans le marathon de l’aidance.
Après la culpabilité et le sentiment d’injustice, je m’intéresse cette semaine au deuil blanc.
Cette forme de tristesse est tout particulièrement éprouvée par les aidants qui accompagnent une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer et qui sont confrontés à ce que l’on nomme le “deuil blanc”.
Ce deuil survient lorsqu’une personne souffrant d’un trouble cognitif devient par moments psychologiquement absente, bien qu’elle soit toujours présente physiquement.
L’entourage est appelé à faire de nombreux deuils.
Le deuil de la relation qui existait avant la maladie
L’atteinte des capacités mentales de la personne aimée l’amène à ne plus reconnaître ceux qui l’entourent, à perdre l’orientation dans le temps et dans l’espace, puis à ne plus pouvoir s’exprimer correctement. La relation privilégiée établie avec les proches disparaît, les éléments de base de la communication s’effacent peu à peu.
Tout l’amour échangé, la connivence, l’échange d’idées, tout cela disparaît progressivement. L’être aimé ne rend plus les baisers qu’on lui donne ni les sourires qu’on lui adresse :
l’attachement connu n’existe plus.
Le deuil du rôle
La relation “comme avant” n’étant plus possible, un changement des rôles s’opère. La personne malade a besoin de trouver du soutien chez ceux qui l’entourent. Il arrive que des enfants doivent jouer le rôle de parent, ou de gardien de la personne démente, qu’un conjoint ait à prendre en charge de nombreuses tâches qu’elle assumait jusqu’alors.
À ce moment-là, deux problèmes peuvent se poser : la tentation de surprotéger ou, au contraire, de se désengager
La manière la plus utile étant de trouver ce juste milieu qui préserve la dignité de la personne malade et la santé physique et mentale du proche qui l’accompagne.
Le deuil de la normalité
Dès les premiers symptômes de la maladie, la personne atteinte manifeste des comportements inattendus. Elle peut, par exemple, oublier de payer ce qu’elle achète au kiosque à journaux, ne plus se souvenir de l’itinéraire pour rentrer chez elle, ne pas reconnaître un ami de longue date…
À partir de ce moment-là, plus rien ne sera normal et le deuil de la vie d’avant est à faire, tout en maintenant par tous les moyens une vie relativement calme pour les enfants et le reste de la famille.
La perte de la prédictibilité
L’évolution des maladies dégénératives ne se fait pas toujours de manière prévue. Il y a des hauts, des bas, des possibilités de complications, aussi.
On ne peut plus rien prévoir. Cette perte de prédictibilité s’accompagne souvent d’une perte de la tranquillité d’esprit pour les proches. Il est nécessaire de penser pour l’autre, de le prendre en charge.
La perte du sens
Pour certaines personnes — conjoint, enfant —, l’épreuve peut être à ce point difficile que, temporairement, elles ne voient ni sens ni signification quelconque à la vie, à la souffrance en général.
Le deuil blanc complique le chagrin car l’aidant ne sait pas s’il doit pleurer ce qui a disparu de la personnalité de son proche, bien que certains aspects soient toujours présents.
Le deuil blanc ne ressemble pas aux autres deuils, car la personne aimée n’a pas disparu :
il s’agit plutôt d’un cheminement qui peut s’étaler sur des années.
D’autre part, ce deuil n’est souvent pas reconnu par l’entourage de l’aidant, qui ne comprend pas toujours son chagrin.
Les paradoxes
Traverser le deuil blanc, qui peut être long, c’est pouvoir accepter de vivre un certain nombre de paradoxes. En effet, il n’est pas toujours facile de comprendre la complexité des sentiments éprouvés. Par exemple, il faut accepter que la personne malade soit, en même temps, présente et absente sur certains plans qu’elle soit un parent et qu’elle demande les mêmes soins et la même attention qu’un enfant.
L’aidant voudrait tout à la fois que son proche soit vivant aussi longtemps que possible et que la douleur s’en aille.
L’aidant ressent beaucoup d’amour pour le proche dont il s’occupe et, en même temps, l’aidé ne semble pas le reconnaître : il est présent et absent à la fois !
Lorsque l’aidant peut reconnaître ces paradoxes et ne plus appréhender la réalité seulement en termes de « ou bien » …, « ou bien », mais plutôt prendre conscience que ces deux choses opposées cohabitent, cela devient possible de les accepter…et de les traverser sans trop de douleur.
Il en est de même pour les besoins de chacun : l’aidant peut croire que les besoins de son proche sont prioritaires et, petit à petit, il découvre que les besoins de l’un ET de l’autre sont importants.
On peut penser « mon proche ne communique plus », mais là encore, en réalité il ne communique plus comme il le faisait. En tant qu’aidant, j’ai donc à découvrir les nouveaux moyens de communiquer avec lui ou avec elle, car c’est possible jusqu’à son dernier souffle…mais autrement !
Ces aidants d’un proche atteint d’Alzheimer ou de toute autre maladie neurodégénérative sont confrontés à d’autres deuils, en plus du “deuil blanc”. J’y consacrerai un nouveau texte prochainement.