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Enfants extraordinaires

Valérie Lefebvre : « On n’est pas “bon aidant”, si on ne commence pas par s’aider soi-même »

Claire Guigou 22 mai 2023
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Le jour où l’on diagnostique un cancer à sa fille, Valérie bascule soudainement dans le monde cloîtré de l’hôpital. De cette épreuve, elle tire un livre témoignage : Mon voyage au 6D dans lequel elle raconte avec poésie cette expérience qui l’a ramenée à l’essentiel et lui a fait toucher du doigt ses limites.

Pouvez-vous vous présenter ? 

Je suis Valérie, j’aurai 55 ans cet été. Je suis maman de deux enfants. L’aînée, qui est concernée par la maladie, a maintenant 22 ans et le plus petit a 19 ans. J’ai divorcé quand mon aînée avait 12 ans, ce qui fait de moi une “maman solo”. À l’été 2015, alors qu’elle avait 14 ans et demi, ma fille a déclaré brutalement un cancer osseux de haut grade. Ce sont des cancers qui se développent très rapidement. Elle a été prise en charge au service d’oncologie et de pédiatrie à l’hôpital de Bordeaux et tout s’est enchaîné car elle a subi toutes les complications possibles liées aux traitements. J’ai tout lâché du jour au lendemain et me suis installée avec elle à l’hôpital. Nous sommes restées hospitalisées un an. Ma fille a ensuite été prise en charge dans un centre de réadaptation sur l’Île d’Oléron pendant plusieurs années. Aujourd’hui, il lui reste des séquelles neuro-cognitives et un handicap. Je suis médecin moi-même et donc mon positionnement a été tâtonnant. Il y avait cette part de moi qui a travaillé à l’hôpital en tant que médecin, ma place de maman, celle de femme…

Du jour au lendemain, vous avez également adopté le rôle d’aidante….

En effet. Tout a basculé pour moi comme pour mes deux enfants lors de l’annonce de la maladie. J’ai eu de longues conversations avec mon fils et j’ai pris la décision, en accord avec lui, de l’envoyer chez mes parents tout en le maintenant dans son univers scolaire. À l’époque, il avait onze ans et demi et était en cinquième. Nous avions un lien permanent par téléphone et il venait parfois à l’hôpital. Ce n’était pas tout le temps possible car le service où était ma fille refusait, durant certaines périodes, les visites d’enfants de moins de 16 ans. Il a donc fallu gérer tout cela pour ne pas rompre le lien.

À quoi ressemblait votre quotidien à l’hôpital ? 

Je dirais que du jour au lendemain, j’ai plongé dans cet univers qu’est l’hôpital et j’ai tout simplement arrêté de réfléchir. Je ne souhaitais plus être exclusivement dans le mental, comme je l’avais toujours été, à gérer et à tout organiser. Ce circuit s’est déconnecté. Je n’avançais plus qu’à l’instinct. J’ai alors appris à découvrir la vie à travers mes ressentis. Je ressentais les douleurs de ma fille, parfois ses nausées. Et j’ai appris à la connaître encore plus dans ce huis clos. Sans doute parce que j’étais sonnée, je ne réagissais qu’avec le cœur. C’était une découverte totale. Ce voyage a aussi été le mien et c’est ce que je raconte dans mon livre. Il y avait quelque chose de juste et simple dans ce que j’ai vécu. 

Pourquoi avoir choisi d’écrire un livre ? 

