Enfants extraordinaires

Qui suis-je pour vous parler ?

Anna Latron 31 mai 2021
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Depuis que j’ai rejoint l’aventure des Fabuleuses il y a trois ans, un nombre croissant de mamans nous partagent leurs difficultés et leur solitude face au handicap d’un enfant, à la maladie d’un conjoint, au vieillissement d’un parent.

Aussi, quand le projet de s’adresser spécifiquement à ces “mamans au front” — dont le quotidien est marqué par l’accompagnement d’un enfant différent, d’un conjoint dépressif ou d’un parent qui devient dépendant — a germé chez les Fabuleuses, la petite voix de l’imposture est immédiatement venue susurrer à mon oreille :

« Mais qui es-tu pour porter ce projet ? »

« D’autres mamans portent bien plus lourd que toi… »

« Arriveras-tu vraiment à comprendre ce qu’elles vivent ? »

Oui, d’autres mamans portent bien plus lourd que moi :

  • Mes enfants ne sont pas en fauteuil roulant, ne sont pas branchés 24 heures sur 24 à des appareils clignotants, ne nécessitent pas de soins médicaux quotidiens…
  • Mon conjoint ne reste pas au lit toute la journée, empêché de vivre par une profonde dépression.
  • Mes parents me reconnaissent quand je les appelle et je ne dois pas vérifier chaque jour s’ils ne se sont pas perdus dans leur quartier. Mais.

Chère Fabuleuse,

Je ne vais pas dresser ici la liste de toutes les raisons et de tous les comportements qui font que mes enfants sont différents, ni celle de tous ces détails du quotidien qui font que mon expérience de la maternité est différente.

Et puis d’ailleurs, différente de quoi ? Quelle est la définition de la normalité ? Et la différence, où commence-t-elle ?

Dès que j’ai partagé ces doutes — ce syndrome de l’imposteur — à mon entourage, une de mes chères amies m’a rappelé ce passage d’un texte écrit par notre chroniqueuse Rebecca Dernelle-Fischer :

« Un bobo est un bobo. Me dire que ce n’est rien ne suffit pas à le faire disparaître. Une souffrance est une souffrance ; tu n’as pas besoin de la relativiser. Elle est réelle : respecte-la, respecte-toi. »

Comparer mes cartes avec les vôtres n’a aucun intérêt, à part peut-être celui de nous isoler encore un peu plus, vous et moi. Alors, je fais le choix de considérer mes épreuves pour ce qu’elles sont, sans les comparer à celles des autres. 

J’ai donc pris l’engagement de ne pas piétiner ce que j’ai à porter au quotidien, de ne pas nier les pierres qui pèsent lourd dans mon sac à dos, en hommage à tout ce que chacune d’entre vous porte. Ce n’est pas en minimisant le poids de mon sac que je pourrai considérer avec compassion le poids du vôtre.

Quand je célèbre une petite victoire dans un progrès anodin d’un de mes enfants, je me rappelle cette autre phrase de ma chère Rebecca : je sais que je ne vais pas alléger le fardeau que vous portez en négligeant ma joie.

Partager avec vous cette joie qui m’habite n’a pas pour objectif de nier les défis auxquels vous êtes confrontées…car ces défis, je les connais.

Peut-être pas à la même échelle, mais je les connais.

Je ne les connais peut-être pas dans le détail, mais tout ce que j’ai déjà vécu et vivrai encore, me permet de m’approcher de vous, de pose une main sur votre épaule et de vous murmurer :

« Je sais. Je suis là. »

Pour poser cette main sur votre épaule, voici les engagements que j’ai pris secrètement :

  • Ne pas essayer de relativiser ce que vous vivez.
  • Ne pas juger ce que vous traversez, ni si vous avez encore le « droit » d’être heureuses et de savourer la vie.
  • Réaliser que je n’ai pas à être gênée des trésors que j’ai (et ne pas dénigrer les trésors que vous avez, même si leur forme est parfois atypique).
  • Oser dire oui à ma vie avec tout mon être.
  • Savoir que ça n’aidera personne si je me sens coupable de mon bonheur.
  • Savoir que comparer mes bobos aux vôtres n’aura pour conséquence que moins de connexion, et donc moins de compassion.

Alors oui, peut-être que mes enfants sont porteurs d’un handicap que d’aucuns jugeront “léger” — d’autant qu’il est invisible — mais je refuse de laisser le syndrome de l’imposteur m’empêcher de faire ce que je sens au plus profond de mon coeur :

  • Vous rappeler à quel point vous êtes fabuleuses ;
  • Vous encourager pour tenir sur la durée le marathon de l’aidance ;
  • Vous écouter en cas de coup de mou ou de victoire à partager ;
  • Accueillir chacune d’entre vous telle qu’elle est, avec ses forces et ses faiblesses.

Et ça, je sais que je peux et que je veux le faire, quel que soit le « degré » de différence de mes enfants.

Merci à Rebecca Dernelle-Fischer pour ses écrits et réflexions qui ont nourri ce texte, ainsi que pour son écoute bienveillante et encourageante au sujet de ce projet des Fabuleuses aidantes !



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Cet article a été écrit par :
Anna Latron

Journaliste de formation, Anna Latron collabore à plusieurs magazines, sites et radios avant de devenir rédactrice en chef du site Fabuleuses au foyer et collaboratrice d’Hélène Bonhomme au sein du programme de formation continue Le Village. Mariée à son Fabuleux depuis 10 ans, elle est la maman de deux garçons dont Alexis, atteint d’un trouble du spectre de l’autisme.

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