À 37 ans, et après 10 ans dans un cabinet en tant que salariée, Julia Peyre s’est lancée comme avocate en droit social et en droit des aidants en entreprise. Son parcours personnel, marqué par l’accompagnement de sa maman atteinte de la maladie d’Alzheimer, éclaire cette envie de soutenir les aidants en entreprise.
Comment avez-vous découvert le monde des aidants ?
Je suis devenue aidante sans le savoir, puisque ça fait 8 ans que j’accompagne ma mère qui a la maladie d’Alzheimer. Au début et pendant longtemps, je ne me considérais pas du tout comme une “aidante”. Mon rôle s’est intensifié au fil du temps et de l’avancée de la maladie. Je suis donc devenue aidante, mais je ne me sentais pas concernée par ce terme d’“aidante” parce que je ne le connaissais pas forcément, et quand je me suis retrouvée “plongée” dedans, ce n’était pas forcément le sujet auquel je pensais et auquel j’avais envie de m’intéresser.
J’ai pris le temps de m’intéresser à la question des aidants il y a un an, lorsque j’ai décidé de faire une pause professionnelle après une période compliquée. J’étais en arrêt de travail parce que j’étais épuisée de cumuler toutes ces casquettes : entre ma vie professionnelle, ma vie personnelle, ma maman… Dans cette phase d’introspection, c’est là que j’ai découvert le monde des aidants et que je me suis reconnue comme telle.
Je suis donc partie en exploration sur le monde des aidants et j’ai fait énormément de recherches, évidemment juridiques, mais aussi plus globales : j’ai découvert un monde passionnant et à partir de là, ça ne s’est plus arrêté. J’avais envie d’en savoir plus.
Quelle est selon vous la première problématique de la personne aidante ?
La solitude et l’isolement. Je crois qu’en tant qu’aidant, on a tendance à se replier sur soi-même, à ne pas avoir l’énergie d’aller vers les autres ou à trouver du réconfort auprès d’autres aidants qui traversent la même chose.
D’ailleurs, l’isolement est un vrai sujet, même en entreprise, pour les aidants qui travaillent. Il faut essayer de parler de plus en plus de ce sujet, pour que les gens en parlent, se reconnaissent et se rendent compte qu’ils ne sont pas seuls. C’est ce qu’il s’est passé pour moi au fur et à mesure des rencontres et des discussions.
Qu’est ce qui peut soutenir l’aidant au quotidien ?
Déjà, les proches peuvent soutenir l’aidant : le cercle privé qui partage cela avec lui et qu’on a parfois tendance à oublier. Pour moi en l’occurrence, c’est mon mari, ma fille, ma meilleure amie, les gens qui me sont très proches et qui sont au courant de cette situation depuis le début. Ce sont des piliers. Le cercle restreint qui nous entoure devient en quelque sorte l’aidant des aidants. Et en même temps, on ne peut pas s’appuyer uniquement sur eux parce que c’est très lourd à porter aussi pour eux.
C’est important d’être aidé aussi par des professionnels. Je vois un psychologue toutes les semaines et ça me fait beaucoup de bien de parler de ça. L’aidant a le droit de demander de l’aide. Demander de l’aide, c’est très difficile et particulièrement pour des aidants qui ont l’impression qu’ils peuvent tout gérer. C’est très important d’arriver à se poser, d’identifier de quoi on pourrait avoir besoin, et d’arriver à le formuler. Parce que les gens qui sont autour de nous ne savent pas forcément comment nous aider et ils n’osent pas le faire. Il faut apprendre à faire le travail de formuler des demandes concrètes.
Et inversement ! Les gens qui nous entourent — que ce soient des collègues, des amis, des voisins, la famille — et qui aimeraient faire quelque chose peuvent aussi essayer de proposer une aide concrète. Ça peut être des choses simples comme faire des courses, préparer un plat maison, accompagner une personne à des rendez-vous médicaux : toutes ces choses qui vont aider dans un quotidien qui est déjà assez difficile comme ça.
Vous avez osé peu à peu parler de l’aidance autour de vous ?
J’ai mis du temps à évoquer ce sujet dans mon cercle proche, à mes amis, au travail, mais je l’ai fait. Et puis une fois que j’ai commencé à en parler, je ne pouvais plus m’arrêter. Je ne voulais plus me cacher : ça faisait partie de ma vie. Aujourd’hui, le travail que j’essaie de mettre en place c’est de donner plus de visibilité aux aidants.
Je me suis aussi rendue compte qu’il y avait plein de gens concernés par l’aidance. Les chiffres sont énormes : on parle de 11 millions d’aidants (au moins) en France et on estime que 20 à 29% de personnes le sont ou l’ont été…
Après 10 ans comme avocate salariée, vous avez décidé de vous lancer dans une nouvelle aventure…
Aujourd’hui, je travaille à mon compte : je suis avocate en droit du travail et en droit des aidants en entreprise. J’accompagne à la fois les salariés sur la problématique du travail, et particulièrement les salariés aidants, notamment en les informant de leurs droits, puisqu’ils ont des droits en tant que salariés et aidants.
J’accompagne les entreprises de la même manière sur les sujets de droit du travail, et particulièrement sur le sujet du droit des aidants. J’essaie de les accompagner pour trouver des solutions juridiques — puisqu’il y en a — pour continuer à travailler sereinement. Aujourd’hui, les salariés aidants représentent 20% des effectifs des entreprises. Il y a un vrai intérêt pour les entreprises à se saisir de ce sujet.