L’écriture a toujours été mon moyen d’expression le plus intime. Je me suis retrouvée très vite dans une problématique très concrète quand ma fille a été hospitalisée : celle de savoir comment donner des nouvelles à mes proches. Notre entourage souhaitait suivre son évolution mais les nouvelles étaient extrêmement compliquées à donner. Je ne pouvais pas appeler tout le monde. J’ai commencé à écrire des mails et des textos, puis j’ai lâché… C’est pourquoi j’ai ouvert un blog. Je l’ai fait à ma manière avec un côté extrêmement optimiste, voire utopiste. Je ne donnais des nouvelles que de belles façons. Il fallait que je digère les évènements, que je les accepte, pour être en capacité de les redonner et qu’ils soient entendables, compréhensibles entre les lignes par nos proches. Je donnais souvent des nouvelles en poésie. Au fur et à mesure, j’ai commencé à avoir des retours de gens qui découvraient le blog. Cela m’a donné confiance et les retours étaient suffisamment bons pour me dire que cela devait être partagé. Quand j’ai compris que nous étions en plein dans un traumatisme de vie, je me suis dit que notre expérience pourrait aider à tout processus en lien avec ce traumatisme. Ecrire m’a ainsi permis de mettre de la conscience sur mon propre processus. Quand c’était couché sur papier, je pouvais passer à autre chose. Parfois, cet “autre chose” arrivait violemment deux heures après et je ne savais pas si ma fille allait finir la journée. 

Vous aviez tout simplement peur que votre fille ne s’en sorte pas ? 

Paradoxalement, je n’avais pas peur. J’avais une foi incroyable dont je ne connaissais pas l’origine. Je doutais beaucoup moins sur la notion de vie ou de mort que de moi. Ma pratique de médecin fait que j’ai une foi incroyable en l’être humain et j’ai la conviction que cette force, nous l’avons tous. J’ai d’ailleurs écrit ce livre avec un objectif : celui de dire aux autres qu’ils ont cette force en eux. Vous ne savez pas si elle va sortir et quand, mais ne doutez pas car elle existe ! Mon idée est celle de l’universalité du fonctionnement de l’humain que j’ai retrouvé dans mon parcours de vie. 

Comment avez-vous réussi à survivre à cette épreuve et sur quoi vous êtes-vous appuyée ? 

Ce mot de survie m’interpelle. Ni ma fille ni moi n’étions dans la survie car je n’ai jamais été aussi vivante que pendant cette période de huis clos. Je sentais que c’était cette notion de vie au présent qui remplirait sa chambre. Ce qui est compliqué c’est de vivre dans l’après. L’après a été difficile car je n’avais plus rien, plus de salaire, plus de congé parental, j’étais à zéro. Il fallait que je reprenne le boulot doucement à temps partiel avec cette question de savoir si j’étais encore capable d’être médecin. Plusieurs choses m’ont aidée. D’abord, l’humour, que j’ai toujours cultivé avec mes enfants. Cette idée que l’on peut rire de tout et jusqu’à l’autodérision.

Et puis il y a eu mon corps qui m’a parlé à plusieurs moments en me donnant des signaux d’alerte. À deux reprises, j’ai fait une chute, une fois en me cassant le poignet, l’autre fois en me cassant les deux poignets… Après les moments de déprime liés à ces chutes, j’ai entendu le message suivant : « Si tu ne t’occupes pas de toi, c’est toi qui vas mourir ». Et cela m’a obligée à revenir vers les essentiels, y compris vers moi. Et à continuer d’être en vie. Les essentiels c’est l’instant présent, l’apprentissage qu’il n’y a que cela qui compte !

Qu’est-ce que vous auriez envie de dire aux Fabuleuses pour les encourager à prendre soin d’elles ? 

