Ça a commencé quand j’avais une quinzaine d’années : une mère malade, handicapée physiquement, dont j’ai dû m’occuper un peu comme on s’occupe de son enfant. Étant très souvent seule avec ma mère, j’ai appris à faire les courses pour elle, à lui faire à manger, comme elle n’était pas en mesure de le faire.
À 17 ans, je me souviens des préoccupations que j’avais quand je m’absentais de la maison pour vivre ma vie d’adolescente.
Passer du temps avec mes amis, aller en vacances cet été-là chez une amie, j’en avais besoin… Mais qui allait s’occuper de ma mère ? Comment m’absenter sereinement pour vivre ma vie de jeune fille ?
À cette même période, mon frère a également basculé dans une maladie psychiatrique suite à un traumatisme et à des erreurs de jeunesse que l’on fait à 20 ans et qui sont parfois irrémédiables…
Je traversais alors également mes propres difficultés et nombreux chamboulements et questionnements que l’on vit à cet âge charnière où l’on passe du monde de l’enfance à celui des adultes.
J’ai endossé très tôt, trop tôt, des responsabilités d’adulte.
Je n’étais pas à l’aise avec les camarades de mon âge. J’avais des préoccupations bien différentes : à 18 ans, par exemple, je faisais ma première déclaration d’impôts.
Petite dernière d’une fratrie de trois enfants, mon frère et ma sœur ayant sept et neuf ans de plus que moi, je suis devenue comme “fille unique” à cette période où mon destin, sans que je m’en rende compte alors, a basculé et pris le chemin de l’aidance et du handicap.
Je crois que c’est depuis cette période-là que mon père et moi sommes devenus des piliers l’un pour l’autre ainsi que pour notre famille.
Malgré cette place bien particulière et pas facile, d’être ce pilier, c’est ce qui m’a pourtant fait avancer et donné la force et la capacité de faire des choix, raisonnés et raisonnables, dans ma vie.
Mais j’aurais tout aussi bien pu mal tourner… Soutenue par mon père, mais également par ma mère, j’ai fait des études supérieures et, à 24 ans, je décrochais mon premier CDI et participais activement au développement commercial d’une start-up.
Comment dire ? Ces choix raisonnés et raisonnables n’étaient pas forcément mes aspirations profondes… mais ça, c’est une autre histoire !
Pas simple non plus dans ce contexte et toutes ces responsabilités endossées, de faire MA vie, notamment sentimentale.
Et puis les années ont passé, plusieurs changements de chemin, avec toujours ce rôle d’aidante omniprésent.
Notamment avec l’aggravation du handicap de ma mère, un rôle sur lequel je n’avais toujours pas mis ce mot : « aidante ».
À chaque nouvelle épreuve, à chaque nouvelle difficulté, j’ai été portée par encore plus d’envie de challenge, d’aller de l’avant.
J’ai appris que j’étais particulièrement résiliente.
Ainsi, j’ai repris mes études à 30 ans, beaucoup mûri, emmagasiné des expériences variées et après 2 fausses couches, un « miracle » est arrivé : mon enfant fabuleusement différent !
En plus de ce nouveau challenge que m’a apporté la vie en faisant de moi une maman aidante, multi aidante — car c’est finalement assez récemment et notamment grâce à la rencontre du site des Fabuleuses au foyer puis celui des Fabuleuses Aidantes que j’ai pu mettre un mot sur ce rôle, le rôle de ma vie, mon destin — eh bien en plus de ça, je suis maman solo ! Oui oui, maman solo d’un enfant merveilleusement différent !
Et là vous vous dites sans doute que c’est fini, que « Merci, la coupe est pleine, pas besoin d’en rajouter », eh bien non, ce n’est pas fini !
Ce n’est peut-être même que le début.
En effet, mon père, mon pilier, mon plus fort et plus grand soutien a chopé — malgré toutes les précautions qu’il a prises depuis plus d’un an — cette saleté de covid. Et devinez quoi : mon papa est en réanimation depuis plus d’un mois !
Coma, intubation, réveil, ré-intubation et re-coma, nouveau réveil : avorté.
On sort à peine du coma artificiel, là il est encore intubé et ne peut ni parler ni bouger aucun de ses membres, lui qui était tellement actif… Et ça, à nouveau, ce sera encore une autre histoire que de vous raconter ce que m’apprend la « réa », mais me voilà aujourd’hui le seul pilier encore debout dans ma famille, le seul pilier sur qui je puisse vraiment compter, à l’instant où je vous parle.
La coupe est pleine, oui, elle déborde.
Mais tout ce qui est dans cette coupe, tout ce qui déborde, c’est mon énergie, pour aller de l’avant encore plus qu’avant, accepter mes imperfections et ma vulnérabilité, apprendre à choisir mes combats, mes priorités, savoir demander et accepter de l’aide, et aujourd’hui essayer tout de même de ne pas m’oublier, parce que plus que jamais, « Quand maman va, tout va », parce que tout ça c’est mon fabuleux destin, un destin rempli d’amour et d’émotions, un destin tellement difficile, c’est vrai, mais tellement riche que je ne l’échangerais pour rien au monde !
Je voudrais simplement te dire, chère Fabuleuse, qui comme moi sans doute, te demande parfois quand la coupe va arrêter de se remplir alors qu’au lieu de ça elle déborde ? Eh bien sache que c’est possible de transformer tout ça en force et en énergie positive, parce que de toute façon, on n’a pas le contrôle, alors pour commencer, autant voir les choses du bon côté, non ? Et voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide, justement… et même s’il déborde 😉
Ce texte nous a été transmis par A., une Fabuleuse aidante.