Conjoints aidés

En chemin, j’ai rencontré

Axelle Huber 17 février 2025
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Je te propose, chère Fabuleuse, de poursuivre la métaphore de la marche que j’ai entamée dans mon précédent texte.

Cheminant sur sa longue route pleine d’embûches qu’il faut contourner à droite, à gauche, au-dessus, en dessous, notre Fabuleuse aidante en a rencontré, d’autres marcheurs, que ce soit sur les sentiers ou dans les refuges. Certains étaient assez lointains, d’autres semblaient pressés. D’autres enfin acceptaient la rencontre. Il y en avait de tous les genres.

D’abord, elle a rencontré le “pro”.

Celui qui a le super matos dernier cri. Il a les bonnes chaussures imperméables, la tente super légère qui se monte et se plie en deux secondes, la gourde qui garde l’eau fraîche en permanence. Et là, bien malgré elle, elle entendait en elle ces comparaisons vicieuses et insidieuses : « Il est bien mieux équipé que moi », « Elle est tellement plus courageuse que moi »… Pourtant, elle aussi, elle est sur son chemin, et elle marche.

Un peu dans la même veine,  elle a dû subir le “vétéran”.

Lui, il connaît les Alpes comme sa poche parce qu’il a « lu plein de bouquins sur le sujet ». Donc il sait tout mieux qu’elle. Il préfère expliquer à l’aidante en quoi elle fait n’importe quoi plutôt que regarder la vue. De même, il a cette manie de te démontrer par A + B en quoi le chemin de untel est bien plus difficile que le tien, et qu’elle a vraiment beaucoup de chance de n’avoir que 1200 mètres de dénivelé. Au programme : jugements et hiérarchisation des souffrances

Ensuite, il y a eu le “touriste”.

Il est en vacances, et se balade. Quand il a vu l’aidante sur la route, il est tout de suite venu la rejoindre. Lui aussi il est un pro de la comparaison. Il la trouve formidable, cette aidante, avec ses vieilles chaussures, son chemisier troué, son sac qui sent encore l’odeur de la cave et sa tente délavée. Il marche à côté d’elle, lui explique à quel point elle est courageuse, et qu’elle est un modèle pour lui. Il est convaincu que l’aidante est une « sur femme » et qu’elle n’a pas besoin de lui. Aussi ne pense-t-il pas à proposer un peu d’eau, ou de l’aide pour porter son sac. Il l’idéalise tellement qu’il passe à côté de sa réalité. 

Après, il y a eu le randonneur “éco responsable”.

L’aidante a accidentellement commis le crime impardonnable de s’asseoir sur un type d’herbe rarissime selon lui, alors il lui donne une leçon non sollicitée sur l’importance du respect de la nature. Au fond, peut-être qu’il n’a pas tort. Mais sur la forme, ces injonctions peuvent être très violentes. Après 8 heures de marche par 35°, tout ce dont l’aidante avait besoin c’était d’un peu de bienveillance et d’écoute, pas que l’on rajoute de la souffrance à la souffrance ni qu’on lui dicte son attitude. 

Elle est encore tombée sur le “contrôleur envahissant”.

Elle ne lui a absolument rien demandé, mais voilà qu’il lui explique qu’elle est nulle en respiration, qu’elle ne sait vraiment pas faire alors que lui a une super technique qu’il se fait une joie de lui partager. Il embraye ensuite sur la façon dont elle pose le pied par terre : apparemment ça ne va pas du tout. Infantilisations et intrusions permanentes. Elle a l’impression d’être, dans ses yeux, un enfant de 8 ans, incapable de s’autogérer. Convaincu qu’elle a absolument besoin de son aide, il s’immisce dans sa vie privée et outrepasse son rôle dans votre relation. De proche, il devient paternaliste et moralisateur.

Et puis, il y a eu le silencieux, celui dont le silence était d’or.

Il n’a rien dit, n’a posé aucune question. Pointant du doigt ou de la tête, de temps en temps, un sommet enneigé, ou enturbanné de mille et une couleurs, une fleur, une marmotte. Il est resté là, ses yeux un peu embués lui aussi, sans rien dire, quand l’aidante a, sans un mot, pleuré sa fatigue, sa route interminable. Il n’a même pas dit son nom, il n’a pas parlé.

Quand il est parti, l’aidante contemplait son paysage intérieur.

Peu après, elle est entrée dans le refuge voisin dont la porte était ouverte, délaissant sa tente. Là, elle a trouvé une hôtesse haute comme trois pommes mais forte comme un Turc, qui l’a invitée à éplucher les pommes de terre et couper les poireaux pour la soupe. Elle a remis deux-trois bûches dans la cheminée, a préparé un café chaud, pas très bon, qu’elle a tendu en souriant à notre Fabuleuse aidante. Avec ses petites mains calleuses et son sourire de travers, elle a fabriqué un espace d’écoute et de dialogue, pour répondre aux besoins de son invitée inconnue, en l’écoutant et en l’aimant. Et l’aidante a déversé son trop plein, elle s’est sentie accueillie. C’est alors qu’elle a pu s’ouvrir à la rencontre et s’intéresser aussi à l’histoire de l’hôtesse. 

Et ensemble, elles ont fini la soirée en écoutant La route de Arthur H et en s’interrogeant sur cette parole de la chanson : « Ce que tu veux vivre, tu le vis ! »

* J’ai écrit ce texte avec ma fille aînée, Mayalène, étudiante en Master de psychologie.



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Cet article a été écrit par :
Axelle Huber

Coach et thérapeute, Axelle Huber accompagne aujourd’hui les personnes sur des enjeux de connaissance de soi, de compétences émotionnelles et relationnelles,  de développement personnel, et notamment dans des contextes de ruptures de vie comme peuvent l’être l’aidance ou le deuil. Elle donne des conférences et anime des ateliers sur ces sujets.

Elle est l’auteur de Si je ne peux plus marcher je courrai, Mame 2016 et  de Le deuil, une odyssée, mame 2023.

https://axellehuber.fr

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