Enfants extraordinaires

Un livre pour faire exister toutes les personnes trisomiques

Claire Guigou 27 janvier 2022
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Dans son livre « Simon et merveilles », Laure Vialleton nous partage sans langue de bois les joies et les difficultés de sa vie avec Simon, son fils porteur de trisomie 21. Un récit poétique et profond qui invite à un autre regard sur nos vies traversées par le handicap et la souffrance.

Laure, pourriez-vous vous présenter ?

J’enseigne les lettres modernes pour le CNED et j’ai un mari ingénieur. Nous avons eu un premier enfant, François, qui a aujourd’hui 24 ans. Deux ans après, est né Simon, dont on a découvert la trisomie à la naissance. Cinq ans après, Alice est née. Ce que je dirais de plus personnel, c’est que les mots sont mon pays !

Vous venez de publier Simon et merveilles, un livre dans lequel vous racontez la vie de votre fils trisomique. Pourquoi avoir choisi d’écrire maintenant ?

J’ai eu une vie marquée par la vulnérabilité, notamment par des soucis de santé personnels et familiaux. Passé le cap des 50 ans, je me suis demandée ce qui comptait vraiment pour moi, ce que je voulais laisser de mon passage sur terre. Une réponse s’imposait : témoigner du chemin accompli avec Simon. La trisomie était une surprise mais j’y avais été préparée par un cousin porteur de trisomie que j’aime beaucoup, Sébastien. Je n’étais sans doute pas la cousine de Sébastien et la mère de Simon pour rien. Si je n’écrivais pas, qui le ferait ?

Témoigner était d’autant plus important pour moi que 96% des enfants trisomiques en France passent à la trappe. Si je défends absolument le droit à l’avortement, je suis révoltée par une société qui déploie plus de moyens pour la systématisation du dépistage de la trisomie que pour accueillir les enfants normalement à l’école.

Avec ce livre, j’ai simplement voulu témoigner de ce que m’apportent Simon et Sébastien. La vie est parfois difficile mais il y a quelque chose de magnifique à vivre grâce à eux, à partir du moment où on a le cœur ouvert ! Ce livre illustre qu’à travers cette vulnérabilité — qui est la marque même de notre humanité —  il y a là une possibilité d’expérimenter la fraternité.

Votre texte évoque les joies vécues avec Simon mais aussi vos grandes difficultés. Cette transparence par rapport à l’épreuve du handicap vous tenait-elle à cœur ?

Mon texte ne présente pas un exemple de résilience, cela n’aurait aucun intérêt. J’ai simplement essayé de dire qui j’étais. Et j’ai joué le jeu de ne pas me présenter toujours à mon avantage. 

Mon parcours personnel est un parcours de vulnérabilité, un parcours qui m’a amenée à vivre dans l’ombre, ce qui était une souffrance supplémentaire. Mais un jour,  j’ai réalisé que ce qui est vécu dans l’invisibilité a parfois plus de valeur que ce qu’on vit dans la lumière. Je crois que si la société a autant de mal avec le handicap, c’est — en partie — parce qu’il nous renvoie à notre vulnérabilité humaine. Or, si j’ai compris une chose, c’est qu’on ne peut changer qu’à partir du moment où on accepte sa vulnérabilité. J’ai donc réalisé qu’à travers le prisme du handicap, ma vie me donnait un point d’observation de la société. En écrivant, peut-être le moment était-il venu — modestement — de partager ce que j’avais appris dans la profondeur.

Dans l’un des chapitres, vous décrivez à quel point vous avez souffert au contact d’un autre enfant trisomique qui se développait beaucoup plus vite que votre fils. Pourquoi raconter cet épisode ?