Selon vous, les aidants ne connaissent pas leurs droits ? Qu’est-ce qui existe déjà en France ?
Je trouve très important de parler du droit des aidants salariés parce que ça fait partie du droit du travail.
Ce sont des petites choses, mais c’est important d’en parler parce qu’elles existent. Un certain nombre de congés existent pour les salariés aidants, dont le congé de proche aidant, qu’on connaît le mieux. Il permet de prendre des jours de congé, avec une indemnisation partielle et il concerne toutes les personnes qui vont aider un de leurs proches. Il y a aussi le congé de solidarité familiale ou le congé de présence parentale, qui touchent des situations et des catégories de personnes différentes.
Il existe d’autres dispositions, en lien par exemple avec l’organisation du temps de travail. On sait que le temps, c’est l’enjeu des aidants. La flexibilité est vraiment importante pour pouvoir s’organiser. Par exemple, les aidants ont la possibilité de demander des horaires individualisés : ils gardent la même durée de travail, mais peuvent arriver plus tôt le matin et partir plus tôt le soir en fonction de leurs besoins. Tout cela doit évidemment être formalisé avec l’employeur, mais c’est une possibilité.
Il y a aussi des dispositions qui existent pour les travailleurs de nuit, par exemple. On peut être travailleur de nuit et devenir aidant. Dans ce cas, on a la possibilité de demander à son employeur de repasser de jour. C’est un droit, car travailler de nuit et être aidant peut être particulièrement compliqué.
Et puis il y a le don de jours de congé, mais qui est malheureusement encore très peu utilisé. C’est un super dispositif pour tous les aidants qui permet aux autres salariés de l’entreprise de donner une partie de leurs jours de congé pour les personnes identifiées comme salariés et aidants. D’où la nécessité de s’identifier et d’aller voir son employeur pour parler de sa situation, afin de pouvoir bénéficier de ces droits.
Vous proposez aussi un accompagnement pour que les entreprises prennent mieux en compte leurs salariés aidants. En quoi cela consiste-t-il ?
Il y a un niveau d’information à avoir sur les droits des salariés aidants et les obligations en tant qu’employeur. Par exemple, l’employeur a une obligation de sécurité, c’est-à-dire de prendre soin de la santé et de la sécurité de ses salariés. Et les salariés aidants sont susceptibles d’être plus sensibles aux risques psycho-sociaux. C’est important de les identifier parce que l’employeur peut avoir une responsabilité à ce niveau là.
Mon accompagnement se base sur du conseil et de l’information juridique. Et puis, plus globalement, avec un partenaire, j’essaye d’informer et de sensibiliser l’employeur et tous les salariés, les managers de l’entreprise, sur ce qu’est être aidant et salarié. Qu’est ce que ça implique ? Quels sont les besoins des aidants ? C’est un premier volet de sensibilisation qui est essentiel, mais moins juridique.
J’accompagne également les entreprises qui ont envie de mettre en place une politique à destination de tous leurs salariés aidants. Je les aide pour négocier et rédiger un accord collectif sur ce sujet des salariés aidants.
Un prix est remis chaque année aux entreprises qui mettent en place des politiques à destination des aidants. C’est important de le rappeler et de dire que ça peut concerner toutes les entreprises. Des mesures très simples et pas forcément coûteuses peuvent être mises en place. Et ça peut se faire dans les TPE et les PME, pas uniquement dans des grands groupes.
Je ressens comme une « méfiance » du salarié envers son employeur à lui dire qu’il est aidant. Et aussi une méfiance envers les salariés aidants…
Je pense que malheureusement, oui, c’est encore comme cela que c’est perçu aujourd’hui. On a donc tout intérêt à parler au maximum du sujet de l’aidance. En premier, il faut commencer par l’information et la sensibilisation, pour démontrer que ce ne sont que des préjugés et que ce n’est pas la réalité.
Il faut retourner les choses, présenter ces salariés dans les entreprises comme des atouts, comme des bénéfices, et non comme les personnes qui vont profiter du système ! Au contraire, ce sont des salariés qu’il faut mettre en avant parce qu’ils ont développé des qualités extrêmement intéressantes pour l’entreprise. Ils peuvent devenir un axe de performance pour l’entreprise.
Celle-ci a tout intérêt à mettre en avant les aidants, à valoriser les compétences particulières qu’ils ont développées et donc à s’adapter : écouter les besoins en flexibilité, par exemple, pour trouver un meilleur équilibre et permettre aussi à l’entreprise de favoriser ces talents. Parce que 20% des salariés sont aidants, et que c’est énorme.
Et à l’inverse, pour les salariés qui n’osent pas parler à leur employeur de leur situation, c’est important de se poser la question du « pourquoi ». Peut-être qu’à la base, un cadre de confiance n’a pas été créé. Selon moi, c’est vraiment dommage et assez problématique que des salariés n’osent pas parler. Je dis toujours aux salariés qui viennent me voir qu’il faut trouver la bonne personne : une personne en qui vous avez confiance, à qui vous vous sentez de parler de ça. Ce n’est pas forcément le DRH, ça peut être votre manager, les représentants du personnel…
Et c’est aussi important d’être armé :