Dans mon précédent article, je te parlais de ces situations de “crise” pendant lesquelles nous nous sentons presque “pris en otage” par notre aidé, par ses comportements, ses réactions, ses “blocages”. Il y a quelques années, j’ai découvert le livre du psychologue américain David Stein. Prenons un de ses exemples. Quand un enfant se met à courir sur le parking du supermarché, le parent qui lui court après et crie de faire attention est en train de réagir à ce qui se passe. Et c’est intriguant pour l’enfant, cela ressemble presque à un jeu. Il voit une réaction forte, qui intrinsèquement « met de l’huile sur le feu de sa motivation à recommencer ».
L’auteur propose aux parents d’analyser les situations “problématiques”.
Afin que la prochaine fois qu’une crise se présente, on ne soit plus juste dans l’urgence de réagir mais un peu mieux préparés à répondre à ce qui se passe. Cela se fait en deux mouvements parallèles. D’un côté, on va essayer de réduire les comportements inadaptés ou problématiques (par exemple en expliquant bien clairement avant de sortir de la voiture que courir sur le parking est dangereux, en tenant la main de la personne) et de deux, on va encourager les comportements adaptés (on va peut-être récompenser les fois où l’enfant ne court pas sur le parking en lui offrant notre attention toute particulière, en chantant ensemble dans la voiture ou justement sur le parking). On va tenter de répondre au besoin de notre aidé avant qu’il n’ait besoin de faire une “bêtise” pour que l’on comprenne ce qui se trame.
J’aime beaucoup le livre de Stein pour cela, il élargit ma manière de réfléchir et d’aborder certains comportements que Pia peut présenter et qui me laisse parfois frustrée et sans solution. Comme quand elle fait ce que Stein appelle
Le « stop and flop ».
Ce sont ces moments quand elle en a marre de marcher, qu’elle s’arrête (le « stop ») et qu’elle s’assied exactement là où elle est pour ne plus vouloir se relever (le « flop »). Ce livre, mais aussi ma formation de psy et mes années à travailler avec des personnes déficientes intellectuelles adultes, m’ont appris à prendre le temps d’analyser ces comportements.
- Qu’est-ce que je peux faire en amont pour éviter ce « stop and flop » ?
- Qu’est-ce qui aide quand elle est assise au milieu du trottoir ?
- Qu’est-ce qui la motiverait à avancer ?
- Comment réagir sans encourager ce comportement ?
Alors, je décortique les situations et les comportements de Pia quand je la trouve « difficile à gérer ». C’est comme mettre en place une grille de lecture permettant de prendre du recul et de réagir autrement.
Est-ce que ça en vaut la peine ?
Oui ! En prenant le temps d’élargir les facteurs que l’on prend en considération, on commence à avoir de nouvelles pistes d’action mais aussi peut-être une compréhension plus grande pour ce que vit et ressent notre aidé. Parce qu’en étant trop simplistes dans nos interprétations, nous pouvons passer à côté de ce qui se trame vraiment et de fait ne pas prendre en compte de nouvelles solutions (ou même de mettre en place des facteurs de prévention).
Donc, voici une piste pour toi.
Lorsqu’un comportement dérangeant chez la personne aidée pointe son nez, deviens détective. Essaye d’élargir ta compréhension.
- Un comportement peut être l’indice d’un mal-être physique de notre aidé (peut-être a-t-il mal aux dents et il ne sait pas nous le communiquer)
- ou encore un appel à changer certaines choses (notre aidé à besoin de moments de calme, sans stimulation constante),
- un signe d’un trouble mental aussi (il fait face à des peurs), etc.
- Peut-être découvres-tu que les moments de transitions dans ses journées sont difficiles, qu’il faudrait les préparer autrement.
Cela va beaucoup influencer ton champ d’action.
Si le comportement est une recherche de limites, tu vas peut-être devoir trouver un moyen d’exprimer un « stop » clair, expliquer clairement les règles. Mais si ton aidé est en souffrance psychique et qu’il ne sait pas l’exprimer, son comportement peut-être le signe de ce mal-être.