Ce garçon-là m’apparaissait comme le « polytechnicien » des trisomiques et c’était la première fois que j’étais confrontée à une personne trisomique qui s’en sortait apparemment sans difficulté. Voir cet écart entre mon fils et lui a été d’une grande violence pour moi qui avais pris l’habitude de me comparer aux autres. J’ai cherché des explications auprès de divers professionnels pour comprendre qui était cette « Formule 1 » de la trisomie ! Personne à l’époque n’a pu me répondre. J’imagine que nous pouvons toutes vivre ces moments où l’on constate qu’un autre enfant se débrouille mieux que le nôtre. Je ne suis sans doute pas la seule mère à avoir ressenti ce pincement au cœur. Cela, j’ai voulu le dire. J’ai voulu renvoyer à la société ce qu’elle nous fait vivre, de positif comme de négatif.

À rebours des reportages racontant les vies de personnes trisomiques au destin extraordinaire, votre livre semble vouloir célébrer tous les parcours de ces personnes invisibles…

Oui, c’est exactement cela et j’irais même plus loin. J’explique au début du livre que j’avais imaginé que mon enfant trisomique excellerait. Et, je raconte que cela n’a pas été le cas. Notre fils n’a pu ni entrer au CP ni même en CLIS. Dès l’âge de sept ans, il a dû intégrer le « monde du handicap », il est entré dans un institut spécialisé. Il n’avait sans doute pas le bagage intellectuel et cognitif pour poursuivre ses apprentissages au sein de l’école.

Ce que je veux dire, c’est que Simon ne brillera sans doute pas dans la vie. L’important est qu’il soit heureux. Dans sa manière de se réjouir de petites choses, de vivre l’instant présent, en tout cas, il nous remplit de joie.

Par ailleurs, le handicap est une épreuve tellement profonde que je trouve dommage d’y reproduire les mêmes grilles de lecture que celles qui ont cours dans la société générale – des grilles de lecture dont on crève. À travers ce livre, j’ai voulu faire exister toutes les personnes trisomiques en racontant ce qu’elles apportent dans la vie des proches. J’ai parfois l’impression que la société met en avant des réussites exceptionnelles chez les personnes trisomiques. J’aimerais qu’on n’en déduise pas que celles-ci doivent gagner leur droit à l’existence. J’aimerais que nous ayons tous le droit d’exister, qu’on soit pauvre, vieux ou handicapé.

Aujourd’hui, où en est Simon ?

Simon était en passe de rentrer dans un ESAT (atelier protégé) mais il a été traumatisé par la Covid, a fait une dépression dont il commence tout juste à sortir. À présent, il est accueilli dans un IME en pleine campagne où il expérimente l’internat à la semaine. Il retrouve le sourire, parle encore d’aller travailler. On lui laisse le temps de se remettre avant de décider avec lui de son orientation en secteur adulte. Mais il a pris goût à l’indépendance et il y a fort à parier qu’il demandera à intégrer un foyer pour vivre avec ses pairs, loin de ses parents.

Quels conseils donner à des mamans qui ont un enfant porteur de handicap ?

Un conseil que j’aurais aimé me donner à moi-même :  accepter que le handicap soit une épreuve et en être d’autant plus pleine de douceur envers soi-même. Dans cette vie des profondeurs, de l’invisibilité, il y aura de la joie, il y a aura des conquêtes, de petits moments volés à la difficulté, mais des moments de joie d’une intensité incomparable. Vivre le handicap, si l’on peut, autant que l’on peut, comme une école de vie, une école de sagesse. Et puis, accepter d’être entourée. On a coutume de dire qu’il faut tout un village pour élever un enfant. Le village se doit d’être d’autant plus grand pour un enfant handicapé.

Que ces mères aient plus de sagesse que je n’en ai eu à l’époque en osant se rapprocher des associations. Ce n’est que récemment, à travers une équipe de rugby adapté à laquelle Simon participe, que je découvre le partage avec des parents qui, comme moi, connaissent cette blessure à répercussions multiples. Le collectif m’a sortie d’une profonde solitude. Grâce à notre fils, je vis une expérience précieuse de fraternité.

Et puis, je leur dirais qu’il faut s’aimer, prendre soin de soi autant qu’on le peut. Se rappeler qu’on n’a pas à mériter de vivre. Nos vies sont souvent suffisamment dures pour qu’on se contente de les vivre.



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Cet article a été écrit par :
Claire Guigou

Journaliste, collaboratrice pour les Fabuleuses aidantes

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