Enfants extraordinaires

Dire ou ne pas dire…

Axelle Huber 10 juillet 2023
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Chère Fabuleuse,

As-tu certains jours envie de hurler de douleur et cherches-tu l’oreille où déverser ta peine ? Peut-être espères-tu de l’aide de tes proches sans être en mesure ni de la demander ni de la recevoir pleinement. Peut-être n’est-elle pas à la hauteur de tes attentes ?

Vous désirez vous trouver l’un et l’autre, ton proche et toi, et vous avez tous deux le sentiment de marcher sur des œufs, et même carrément sur un terrain miné. 

« Sa colère m’a envoyé un double uppercut ! », se plaint parfois ton proche pourtant désireux de te tourner vers toi, la Fabuleuse aidante. 

« Son silence ou ses boulettes m’ont envoyé au tapis ! », réponds-tu.

Tous deux vous souhaitez trouver la juste posture pour écouter et être écouté, aider et être aidé, consoler et être consolé de cette peine immense et incommensurable. 

Je me sens moi-même comme un équilibriste qui tente d’éviter les maladresses ou les silences fuyants. Je crois que nous avons tous peur d’être maladroits, et cette peur nous empêche d’agir quand bien même nous le voulons. J’ai subi, en tant qu’aidante, des “maladresses d’amour ”. Il arrive que ton proche, quel que soit son degré de proximité, soit assez pataud. Pétri des meilleures intentions (la plupart du temps du moins), il arrive que ses mots ou ses gestes te fassent plus de mal que de bien. Lui qui pourtant non seulement ne voulait pas te blesser mais voulait t’aider. Cette maladresse peut s’ajouter à ton poids de souffrance et remettre une couche d’émotion désagréable. 

Et, bien sûr, j’ai agi moi-même et agis encore avec maladresse.

À quoi bon alors écrire ces lignes ? Probablement parce que je sais d’expérience qu’il nous faut accepter que, de par notre condition humaine et imparfaite, nous commettons tous des impairs, et que disposer de ces réflexions et d’informations pourrait nous permettre d’en commettre un peu moins.

Celui qui veut t’entourer, chère Fabuleuse, doit garder en tête qu’une partie de toi est comme écorchée vive, toi qui vis la grande épreuve de la maladie et d’une forme de deuil, le deuil blanc. Je t’encourage à inviter tes proches à passer les paroles ou pensées qu’ils souhaiteraient te donner…

… au travers des trois filtres de Socrate dont voici le récit : 

Comme chacun le sait, Socrate avait, dans la Grèce antique, une haute réputation de sagesse.

Un jour, quelqu’un vient trouver le grand philosophe et lui demande :

– Sais-tu ce que je viens d’apprendre sur ton ami ?

– Un instant. Avant que tu ne m’en dises plus, j’aimerais te faire passer le test des trois filtres.

– Les trois filtres ?!

– Mais oui, reprit Socrate. C’est ma façon à moi d’analyser ce que j’ai à dire et ce qu’on me dit. Tu vas comprendre… Le premier filtre est celui de la vérité. As-tu vérifié si ce que tu veux me dire est vrai ?

– Non. J’en ai simplement entendu parler…

– Très bien. Tu ne sais donc pas si c’est la vérité.

–  …

– Alors passons au deuxième filtre : ce que tu veux m’apprendre sur mon ami, est-ce quelque chose de bon ?

– Ah non ! Au contraire.

– Donc, continua Socrate, tu veux me raconter de mauvaises choses sur lui et tu n’es pas certain qu’elles soient vraies.

– Euh…

– Pour finir, et c’est mon troisième filtre, est-il utile que tu m’apprennes ce que mon ami aurait fait ?

– Utile, non, pas vraiment.

– Alors, conclut Socrate, si ce que tu as à me raconter n’est ni vrai, ni bien, ni utile, à quoi bon m’en parler ?

Difficile pour ton entourage de savoir quand et comment intervenir à bon escient.

Certes le récit ci-dessus évoque d’abord ce que des proches peuvent vouloir répéter ou non depuis une information extérieure. Mais on peut extrapoler cette métaphore des trois filtres de Socrate à ce que les proches pourraient vouloir dire depuis leur for interne. Ce qu’ils ont en tête d’énoncer, est-ce vrai, utile et bon ? Cette vérité est elle objective, basée sur des faits indiscutables ou sur une interprétation ?

