Il y a quelques semaines, je me suis lancée le défi d’explorer la palette des émotions que nous traversons quand nous nous retrouvons engagées dans le marathon de l’aidance.
Ces émotions parfois désagréables qui nous assaillent dès lors que l’on devient la personne de référence pour une personne — enfant ou adulte — qui nous est proche.
Après avoir évoqué la culpabilité dans un précédent texte, je voudrais explorer le sentiment d’injustice.
Être aidant, c’est vivre une situation que l’on n’a pas choisie — le plus souvent — ni souhaitée. C’est ressentir cela, peut-être, comme une injustice, c’est être empêchée de poursuivre ses propres projets, en tout cas en partie.
C’est parfois aussi se sentir prisonnière de la situation.
Voici le témoignage de Claire, dont le mari est devenu handicapé à la suite d’un AVC :
« Je l’aime, je ferai tout ce que je peux pour lui aussi longtemps que je le pourrai ! Pourtant, quand je le promène en chaise roulante, je réalise que notre situation est tellement différente des autres couples, que nous n’aurons plus la possibilité de faire ensemble plein de choses que nous aimions : escalade, voyages…
Je vois le regard apitoyé de gens que l’on croise et cela me dérange et me fait souffrir. Le pire, c’est quand on ne peut pas entrer dans un bâtiment parce qu’il n’y a pas d’accès handicapé. Alors, c’est la colère qui monte en moi : j’en veux aux propriétaires de ces immeubles ou magasins, j’en veux à cet AVC et à ses séquelles, je m’en veux d’être dans cette situatio je m’en veux de cette colère, et j’en veux à Dieu et à l’univers ! Ce qui m’ennuie profondément, c’est que je deviens agressive avec ceux qui m’entourent — et parfois envers mon mari — comme s’ils y pouvaient quelque chose ! »
Voici aussi ce que m’a confié une autre Fabuleuse aidante, dont la fille de 13 ans est atteinte d’un trouble du spectre de l’autisme :
« Je me demande souvent : “Pourquoi elle, pourquoi nous, pourquoi moi ?”. Et ce questionnement me mine. Quand ça va mal, je compare la vie de notre famille à celle des autres, et je me dis que c’est injuste qu’ils aient droit de goûter cette insouciance alors qu’à nous, elle est définitivement interdite. Je me dis parfois même que j’aimerais que le handicap les touche eux plutôt que nous, parce que c’est tellement dur… »
Cette émotion est tellement compréhensible !
C’est une émotion fondamentale : face à l’obstacle, à la frustration, la colère monte en nous ! Cela demande un grand travail intérieur pour arriver à accepter ce qui est, pour consentir à la situation dans laquelle on se trouve et qui ne peut pas être changée.
J’ai longtemps été en colère — et il m’arrive encore de l’être, soyons honnête 🙂
Oui, parce que quand on m’a répété d’être résiliente face aux difficultés de mes enfants, je me suis retrouvée profondément seule et terriblement en colère. Et puis, peu à peu, j’ai fini par comprendre :
La résilience n’est pas une destination.
- La résilience est un voyage. Un voyage au cours duquel on peut se perdre.
- La résilience est un chemin. Un chemin sur lequel on peut tomber. La résilience n’est pas un acquis, qui nous ferait dire :
« Je prends cette épreuve une bonne fois pour toutes sur mon dos et j’accepte de la porter pour le reste de mes jours »
La résilience est un processus, un espoir. La résilience est une forme d’acceptation de notre vulnérabilité. La résilience est une promesse : celle de ne pas avancer seule.
« La résilience n’est pas un catalogue de qualités que posséderait un individu. C’est un processus qui, de la naissance à la mort, nous tricote sans cesse avec notre entourage. »
Boris Cyrulnik
La résilience n’est pas non plus une guérison “une bonne fois pour toutes”. La résilience est comme une cicatrice. La résilience n’exclut ni la colère, ni le découragement.
« Nous portons les cicatrices de nos blessures. À nous de les honorer, car elles disent aussi que nous avons survécu et qu’elles nous ont rendus plus forts ou plus lucides. »
Jacques Salomé
Accepter cette colère en soi, trouver des moyens de l’exprimer, c’est une première étape.
- On peut en parler à quelqu’un
- On peut écrire ce que l’on ressent et brûler le papier
- On peut aller crier dans la forêt ou dans sa voiture (à l’arrêt et fenêtres fermées !)
Christian Bobin, le grand poète français, écrivait :
« Ce qui ne va pas danser au bord des lèvres s’en va hurler au fond de l’âme. »
C’est là toute l’utilité des groupes de parole à l’intention des personnes aidantes : ils permettent de partager avec d’autres personnes qui comprennent vraiment ce que l’on vit.
C’est là, aussi, toute l’utilité de la plateforme que nous avons imaginée pour toi, Fabuleuse aidante qui t’es inscrite au programme gratuit de “La Pause douceur” et qui peux échanger avec d’autres Fabuleuses sur une plateforme dédiée.
Ce vécu des hauts et des bas qui fait le quotidien d’une personne aidante provoque des émotions diverses, qui sont d’abord à accepter.
- Il y a la colère, mais aussi la peur — la peur de l’inconnu, la peur de ne pas pouvoir faire face aux “crises”, la peur du futur.
- Il y a aussi la tristesse, face à la détérioration de l’état de santé du proche que l’on aide, face à l’absence de “progrès” de l’enfant handicapé, face à la maladie qui évolue négativement malgré les traitements lourds, comme cela arrive avec le cancer.
Cette tristesse, j’en parlerai prochainement et de façon plus spécifique : je parlerai du “deuil blanc” qui touche ceux qui accompagnent un proche atteint de la maladie d’Alzheimer.