À 26 ans, Anousha se retrouve propulsée aidante de son mari. L’écriture sera son refuge. Trois ans plus tard, alors que son mari semble doucement emprunter la pente de la guérison, elle témoigne de sa vie d’aidante.
Bonjour Anousha, qui êtes-vous ?
J’ai 29 ans. J’habite à Tours. Je suis actuellement en création d’entreprise. J’ai été aidante de mon mari qui a eu un cancer du côlon, et je ne le suis plus depuis peu. Sa maladie touche à sa fin. Le cancer est toujours là mais ce n’est pas comme avant.
Peut-on dire que votre mari est en rémission ?
Les médecins ne prononcent pas ce mot pour le moment.
Comment avez-vous appris la maladie de votre mari ?
Il avait 33 ans. Un jour, en rentrant du travail, il a eu très mal au ventre. Nous ne nous sommes pas inquiétés mais cela a traîné. Il est allé voir le médecin qui lui a donné des médicaments. Cela n’a rien changé… Une semaine après les premiers symptômes, il est retourné voir le médecin qui l’a hospitalisé. Le lendemain, on lui a découvert une occlusion intestinale causée par une tumeur cancéreuse. À ce moment-là, j’ai commencé à m’occuper de lui.
Avez-vous tout de suite pris conscience que vous étiez aidante ?
Oui. En rentrant chez moi, mon premier réflexe a curieusement été de chercher sur internet des renseignements sur les aidants. C’est là que je me suis rendue compte que, depuis deux jours, j’étais aidante. Si je n’avais pas fait ces recherches, je ne m’en serais pas rendue compte car les médecins ne parlent pas de ces mots-là.
Vous partagez votre expérience d’aidante sur les réseaux sociaux et sur votre blog Ma vie d’aidante. Les réseaux vous ont-ils aidée à traverser cette épreuve ?
Cela m’a plutôt aidée après coup. En fait, nous avons appris le cancer de mon mari en octobre 2019 et j’ai ouvert mes réseaux sociaux en mars 2021. Lors de l’annonce de la maladie, je n’étais pas du tout sur internet. Je me suis renfermée sur moi-même. Cela a été très dur. J’étais vraiment au fond du trou. J’ai fait une dépression. Je pense que je m’en suis sortie il y a quelques mois, même s’il me semble qu’il y a encore des choses à régler.
Depuis quand avez-vous mis le mot « d’aidante » à distance ?
C’est assez flou. La dernière opération de mon mari remonte à septembre 2020. Depuis cette date, je ne suis plus techniquement une aidante mais j’ai mis du temps à le comprendre. J’ai réalisé que ma vie avait changé car les soins ne sont plus quotidiens.
J’ai été aidante pendant seulement un an. Et pourtant, bizarrement, c’est très long et très difficile pour moi de passer à autre chose. Il y a eu la vie d’avant le cancer, la vie pendant le cancer, et à présent la vie d’après le cancer. C’est curieux car j’ai l’impression de revenir à une vie “normale” qui toutefois ne sera plus jamais plus “normale”. La vie est tellement différente après un événement comme cela. Ce n’est pas un retour à la vie mais une autre vie qu’il faut inventer. Il y a une reconstruction qui est longue. Comme j’avais 26 ans au moment où mon mari a été diagnostiqué, cela a été très violent. Tout notre quotidien a été chamboulé…
Vous avez beaucoup écrit, que ce soit sur votre blog ou sur les réseaux… En quoi cela vous a-t-il aidée ?
J’ai d’abord écrit quotidiennement sur mon journal personnel que je cherche à présent à publier. J’ai toujours beaucoup écrit depuis que je suis toute petite. Cela me permet de libérer mon cerveau et d’avoir un peu plus de recul. Durant la maladie, écrire s’est avéré très utile car cela m’a rendue moins seule. Cela m’a aussi beaucoup servi pour relire les événements vécus. C’est très intéressant de voir ma propre évolution. Et puis, j’ai aussi éprouvé le besoin de partager ce que je vivais sur les réseaux sociaux car je me suis sentie très seule, abandonnée. J’ai écrit d’abord parce que j’en avais besoin. Mais aussi pour sensibiliser ceux qui ont des proches touchés par la maladie. Pour ma part, personne ne savait quoi faire. J’avais donc envie de donner aux gens des clefs pour essayer de leur dire comment réagir.