Quand une mère est avec son enfant dans un avion, s’il y a un problème dans l’avion et qu’il n’y a qu’un masque pour les deux, il est notifié dans les consignes que le masque doit être pour la mère. Car si la mère met le masque à son enfant, non seulement elle ne le sauve pas mais elle le tue car elle n’est plus là pour s’occuper de lui ! Cette histoire me revient car c’est ce que j’ai appris comme leçon : On n’est pas “bon aidant” si on ne commence pas par s’aider soi-même. Cette façon d’être un pilier ne tient pas la route au long cours si on ne renforce pas de l’intérieur ce que l’on est comme parent. Et il n’y a jamais rien d’acquis ! C’est tous les matins une décision à prendre avec soi-même. Cela, on l’oublie notamment quand l’enfant ne va pas bien. Quand l’enfant est en souffrance, souvent, nous les mamans, nous sommes les punching-balls. Ils se déchargent sur nous. Cela m’arrive encore d’oublier de me mettre en priorité, c’est-à-dire de me protéger. Au-delà de ça, il y a une nécessité de ne pas être en situation de survie mais de vie ! Je suis obligée de travailler cette question pour ne pas être affaiblie.

Ce que vous dites est aussi valable pour toute mère…

Oui, c’est universel. Quand on parle à une maman, on ne parle pas à n’importe quel individu. La maman est spontanément dévolue à son enfant. Et c’est culturel. On apprend que « l’on se doit de ». Mais en fait, non, on se doit de rien du tout ! Être maman n’est pas un job facile mais quand, en plus, il y a des soucis, il faut se rappeler que ce n’est pas notre seule mission. Notre seule mission est d’être soi-même car c’est aussi cela qu’on va transmettre à notre enfant. Si on met en mouvement notre force intérieure uniquement quand il s’agit de s’occuper de notre enfant, on ne lui transmet rien. On lui transmet juste « qu’un parent se doit de ». Et ce n’est pas cela que l’on souhaite transmettre… 

Si un jour ma fille a des enfants, je ne veux pas qu’elle se sente dans le sacrifice de tout devoir à son enfant. Elle doit être dans la gestion de sa vie comme un être à part entière et c’est dans cet épanouissement de vie qu’elle sera la meilleure dans la transmission à son enfant. Il faut revenir au fait que l’épanouissement personnel, la source de jaillissement de lumière, c’est cela que l’on veut donner. Et pour cela, il faut être dans le fameux « prendre soin de soi ». Si on éteint notre lumière, on ne transmet pas la bonne lumière à nos enfants

Qu’est-ce qui fait que vous n’éteignez pas votre lumière intérieure aujourd’hui ? 

D’abord, l’écriture qui m’aide beaucoup… Et puis le travail sur ma culpabilité. Par exemple, ma fille m’a harcelée ces quinze derniers jours au téléphone parce qu’elle a eu une douleur qui ressemblait à celle qu’elle a eu en 2015. Elle a été plongée dans une angoisse et cela a été ultra-agressif pour moi. Et j’ai appris à dire non. Je lui ai exprimé le fait que je ne pouvais pas accepter la façon dont elle me traitait actuellement. Une des autres clefs magiques, c’est d’accepter nos limites, les exprimer, passer le relais et ne pas culpabiliser de tout cela. Et si on sombre, il faut aussi l’accepter. Le fait d’avoir des projets pour soi est aussi fondamental. Après, je suis tout de même sous antidépresseurs. Ce n’est pas si simple. C’est tous les matins que l’on se choisit.

Quels conseils donneriez-vous tout particulièrement à une aidante solo ? 

J’ai fait une grande action dont je ne me croyais pas capable : j’ai remis le père dans la boucle. Il a été totalement absent durant toute la maladie de ma fille et c’est pourquoi il n’est pas dans mon livre. L’année dernière, cheminant, j’ai fini par me dire que ce n’était plus possible. Du coup, j’ai fait l’effort surhumain de contacter le père et de poser les choses avec lui. Alors en pratique, il n’est pas plus efficace mais symboliquement c’est important. Il ne prend pas le relais mais il m’allège dans la sensation de “solo”. De même, j’ai appris à passer le relais lorsque je n’en peux plus et que j’ai besoin d’un week-end pour moi. J’appelle soit une amie très proche, soit mes parents. Il faut savoir se faire aider !



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Cet article a été écrit par :
Claire Guigou

Journaliste, collaboratrice pour les Fabuleuses aidantes

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