Nous sommes au milieu du magasin de jouets quand Pia commence à râler, à s’accrocher à tout ce qui passe, elle geint de plus en plus fort et refuse de partir. Elle est assise sur le sol et moi, je sens le stress monter. Comment quitter au plus vite ce magasin sans créer un drame ? Comment ne pas moi-même m’énerver ? Quelle idée de génie m’aidera à sortir de là? Sortir de ça? Parfois, il me suffit d’une bonne idée : mettre de la musique sur mon téléphone, confier les clés de la voiture à la miss, détourner son attention. Quand je m’assieds enfin dans ma voiture, je suis vidée et je me demande quand cette après-midi a tourné au vinaigre, que faire de la boule de nervosité qui m’envahit, et aussi ce qui va me permettre de redescendre le niveau de tension.
Et je me demande pourquoi elle fait ça !
Je respire profondément, c’est la première chose à faire.
Je respire. Ma mission, je le sais, est tout d’abord de réguler mon propre système nerveux. Pour cela, j’ai appris à me poser la question clairement : « Ok, qu’est-ce qui va t’aider à ne pas péter un câble et faire payer à ton entourage toute cette nervosité ? Une pause-café ? Un petit tour au parc ? Une musique qui améliore mon humeur ? Un jeu avec Pia qu’on aime toutes les deux ? »
Le fait de formuler cette question si clairement dans ma tête a un effet qui m’épate à chaque fois. C’est comme attraper la balle au vol. « Ah, j’ai ma mauvaise humeur en main, ce n’est plus elle qui me dirige, c’est moi qui vais décider quoi faire avec. » Cette distance et cette réflexion me permettent déjà de dégonfler le ballon interne de sa pression dangereusement proche de l’explosion.
Je cherche alors quel “interrupteur” je pourrais utiliser pour continuer à décompresser. C’est, je trouve, le grand avantage d’avoir tant travaillé avec un thérapeute. Je me connais bien mieux qu’avant. Je sais quels détails peuvent m’énerver en moins de deux mais j’ai aussi une petite trousse de secours contenant les petits trucs qui m’apaisent efficacement.
Ce jour-là, je choisis de rentrer à la maison et de passer le relais 10 minutes à une de mes grandes filles.
Juste le temps de retrouver mon calme.
Alors, pendant qu’une des grandes sœurs de Pia entame une partie de Uno avec elle, je m’allonge sur mon lit et j’écoute une musique que j’aime ou je pars marcher seule pendant 10 minutes, je fais quelques photos en chemin : mon attention est dirigée vers autre chose. Quand je n’ai personne pour prendre le relais, j’ai mes petites activités bonheur, celles qui plaisent autant à Pia qu’à moi et qui nous permettent de nous retrouver dans une relation plus positive.
Nous connaissons tous ces moments ou notre aidé fait une crise
ou se comporte d’une manière “bizarre”, “difficile”, “incompréhensible”, “gênante”, “déviante”, “provocante”, etc. (à toi de choisir le terme qui te convient le mieux).
Généralement, ce comportement crée chez nous une réaction assez forte, qu’elle soit de frustration, de colère, de honte ou encore de sentiment de désespoir. C’est comme si la personne poussait sur un levier interne, directement dans nos tripes : par son comportement, elle active notre “bouton rouge”. Mais aussi, nous sommes touchés par son désespoir, par son mal-être, par toutes ses émotions. C’est ce que l’on appelle la résonance empathique. Notre corps réagit en miroir à ce que l’autre ressent et on peut se sentir inondé de panique, d’angoisse, de sentiment d’incompétence.
Tout d’abord, laisse-moi te rassurer.
Cela arrive à tous les parents, mais plus largement dans toutes les relations. Le petit bébé commence tôt dans son développement à comprendre que quand il fait tomber sa cuillère sur le sol, l’adulte la ramasse, avec le sourire les 3 premières fois, avec un soupire les 45 fois suivantes. Mais pour l’enfant, c’est faire l’expérience d’avoir un certain contrôle sur son environnement. C’est donc un mécanisme de relation assez naturel que de remarquer : « quand je fais ceci ou cela, mon papa, ma maman, mon frère, l’institutrice, les gens dans le magasin… réagissent ».
J’ai un certain contrôle sur mon entourage.
Bravo ! C’est un apprentissage important. Mais l’enfant apprend aussi rapidement que certaines de ses actions provoquent des réactions particulièrement fortes. C’est ce que j’appelle « appuyer sur le bouton rouge ». Et nos enfants semblent avoir un radar super puissant pour détecter LA chose à ne pas faire et à appuyer gaiement sur notre bouton rouge.
J’ai écrit plus haut que Pia était frustrée de ne pas pouvoir essayer tous les vélos du magasin de jouets. Mais cette explication est trop linéaire, trop simpliste. Non, Pia n’a pas fait cette crise pour me mettre hors de moi, ni pour pousser mon “bouton rouge”.
Mais alors pourquoi ?
Pour essayer de la comprendre, je dois élargir le contexte. Chercher, devenir un détective.
Comprendre ce genre de comportements prend du temps, de la réflexion.
