Conjoints aidés

À ses côtés, tous les jours : être aidante de son conjoint

Rebecca Dernelle-Fischer 28 octobre 2025
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Elle n’était pas préparée à ça. À devenir “l’aidante” de son mari. Elle était sa complice, son amoureuse, son repère… et la voilà aussi sa mémoire, son appui, son soutien au quotidien. C’est arrivé sans crier gare — un diagnostic, un accident, un bouleversement. Depuis, elle jongle. Entre l’amour et la fatigue, le soin et la tendresse, la peur et la vie qui continue.

« Il n’aime pas que je le materne ! Cela le met en colère. Mais Rebecca, il oublie tant de choses… » Ces mots sont ceux de Martha. Elle me les confie, les yeux pleins d’une tristesse tranquille.

Elle ne se plaint pas.

Elle ne cherche pas de solution. Elle dit simplement ce qui est. L’homme qui fut durant des décennies son rocher, son refuge, fort et tendre, cet homme-là est atteint d’une démence, de troubles cognitifs. Il oublie ses mots, ses repères, ses réflexes, il a besoin d’aide et c’est elle qui est là pour lui. Et Martha, sans l’avoir choisi, est devenue son aidante. Aidante, aimante, fatiguée. Femme courageuse qui continue d’aimer un homme qui, parfois, ne la reconnaît plus vraiment.Elle me dit : « Depuis un certain temps, il va deux jours par semaine en accueil de jour, il aime bien, ça l’occupe, il est actif. J’ai tant besoin de ce répit, je n’en pouvais plus et j’ai bien cru qu’à ce rythme-là ce serait moi qui partirais en premier. » Que répondre ? Que dire à Martha ?

Je ne peux que valider ce qu’elle vit :

« Oui, c’est important, tellement important que tu aies un peu de répit, de repos, que tu passes le relais ». Je lui dis aussi : « Il ne sera plus jamais comme avant ». Elle le sait, leur couple a changé, comme si la maladie avait redessiné les contours de leur lien. Et je lui demande : « As-tu encore des moments joyeux avec lui ? Des moments complices ? » Elle me répond : « Oh oui, il aime tant chanter ! » Et elle me sourit, aidante aimante d’un mari malade.  

« Tout a changé en un instant, on a réagi super vite et ils ont pu la sauver mais elle n’est plus la même. Le quotidien est devenu pénible, elle est pénible. »

Marc me dit cela, les yeux pleins d’une colère triste, comme pour me dire : « Ne viens pas avec tes belles histoires et théories ». Il n’a pas envie d’enjoliver la réalité, il en a juste marre. Depuis ce matin d’automne où son épouse a fait une hémorragie cérébrale, c’est toute la vie de cette famille qui a explosé. Il y a eu le choc, l’urgence, l’attente, la convalescence et puis le retour à la maison. Marc en a marre, les gens ne comprennent pas. Il me dit « J’peux pas aller la voir tous les jours à l’hosto, j’ai les enfants, mon boulot, j’en ai pour une heure de route pour lui rendre visite. Mais les autres me reprochent de l’abandonner. »

Marc fait comme il peut,

il est devenu en quelques jours un papa tout terrain et un aidant déboussolé. Déboussolé par les attentes des autres envers lui, déboussolé de voir combien une hémorragie cérébrale peut changer le caractère d’une personne. Elle a survécu, oui, mais quand elle a enfin pu rentrer à la maison, c’était une autre femme : dépressive, lente, soupe au lait… Il me confie : « Je ne peux pas la laisser trop longtemps seule avec les enfants, elle crie, elle ne fait rien dans la maison et elle boit de plus en plus ».

Que lui dire si ce n’est que je le crois, que certains accidents balayent tout sur leur passage et qu’avoir survécu ne veut pas toujours dire que tout est pour le mieux. Que lui dire à part que « Oui, certaines lésions cérébrales changent fortement le caractère d’une personne, que c’est dur à vivre, que c’est frustrant, révoltant et que si peu de gens comprennent ce que cela veut dire ». Et puis qu’il est un bon papa pour ses enfants. Qu’il s’est si bien occupé d’eux, leur assurant sécurité et présence, hier, aujourd’hui et pour longtemps

« Quand elle m’a dit ‘oui pour la vie’, j’étais depuis des semaines à l’hôpital, j’avais frôlé la mort et je venais de recevoir un diagnostic grave : ‘maladie auto-immune’. Je venais d’apprendre que je devrais vivre avec un traitement quotidien, et que le pronostic n’était pas des meilleurs. Et pourtant, elle m’a dit oui, elle a osé »

Sandra a dit oui,

par amour, par passion pour ce jeune homme, par tendresse, parce qu’elle préférait vivre avec lui et sa maladie que sans lui. 

Et ce faisant, elle a pris sur elle le rôle d’aidante. Elle a pris le pari que c’était son aventure à elle aussi. Je les ai rencontrés, jeunes mariés, heureux, confiants, s’adaptant aux hauts et aux bas imposés par l’état de santé de Cyril. Ils sont maintenant parents, il va mieux depuis deux ans, sa maladie lui laisse du répit. Cela pourrait changer, ils le savent tous les deux, mais ils vivent, malgré tout, remplis de joie et d’espoir. Elle me dirait peut-être qu’elle n’est pas aidante, juste aimante mais, au fond, elle l’est. Car elle porte avec son époux le poids du diagnostic, du traitement, des moments où il doit se reposer et qu’elle doit alors tenir la barque à flot, sans que leur famille ne coule. 