Dans ce cas-là, il faut chercher à soigner au mieux son état.
Il se peut aussi qu’un comportement soit directement lié à une maladie physique, qu’il serait important de reconnaître et de prendre en charge. Est-ce que notre aidé voit mal ? A mal aux dents ? Cela pourrait-il expliquer ses comportements?
Toute une panoplie de pistes s’offrent à nous lorsque nous nous posons la question suivante : « À quoi pourrait être dû ce comportement ? »
Et quand on commence à trouver la ou les causes, les déclencheurs, les racines de ces comportements, on agit à la source du problème, on peut même anticiper la crise.
Reprenons mon exemple avec Pia et des visites au magasin.
J’ai appris que plusieurs facteurs rassemblés sont indicateurs qu’elle va avoir du mal à gérer. Parfois, elle est simplement trop fatiguée pour m’accompagner. Si je peux éviter de la prendre avec moi, c’est la meilleure manière de faire. Mais si je ne peux pas faire autrement, il me faut choisir d’aller dans un magasin qui ne soit pas trop grand, et en lui donnant une liste claire de ce que nous cherchons (de préférence en dessinant la liste de courses devant ses yeux).
Et Pia profite de ces plans clairs et imagés. Surtout quand notre programme journalier sort de l’habituel (par exemple lors d’une semaine de congés). Alors je fais avec elle un tableau avec des petits dessins pour lui montrer ce qu’on fait et quel jour on le fait. Ce cadre de base lui donne sécurité et bonne humeur (surtout si on arrive à caser ses activités préférées durant la semaine).
Le temps que nous prennent toutes ces adaptations n’est jamais du temps perdu.
Je le regagne tout au long des journées qui s’écoulent plus paisiblement. Ce faisant, les crises impromptues de la miss se réduisent. C’est toute la force de cette analyse et de cette réflexion. J’apprends à répondre à Pia, à ses besoins, à ses questions, à ses émotions, sans pour autant toujours devoir réagir à la dernière minute, dans le feu de l’action… quand il me manque la distance, les idées et la créativité.
Analyser et expliquer n’est ni tout excuser ni tout accepter,
- c’est comprendre ;
- c’est oser avancer à tâtons dans la logique interne de notre personne aidée ;
- c’est chercher à y répondre au mieux ;
- c’est lui faire confiance et chercher s’il y a peut-être un message à décoder à entendre ;
- c’est mieux vivre la relation avec la personne.
Alors non, on ne laisse pas nos enfants/nos aidés faire tout et n’importe quoi.
Parce que, oui, c’est important de pouvoir faire des courses sans piquer une crise au milieu des rayons, oui, c’est important d’apprendre à manger proprement, de trouver des moyens d’exprimer son désaccord sans frapper les autres… Tout cela en fonction des capacités de nos aidés. Mais prenons le temps de réfléchir à ces questions, avec patience, assurance et un grain de curiosité :
- Pourquoi ce comportement à ce moment précis ?
- Que me dit-il ?
- Puis-je agir en amont ?
- Est-ce que mon aidé semble malade ou en souffrance psychique ?
- Quels comportements aimerais-je encourager ? Est-ce que je lui donne une alternative au lieu de juste lui dire « Non, tu ne peux pas ? »
- Pourrais-je me créer une “trousse de secours”, pleine d’idées sympas et faciles à appliquer qui nous aiderait dans le feu de l’action ?
Chère Fabuleuse,
Ce thème est tellement large que j’ai l’impression d’avoir seulement effleuré la surface du sujet. Il y a tant de situations qui me passent par la tête quand je pense à toi et ta personne aidée (que ce soit un parent, un enfant ou encore un conjoint). N’hésite pas à nous écrire si tu as des questions précises ou des situations récurrentes dont tu aimerais que l’on parle. Tu n’es probablement pas seule à vivre cela. En tout cas, merci.
Merci d’être toi,
une fabuleuse personne, une Fabuleuse aidante, curieuse et créative. Merci de faire partie de notre tribu et courage, ça va aller !