Faire une analyse de situation peut être très utile et ce sera le sujet de mon prochain article. Mais tout d’abord, j’aimerais simplement insister sur le fait que quand tu n’arrives pas à calmer la crise de ton proche aidé (que ce soit ton enfant, ton conjoint ou ton parent), tu peux l’aider en régulant toi-même ton état d’esprit, tes réactions physiques et tes émotions.
Je vais utiliser mon exemple du magasin. Pia fait donc une “crise” au beau milieu du magasin de jouets. Ma première réaction a probablement été du type : « Arrête de faire ça, si tu continues, on sort ». Et cela n’a pas aidé. Pourquoi ? Parce que non seulement elle ne pouvait pas essayer tous les vélos, mais en plus, elle était fatiguée de sa matinée, peut-être avait-elle soif aussi parce qu’il faisait chaud, elle sentait mon impatience, ma nervosité sous le regard de la vendeuse, il y avait bien trop de jouets, trop de gens autour de nous et le programme de l’après-midi n’était pas assez clair pour elle.
Bref, son besoin n’était pas que je recadre son comportement en la menaçant de partir du magasin si elle n’arrête pas son cinéma. Elle ne voulait pas me faire sortir de mes gonds ou me provoquer. Ce qui se jouait était plus large. C’était trop sur le moment et incertain pour la suite, l’inconfort était massif. Alors évidemment, en comprenant cela, ma manière de réagir change. Je peux me mettre à son niveau et dire : « Écoute, on va sortir, on peut revenir quand il y aura moins de monde. Je vais prendre une photo des vélos comme ça tu peux les regarder plus tard. Maintenant, on va aller dans la voiture, mettre un peu de musique et rentrer boire quelque chose. Et puis on peut dessiner ensemble un plan de ce qu’on va faire le reste de la journée. »
Evidemment, il se peut que Pia n’ait pas compris tout ce que je lui disais en détail mais elle perçoit que mon attitude change, elle entend dans ma voix et remarque aussi dans ma gestuelle que je passe en mode « ça va aller, je suis là, avec toi, on va trouver une solution ensemble ». La sortie du magasin de jouets n’en n’est pas devenue magiquement plus facile mais, moi, ça m’aide et par ricochet ça aide aussi Pia.
Je deviens son alliée quand elle n’a pas les mots pour me dire que rien ne va.
J’aimerais terminer cet article par une histoire que j’ai entendue dernièrement dans un podcast et qui souligne
l’importance de commencer par réguler nos propres émotions.
Lors d’une interview, Kristin Neff — que nous connaissons bien chez les Fabuleuses aidantes pour ses travaux épatants sur la bienveillance envers soi-même — expliquait à son interlocutrice ce qui lui est arrivé avec son fils Rowan lors d’un vol en avion. Son fils est atteint d’autisme et, étant enfant, il pouvait réagir à certaines situations avec de grosses crises de colère, se jeter sur le sol en poussant des cris stridents.
C’est ce qui est arrivé lors d’un vol transatlantique. Rowan, alors âgé de 5 ans, avait bien supporté le vol jusqu’à ce que toutes les lumières soient tamisées pour permettre aux passagers de dormir. Ce changement l’avait pris de court. Il s’était mis à hurler. Gênée par le comportement de son fils et malheureuse qu’il se sente si mal, Kristin avait choisi de se réfugier dans les toilettes de l’avion avec son fils, histoire de moins déranger le reste des passagers. Mais, aucun échapattoire possible, les WC étaient occupés. Elle se sentait désespérée et s’installa là, sur le sol avec son fils.
Rien de ce qu’elle ne faisait ne le calmait.
Elle avait alors commencé par réguler ses émotions à elle, en posant sa main sur son cœur et en se parlant avec bienveillance:
“je suis là pour toi, ça va aller, je sais que c’est difficile”.
Elle s’était littéralement inondée de chaleur, de bienveillance et de gentillesse. Ce faisant, elle ne se concentrait plus sur la crise et avait retrouvé son calme. Et quand son fils avait perçu ce changement chez elle, il avait lui aussi commencé doucement à se détendre.
Tu peux retrouver cette histoire dans le livre de Kristin Neff et de Christopher Germer Mon cahier d’autocompassion en pleine conscience, qui contient tout un chapitre sur l’autocompassion chez les aidants. Elle nous encourage à nous exercer à la respiration « une pour toi, une pour moi » : Inspirer la bienveillance et la compassion pour toi-même et expirer la bienveillance et la compassion pour l’autre.
Combien de fois m’est-il arrivé exactement la même chose. En retrouvant mon calme, mon humour, mon côté relax, je remarque que Pia s’en nourrit, s’en inspire… et s’apaise.
Je pense que c’est un bon point de départ pour réfléchir et analyser les situations de crise :
- Se rappeler que nous faisons partie du système et que nos réactions vont avoir un impact direct sur le comportement de notre aidé.
- Prendre le temps de réguler nos émotions personnelles tout en sachant que cela va être un double cadeau : pour nous-même et pour notre aidé.
- Avoir de la compassion et de la bienveillance pour nous-mêmes et nous rassurer, nous consoler, nous inonder de gentillesse quand la tempête gronde dans nos cœurs aussi.
Dans le prochain article, nous approfondirons encore plus la question de l’analyse de situation. À très bientôt,
Rebecca (maman et aidante parfois à la limite du craquage intempestif)