Elle l’aime, elle l’aide, elle espère et elle cherche, jour après jour à goûter aux petits bonheurs du présent, parce qu’elle sait que tout pourrait changer. Et si tu lui disais qu’elle est exemplaire, courageuse, une héroïne moderne, elle rirait un peu et te rétorquerait sûrement : « Mais je l’aime, c’est tout et j’aime la vie avec lui ».

Chère Fabuleuse aidante,

Il y a tant d’histoires de vie différentes, chaque aidante est différente, chaque situation est unique et pourtant, elles se ressemblent. Ce sont des récits pétris d’amour, de courage, de déceptions, d’espoirs, de joie, de doutes, de peurs… des histoires de vie, humaines ! Alors que je t’écris, je repense à toutes ces personnes que je connais et qui sont aidantes de leur conjoint, de leur conjointe, qu’elles soient jeunes ou plus âgées. 

Je repense aux mots d’Esther Perel, psychologue et sexologue. Elle dit qu’il est difficile de désirer la personne dont l’on doit prendre soin physiquement. A-t-elle raison ? J’ai tant de questions qui me traversent : comment être une aidante qui reste “l’amante” de son mari, au travers de ce quotidien jonché de gestes intimes, parfois gênants ? Quand le partenaire a tellement changé, sa personnalité, ses capacités, ses réactions ? Quand on vit sous la menace d’un danger imminent, avec une épée de Damoclès qui pourrait nous tomber dessus à tout instant ? Comment jongler entre tous les rôles que nous devons endosser ? Comment demander de l’aide quand on est soi-même en train de craquer ? Comment faire face aux avis des autres, à leurs commentaires et leurs conseils non-avisés ? Comment ne pas se révolter et leur crier qu’ils ne savent pas et qu’ils feraient mieux de se taire ? 

Comment aimer et soigner en même temps ?

Comment faire quand l’homme de ta vie n’est plus que l’ombre de lui-même, quand tu sais qu’il ne reviendra plus ? Comment survivre à cette solitude, quand celui sur qui tu pouvais compter est perdu dans un dédale de soins, de rendez-vous médicaux, d’effets secondaires ? Comment lui montrer que tu as encore besoin de lui, que tu le vois vraiment, au-delà de sa maladie, de son handicap, qu’il y a encore de la place pour la joie et les rires, les saveurs, et la peine, que tu l’aimes ?

Je repense à tant d’aidants et d’aidantes que j’ai rencontrés en chemin. Certains s’étonneraient peut-être de ce titre d’aidant. Il y a l’amour inconditionnel d’Étienne pour sa femme, atteinte d’une maladie dégénérative. Elle souffre presque constamment, mais son caractère de battante lui a fait défier toutes les statistiques. Je la connais depuis mon enfance et j’ai pu observer au cours des années combien Étienne a aidé et aimé sa femme. 

Elle l’épate au quotidien.

Il l’a tant aidé et ce, depuis si longtemps. Et pourtant, ce qui me touche c’est que dans leurs regards respectifs, on peut voir un amour qui s’est renforcé, démultiplié, fort et courageux. 

Je repense au sourire en coin de Vincent quand je lui dis que sa femme est une devenue une mère incroyable. Nous savons tous les deux ce que cela représente. Elle m’a raconté comment il l’a serrée dans ses bras, des heures durant, la première fois qu’il l’a rencontrée. Elle était sur le point de faire une tentative de suicide. Et, c’est ce qu’il fait depuis des années : il lui donne sécurité et calme quand ses blessures psychiques se rouvrent. Ils ont construit une famille bienveillante, un foyer rempli d’amour alors qu’elle-même n’avait reçu que la haine et le rejet de parents eux-mêmes brisés et malades.

Toutes ces histoires me rappellent que l’on peut vivre heureux en étant aidant, que l’amour peut trouver et garder sa place dans nos familles, que l’espoir, le rire, la légèreté ont le droit de résider dans nos couples… malgré tout !

Tout n’est pas gâché ! 

Alors oui, je pense aussi à ces aidantes qui se sont presque sacrifiées, “tuées à la tâche” ; à celles et ceux qui vivent des situations dramatiques derrière les portes de leur foyer, redoutant les crises, les cris, les sautes d’humeurs, les fugues ou encore les prises de risque démesurées de leur conjoint aidé. Je pense à celles qui sont seules, qui ne voient aucune issue de secours, qui souffrent de ce rôle d’aidante et qui n’en peuvent plus. Je pense à toute cette douleur, au parcours tragique de certains de ces couples. À ces aidants qui ne retrouvent enfin leur liberté que lorsque l’autre est décédé. Parce que cela aussi, c’est une réalité dans nos vies d’aidantes.

Et pour finir,  je pense à toi qui me lis, et j’ai envie de te dire : 

« Ne laisse pas la situation empirer à ce point. Ta vie est importante, tu es importante, et nous, dans l’équipe des Fabuleuses aidantes, on aimerait te le dire encore une fois. Ta vie est unique et fabuleuse, à sa manière. Tu es unique et fabuleuse, à ta façon : aidante, aimante, amante ».



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Cet article a été écrit par :
Rebecca Dernelle-Fischer

Psychologue d’origine belge, Rebecca Dernelle-Fischer est installée en Allemagne avec son mari et ses trois filles. Après avoir accompagné de nombreuses personnes handicapées, Rebecca est aujourd’hui la maman adoptive de Pia, une petite fille porteuse de trisomie 21.
https://dernelle-fischer.de/

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