Auriez-vous des conseils à transmettre aux Fabuleuses aidantes pour ne pas sombrer ?
Ce qui est bon pour une personne ne l’est pas forcément pour une autre. Ce qui m’a aidée, en plus de l’écriture, c’est de pratiquer le yoga, d’aller marcher ou encore d’écouter des podcasts. Je suis aussi allée voir une psychologue et cela m’a vraiment permis d’avancer. Je dirais qu’il ne faut pas hésiter à essayer plusieurs choses quand on est dans cette situation, car il faut trouver ce qui nous soulage vraiment. Pour ma part, j’ai essayé la méditation et cela n’a pas du tout fonctionné. Ce que j’aurais dû faire également, c’est parler, me confier davantage. Au début, j’ai essayé, mais comme les gens ne savaient pas quoi me dire ou me lançaient des banalités, j’ai fini par me renfermer sur moi. Je dirais aussi que, quand on est au plus mal, il ne faut pas s’en vouloir de ne pas appliquer les conseils des autres. On fait ce que l’on peut. Parfois, on n’a pas l’énergie de chercher quoi que ce soit.
Sur Instagram, vous expliquez à quel point recevoir des injonctions a été difficile pour vous…
Oui. J’ai souvent entendu des phrases du type « Sois forte pour ton mari » ou « Sois positive pour lui ». Je trouve ces conseils très violents car on ne peut pas toujours l’être. Les injonctions m’ont fait beaucoup de mal. Elles m’ont rendue très coupable.
Avez-vous continué à travailler pendant la maladie de votre mari ?
Comme mon mari n’avait plus de travail et pas d’indemnités, je ne pouvais pas me permettre d’arrêter de travailler. J’ai donc continué à aller au boulot principalement pour toucher un salaire. Nous étions déjà au plus bas financièrement. Avec du recul, je dirais que même s’il y avait des jours où c’était vraiment très difficile, le fait de travailler m’a aidée. Finalement, c’est le confinement qui m’a sauvée. J’avais du travail et en même temps le fait d’être à la maison m’a reposée.
Aujourd’hui, vous créez une entreprise. Pourquoi un tel projet ?
Comme beaucoup de personnes qui traversent la maladie, j’ai eu des prises de conscience. Je travaillais dans une université en relations internationales. J’adorais mon travail mais je ne voulais plus le poursuivre car je n’y voyais plus de sens. J’avais juste besoin d’être à mon compte. J’ai donc décidé de me lancer dans l’entrepreneuriat. C’est parti d’une blague avec ma mère, puis je me suis rendue compte que ce travail pouvait être réel ! Ma mère est traiteur et j’ai décidé de la rejoindre dans cette aventure. En septembre dernier, nous avons donc déménagé à Tours pour être auprès de mes parents. Quant à mon mari, il a repris un temps plein comme professeur, son métier d’origine.
Qu’avez-vous envie de dire aux femmes qui apprennent que leur conjoint est malade ?
Je leur dirais d’abord qu’elles ne sont pas seules. Pour ma part, je me suis vraiment sentie seule au monde et c’est en partie pour cela que j’ai sombré. Je n’avais pas du tout imaginé que sur les réseaux sociaux, il y avait une communauté qui pouvait être si utile. Il faut savoir qu’on peut profiter des ressources qui existent sur internet sans pour autant partager sur sa vie. Aujourd’hui, je suis en contact avec beaucoup de gens qui m’écrivent pour me demander des conseils.
Même si nous sommes tous différents, les émotions par lesquelles nous passons en tant qu’aidant sont très universelles et très similaires. Pendant un moment, j’ai eu l’impression que tant que je ne rencontrais pas quelqu’un à 100% dans ma situation — celle d’une jeune aidante de son mari sans enfant — il m’était impossible de partager. Ce n’est pas vrai. On n’est pas obligé de trouver quelqu’un qui est exactement dans la même situation pour se confier. Par exemple, j’échange aujourd’hui avec une personne qui n’a pas du tout le même profil que moi et je remarque que nous sommes passées par les mêmes phases. Le soutien peut aussi venir de personnes auxquelles on ne pense pas !