Ancienne professeure d’histoire-géographie, Axelle Huber a traversé le deuil et la maladie dans sa famille. Mère de quatre enfants, elle est aujourd’hui autrice, formatrice et coach. Elle écrit, conçoit jeux, ateliers et formations pour aider les aidants à retrouver souffle, sens et ressources au quotidien. Son credo : transformer l’épreuve en force et transmettre l’art de prendre soin de soi et des autres. Axelle est également chroniqueuse pour le blog des Fabuleuses Aidantes.
Comment veux-tu te présenter ?
Je suis avant tout maman de quatre grands enfants, âgés de 16 à 21 ans, qui sont de véritables aventuriers de la vie. Nous avons traversé de grandes épreuves : la sclérose latérale amyotrophique (SLA) de mon mari Léonard, son décès alors que l’aînée de nos 4 enfants n’avait que 9 ans et demi, et le dernier à peine 5.
Puis la maladie de mon fils Calixte, qui a déclaré en 2024 un cancer des os du bassin, à 15 ans. Ces expériences nous sont “tombées dessus” et m’ont appris la force de l’amour, la nécessité de demander de l’aide et la capacité de trouver des ressources malgré la douleur.
Ancienne enseignante d’histoire-géographie, j’ai toujours eu le goût de transmettre. J’ai commencé par accompagner des jeunes sur leur orientation, des parents sur des questions de parentalité et d’éducation, avant de publier deux livres ; un troisième paraîtra au printemps prochain sur les aidants. Créer des conférences, des formations et des ateliers, mais aussi écrire, sont pour moi des moyens de respirer, de comprendre, d’accompagner et de créer du lien.
À 40 ans, j’ai décidé d’exercer pleinement ma créativité longtemps mise de côté. Elle est aujourd’hui, pour moi, une source de joie et d’énergie. Elle nourrit mon travail : j’articule thérapie et coaching pour proposer des repères concrets et des outils précis, qui aident chacun à s’écouter, à se comprendre et à mobiliser ses ressources, même dans les moments de grands bouleversements.
J’ai aussi besoin de beauté et d’harmonie : la nature, les couleurs, la décoration, mais aussi le silence et la possibilité de voir l’horizon. La vie citadine nous enferme souvent dans des espaces verticaux, alors que nous avons besoin de respirer, de voir loin et de retrouver la nature. C’est d’autant plus vrai pour les aidants, qui sont les premiers à être exposés aux tsunamis relationnels et émotionnels.
Voilà comment je veux me présenter : comme une femme qui se prend des gadins, et qui continue d’essayer d’avancer et de cheminer, à la fois mère, autrice, formatrice et créatrice. Une femme qui a traversé des épreuves, mais qui choisit de transformer, de transmettre et d’ouvrir des espaces où l’on respire, où l’on retrouve du sens, du beau et des ressources pour avancer.
Comment as-tu organisé l’aide autour de toi lors de la maladie de Léonard ?
J’ai appris à essayer d’identifier mes besoins concrets et à les exprimer clairement. Ce qui semblait parfois banal devient rapidement compliqué lorsque les journées se réorganisent autour des soins, des rendez-vous et des hospitalisations. Il fallait penser aux repas, aux trajets, à trouver des relais pour les enfants. Lorsque l’escalier de la maison est devenu impraticable, nous avons lancé un appel aux dons, recherché des artisans et organisé des travaux d’adaptation dans notre maison. J’ai demandé de l’aide. Les attentions de quelques-uns ont permis de sentir que le fardeau était plus léger. On m’aidait à le porter : quelqu’un qui vient cuisiner deux fois par semaine, un ami qui conduit les enfants, une voisine qui apporte un panier repas. Ces services sont autant de signes qui m’ont dit, à leur manière : « Vous comptez pour nous ! »
Et plus récemment, comment cela s’est passé avec ton fils ?
Les groupes WhatsApp ont tout changé depuis la mort de Léonard en 2013. Ils ont grandement facilité l’organisation de l’aide autour de nous. Pour faire face à la maladie de mon fils Calixte qui s’est déclarée en 2024, nous avons mis en place deux groupes distincts.