Ton interlocuteur est-il certain que tu n’aies pas déjà conscience de ce qu’il s’apprête à te dire ? Quel est son but ? Veut il appliquer l’adage « qui aime bien châtie bien » pour vous faire grandir et améliorer la situation ? À quel prix ? Le jeu en vaut-il la chandelle ? Adage à balancer avec un autre : « Toute vérité n’est pas bonne à dire ! » Le fait d’avoir cette discussion sera t-il aidant  pour toi ? Et pour ton aidé ? Serait-ce culpabilisant et jugeant pour toi et aidant pour tes proches ? Ou bien l’inverse ? Serait-ce bénéfique — à court terme ou à long terme — que ton égo en prenne un coup sur la figure ? Suite à ces paroles, il importe de regarder quoi mettre dans ta balance : la perte d’estime de soi et sentiments pensées et émotions désagréables (du style « Je suis nulle », « C’est de ma faute » ou encore « J’enrage devant ce qui a été asséné ») ou ton réajustement dans ta vie d’aidante. Cela peut-il être l’un puis l’autre ? 

Difficile de discerner et pourtant, c’est une question importante.

Il s’agit pour ton entourage et toi de prendre un peu de temps pour mettre ses “lunettes de recul” ou sa longue vue si tu préfères ! Les enfants eux-mêmes peuvent se dire des choses qui font du mal. Par exemple, Arthur, dix ans, avait pu s’entendre dire : « Depuis que ton frère est malade, tu es vraiment chiant. »

Lorsque mon Fabuleux Léonard était très malade (de cette SLA, Sclérose Latérale Amyotrophique plus connue sous le nom de maladie de Charcot) qui le laissait en fauteuil, quasiment tétraplégique avec une atteinte de la déglutition, parole et respiration, un proche nous avait déclaré qu’il « manquait quelque chose dans la relation des enfants à leur père » et qu’il souhaitait venir nous en parler. L’aînée de nos quatre enfants avait alors huit ans et mon Fabuleux, un mari, un père faisant de son mieux au cœur de la maladie, devait décéder un an plus tard. Nous n’avions pas sollicité l’aide de ce proche dans ce domaine éducatif ou relationnel. Pour répondre à sa demande de venir nous parler, je lui avais proposé de passer ses propos au travers des filtres de Socrate. Il avait alors renoncé. Son jugement était sûrement vrai. Mais sur le coup, cela n’aurait été ni utile (nous avions conscience de nos limites et imperfections) ni bienfaisant de se l’entendre dire. Cela nous aurait ajouté de la culpabilité alors que nous étions déjà en “mode survie” et toute notre énergie prise pour le quotidien.

Nous nous étions sentis jugés.

Étions nous trop susceptibles ou fiers ? Si cela ne nous aurait pas forcément fait du bien d’entendre sa pensée, cela aurait-il été bénéfique pour nos enfants, pour la relation familiale ? C’est possible. Il importe donc pour ton entourage de vérifier avant de parler à quoi dire.

Chère Fabuleuse, à toi de vérifier ton besoin, ton désir et ton énergie :

Es-tu prête à accepter d’entendre des vérités ou des jugements qui peuvent t’amener à te transformer ? Comment ceux-ci devraient ils être énoncés ? La forme est essentielle : les mots, le ton, la posture choisie parle t-elle de compassion, de bienveillance ? Le message à faire passer pourrait-il être tourné autrement ? À la question de dire ou non les choses, se superpose finalement, celle tout autant essentielle de comment exprimer les choses. Peux tu réfléchir à cela avec ton entourage? Idéalement en amont ! Qu’il ait en tête de tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler à toi qui souffre et qui est écorchée vive par cette souffrance. La réciproque est vraie car non seulement tu n’as toujours pas le monopole de la souffrance, mais la relation est si précieuse qu’il importe d’en prendre soin des deux côtés. 

Nous avions mesuré toute l’intention positive, la sincérité de l’ami qui avait voulu parler pour un mieux. La fidélité en amitié, encore aujourd’hui, l’attachement au malade puis après la mort de celui-ci, à son souvenir, m’ont touchée et j’ai pu garder ce lien précieux avec ce proche et raconter cette anecdote avec son accord.

J’ai exprimé dans mon live Si je ne peux plus marcher, je courrai ! que cette demande toute simple de mes proches envers moi, l’aidante de Léonard : « De quoi as-tu besoin aujourd’hui, dans l’ici et maintenant ? » avait été très précieuse. Peux-tu dire à ton entourage que tu as besoin d’être, selon ton énergie et tes besoins, un peu épargnée ou à l’inverse d’être un peu challengée ?

Et ensemble, avec tes proches, heureux de votre amitié, vous chanterez peut être :



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Cet article a été écrit par :
Axelle Huber

Coach et thérapeute, Axelle Huber accompagne aujourd’hui les personnes sur des enjeux de connaissance de soi, de compétences émotionnelles et relationnelles,  de développement personnel, et notamment dans des contextes de ruptures de vie comme peuvent l’être l’aidance ou le deuil. Elle donne des conférences et anime des ateliers sur ces sujets.

Elle est l’auteur de Si je ne peux plus marcher je courrai, Mame 2016 et  de Le deuil, une odyssée, mame 2023.

https://axellehuber.fr

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