Le premier, un groupe large, permet de donner des nouvelles et de solliciter différents types de soutien : messages d’encouragement, prières, participation à des courses, ou encore engagement dans des opérations comme “une lettre par jour pour Calixte” ou des chaînes de prière.
Le second, plus restreint et local, est dédié aux aides logistiques du quotidien : préparation de repas, conduites, rangement, jardinage…
Lorsque la vie devient difficile, ces soutiens concrets rappellent que nous ne sommes pas seuls.
Aujourd’hui, mon fils reste fortement handicapé sur le plan moteur. Je m’efforce constamment de trouver la juste distance entre la sollicitude maternelle et le respect de son autonomie. Nous dialoguons, nous nous ajustons, et nous essayons, ensemble, de construire un équilibre au quotidien.
Qu’as-tu compris de ces deux expériences d’aidante ?
J’ai compris que le chemin se fait en marchant. Il ne s’agit pas de se demander « pourquoi je souffre », mais plutôt « comment je réponds à cette souffrance ». Ce qui importe, c’est la manière dont on choisit d’y répondre. Rester dans la révolte ou le déni peut bloquer le processus et empêcher d’avancer. Descendre dans son intériorité, trouver des moments de silence, identifier des personnes de confiance avec qui échanger : tout cela permet de transformer la douleur et de remettre de la vie dans son quotidien. J’ai beaucoup travaillé sur le deuil et j’ai compris que toute perte est une forme de deuil — j’extrapole ainsi la notion de deuil blanc. Le deuil est une odyssée : on ne le traverse jamais en ligne droite, mais par étapes, en réajustant sans cesse notre chemin.
Tu écris beaucoup. Comment l’écriture accompagne-t-elle ton chemin ?
L’écriture — comme la marche pour moi — est thérapeutique. Ça me permet de me connecter au réel pour y mettre de la lumière. C’est dur parfois d’écrire, mais j’y reçois tant de joies ! J’écris pour comprendre, pour nommer ce que je ressens, pour évacuer la colère et trouver du sens. J’ai aussi des carnets — j’ai terminé le quatrième — où je mélange écriture, dessin et collage : ces pratiques sont autant d’outils thérapeutiques. Elles permettent d’objectiver la souffrance et de la transformer en matériau pour se reconnecter à mes ressources et avancer malgré les épreuves.
Quand as-tu réalisé que tu étais « aidante » ?
Je n’ai découvert ce terme d’aidant qu’après la mort de mon mari. Dans mon premier livre, j’avais d’abord utilisé par erreur le terme « soignant familial », sans réaliser que j’étais véritablement moi aussi une aidante. La conscience de ce statut est venue plus tard : c’est un mot qui porte une histoire administrative, sociale et intime. Cette prise de conscience a profondément changé ma manière de me former, de m’engager et d’écrire. J’ai compris qu’il était essentiel de donner des clés concrètes à toutes celles et ceux qui, comme moi, se retrouvent en première ligne.
Comment as-tu transformé ton parcours professionnel en un engagement pour les aidants ?
J’ai repris mes compétences pédagogiques acquises en tant qu’enseignante : structurer un parcours, proposer des exercices progressifs et rendre les outils accessibles à tous. Mon vécu personnel enrichit cette approche : je comprends la réalité du terrain, la fatigue et la difficulté de concilier rôle familial et démarches à accomplir.
Dans mes accompagnements, je conjugue pragmatisme et créativité. Je travaille avec les personnes accompagnées à la définition d’objectifs clairs, tout en leur proposant des outils concrets pour favoriser la conscience et la connaissance de soi. Cela permet de lever certains freins et blocages, notamment à travers un travail sur les croyances limitantes.
J’aide également à prendre soin de soi tout en restant aligné avec ses valeurs profondes — cela passe, par exemple, par un travail sur les émotions, les relations, les priorités, les valeurs ou encore l’assertivité. J’intègre également des routines simples et adaptables au quotidien pour faciliter les changements durables.
Je suis convaincue que tout s’apprend, y compris la capacité à être bien avec soi-même et avec les autres. Mon approche s’adresse aussi bien aux parents qu’aux jeunes, aux aidants ou aux personnes en deuil, en leur apportant des repères, des ressources et un soutien adapté à leurs besoins spécifiques.
Quelles ressources t’aident le plus ?
Ce qui m’aide le plus, ce sont la foi et l’espérance. De me dire que demain sera meilleur et que je recevrai des grâces pour avancer. Je tire aussi beaucoup de joie dans ma marche quotidienne d’au moins une heure, qui me permet de me recentrer. L’écriture, le dessin, la musique et la présence de mes amis constituent également des soutiens essentiels. Les lettres reçues, les petites attentions et la possibilité de pleurer devant quelqu’un sont autant de ressources précieuses. J’ai appris à ne pas vouloir tout porter seule, à accepter l’imperfection et à cultiver la gratitude pour ces petites joies du quotidien, qui apportent force et courage.
De quoi es-tu la plus fière ?
Je suis fière de mon courage et de ma capacité à conserver une joie profonde, même dans la tristesse. Pourtant, je sais que ces capacités ne viennent pas que de moi, elles me sont données. Je suis fière de savoir les accueillir, de dire oui à cela. La tristesse n’empêche pas la joie : elles coexistent. Je pratique la gratitude et je repère les “paillettes” du quotidien : un sourire, un coucher de soleil, une belle musique. Je les assemble et les mêle aux pépites de ma vie : mes enfants, mes proches. J’invite chacune à reconnaître ces petites et grandes beautés de l’existence, même au cœur de l’épreuve, et à s’en nourrir pour avancer.
Quelles pratiques concrètes conseilles-tu pour tenir au quotidien ?
Il est essentiel d’apprendre à demander de l’aide de manière claire et concrète. Cela passe d’abord par un véritable discernement : prendre le temps de décider en conscience ce que l’on choisit de porter soi-même et ce que l’on préfère déléguer. Et également ce que l’on décide de ne plus porter du tout (des croyances, des injonctions…) Discerner passe aussi parfois par une aide extérieure, avec un professionnel.
Puis, il s’agit aussi de se construire, au quotidien, des gestes qui font du bien et redonnent de l’air. On peut, par exemple, s’autoriser une marche chaque jour pour respirer et se reconnecter à soi. On peut tenir un carnet où noter trois petites “paillettes” de la journée ou y dessiner sa colère pour l’exprimer autrement. Il est fondamental de (re)créer du lien autour de soi, car ce sont ces relations qui nourrissent, soutiennent et donnent du sens au quotidien. Cela demande parfois du courage et de la persévérance : aller vers les autres, prendre des initiatives, proposer des rencontres ou simplement demander de l’aide, même lorsque l’on essuie des refus ou que certaines portes se ferment. C’est justement dans cette continuité et cette détermination que l’on parvient, petit à petit, à bâtir un cercle relationnel solide et bienveillant.
Cela peut passer par le contact avec une association, par une démarche auprès de sa mairie ou simplement en allant voir ses voisins. L’essentiel est de dépasser ses résistances et d’identifier une personne ressource — un ami, un thérapeute, un professionnel — afin de ne pas rester seule face aux difficultés. On peut aussi installer des rituels très simples : se préparer un café en conscience, allumer une bougie, s’accorder quelques minutes de silence… Ces gestes concrets, répétés, deviennent des repères qui soutiennent, apaisent et redonnent de l’élan au quotidien.
Quel dernier message souhaites-tu transmettre aux Fabuleuses aidantes ?
La souffrance n’est pas une identité et elle n’est pas non plus figée. Apprendre à se relier aux autres, à demander et à accepter de l’aide, c’est un acte de courage. Même dans l’épreuve, il existe de petites “paillettes” du quotidien : les repérer, les nommer et les partager peut rendre le chemin plus supportable. Je souhaite inviter chaque Fabuleuse à vivre pleinement le présent, à accueillir ces petites joies, à se laisser aimer et regarder telle qu’elle est, même lorsque ce n’est pas facile. C’est aussi s’autoriser à recevoir, à accepter des renoncements tout en découvrant des ressources inattendues qui permettent d’avancer, pas à pas.
Pour aller plus loin :
Ses livres
- Si je ne peux plus marcher, je courrai (Éditions Mame, 2016)
- Le deuil, une odyssée, vivre après la mort d’un proche (Éditions Mame, 2023 — postface de ses enfants pour témoigner de leur vie d’enfants orphelins de père)
- Un troisième livre qui sortira en 2026
