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Enfants extraordinaires

Quand les amis s’éloignent

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Combien de fois ai-je déjà entendu cette phrase : « Quand on a appris le diagnostic, c’est comme si un tri s’était fait dans notre cercle d’amis. Il y a ceux qui sont partis du jour au lendemain ; ceux qui n’étaient pas forcément proches de nous mais qui se sont rapprochés, qui nous ont montrés qu’ils comprenaient ; ceux qui ont tenté d’être là mais ont abandonnés ; ceux qui n’ont plus rien compris mais qui se sont accrochés et qui nous ont demandé comment nous aider au mieux. »

Etrange chose qu’un diagnostic vient faire dans une famille. 

Comme un coup de vent qui déstabilise un équilibre déjà fort fragile. Le jeu change, les plans d’actions sont remis en question et sur la carte de nos amitiés, un tourbillon se crée. On dirait qu’une partie géante de chaise musicale a pris place entre ceux qui restent et ceux qui partent, ceux qui ne veulent pas comprendre et ceux qui nous envahissent de leurs conseils et de leurs émotions, ceux qui pensent savoir, ceux qui ne veulent pas savoir, ni voir, ni même s’imaginer, ceux qui nous regardent au plus profond du cœur et nous disent, pas très assurés : « On est là, encore, quand même, apprenez-nous à être avec vous dans la tempête. » 

Je pense à cette maman qui me confiait, tenant contre son cœur sa petite fille dont le syndrome avait seulement été diagnostiqué presque 2 ans après sa naissance : « Mon amie est sa marraine, mais je crois qu’elle a du mal à aimer cet enfant différent, j’ai presque l’impression qu’elle préfèrerait que l’on lui choisisse une autre marraine »

Une autre me dit : « Avant, on parlait de tout et de rien au téléphone, mais là, c’est comme si un gouffre s’était placé entre nous, on ne sait plus quoi se dire, elle ne comprend pas mon engagement au quotidien pour mon enfant, elle ne me comprend plus ». Mais celle qui a profondément bouleversé mon cœur, c’est cette grand-mère dont le petit-fils a été diagnostiqué quelques semaines après sa naissance d’une maladie génétique rare… Depuis, la vie de cette famille sort des sentiers battus, et chacun essaye au mieux de vivre le présent sans trop penser à l’avenir.

Il y a un avant et un après 

… et même si cette grand-mère me montre toute fière la vidéo de ce petit bout qui se met à rire, ses larmes sont juste là, au bord de ses yeux, passant le barrage dès que mes mots s’approchent un peu trop près de sa douleur, quand elle se sent entendue. Quand j’entends, entre tous ces mots, le cri de son cœur : « Je l’aime tant cet enfant mais je suis triste. Je fais de mon mieux pour soutenir ma fille et sa jeune famille. Mais moi aussi j’ai mal »

Et puis, elle me regarde d’un air défiant : « J’ai rencontré une des meilleures amies d’école de ma fille dernièrement. Je lui ai dit “Léna attend que tu la contactes”, elle m’a répondu un “euh oui oui, je sais”, mais elle ne l’a pas encore fait. Rien, elles étaient de si bonnes amies dans le temps et là, rien. Elle n’a même pas pris la peine de contacter Léna depuis la naissance. Et ma fille a dit “Si elle ne me contacte pas et bien tant pis, elle est au courant, c’est qu’elle ne veut pas”. » Et tout dans son visage me dit sa colère, son incompréhension. 

Tant de souffrance dans ce bouleversement et tant de questions, de révoltes, de non-dits.

Comme si l’on pouvait trouver ne fut-ce qu’un coupable pour le mal-être qu’on traverse. Comme si en vouloir à cette amie d’enfance permettait à cette grand-mère de dire : « Quelle situation merdique, je suis en colère, personne n’a mérité ça ». Elle aboie sa colère comme le petit chien de notre voisine qui ne peut s’empêcher de faire plus de bruit que tous les chiens du quartier et qui pourtant est juste effrayé et petit, vraiment petit. 

Cette grand-maman rouspète haut et fort en parlant avec moi, mais je sais que ce qu’elle me dit vraiment c’est aussi son impuissance, sa douleur, sa révolte. Je lui réponds : « C’est difficile, oui. Quel dommage. On se sent blessé. » Mais j’aimerais tout autant lui dire : « N’abandonnez pas, parfois, il faut juste qu’une personne fasse un pas, un pas incertain, un pas vulnérable, un pas qui dit “j’aimerais tant qu’on se retrouve au-delà de ce diagnostic, ne t’éloigne pas” »

Dans son magnifique livre Consolation, Anne-Dauphine Julliand compare la consolation à une danse. On s’approche de l’autre, on apprend à danser ensemble, on fait des erreurs, on se rencontre, on s’éloigne, on s’excuse, on est en mouvement, à deux. On peut se murer dans un silence, se sentir incompris et préférer garder cette distance. On peut souffrir de la distance que les autres ont mis entre nous, on peut s’en offusquer, on peut tant espérer qu’ils fassent encore un pas vers nous. 

Mais on peut aussi faire un petit pas. 

Et dire à l’autre : « J’ai besoin de toi, laisse-moi t’apprendre à danser, c’est pire quand tu n’es plus là ». Oser la maladresse de l’autre, lui laisser le temps d’apprendre, lui donner les mots pour comprendre, avoir confiance qu’avec un petit coup de pouce, cette amitié ne coulera pas sous le poids du diagnostic et de notre nouvelle réalité, oser franchir le grand canyon entre nous, faire le grand écart juste pour dire : « Et si on essayait quand même ? Laisse-moi t’expliquer ». Parfois, nous retournerons à nos vies sans avoir atteint l’autre et il faudra peut-être faire le deuil de cette belle amitié, mais pas sans avoir essayé, juste une fois, donné une chance, mettre des mots, tendu la main hors de l’eau, crier à l’aide. 

« Pouvoir demander de l’aide relève de la survie. C’est le marin dont le navire s’abîme en pleine mer et qui envoie un SOS. (…) “Sauvez nos âmes.” Il dit la détresse dans laquelle on se trouve. Tel est l’enjeu de la consolation. Il s’agit de sauver non pas nécessairement une vie en danger, mais une âme en souffrance. La sauver des ténèbres et de l’isolement. La sauver en ancrant une présence à ses côtés. En l’assurant de notre capacité à marcher à son pas, à entendre sa douleur et à répondre à ses besoins. Les petites choses, d’apparence insignifiante et anodine, peuvent apporter de grands réconforts. » — Anne-Dauphine Julliand, Consolation 

Autant nous avons appris l’importance de vouloir aider l’autre dans sa douleur, autant il est essentiel que nous aussi, nous osions appeler à l’aide, franchir la distance qui s’installe. 

Tenter encore une fois de créer un pont. 

Alors, ce que j’aimerais te partager, c’est cela : « Ne reste pas seule, tu as besoin d’alliés, d’amis, de gens qui, même s’ils ne comprennent pas ce que tu vis, même s’ils ont plutôt l’air de vouloir parfois s’éloigner, sont là pour saisir la main que tu leur tend pour demander leur soutien. Qui veulent bien essayer d’apprendre à danser avec toi. »

Ose faire un pas, ose dire les mots, ose mettre l’autre à l’épreuve de ta vérité. Parce que quand l’amitié passe ce mur de feu, c’est un trésor que de l’avoir sauvée. 

Dans son livre Cette Lumière en nous, Michelle Obama dédie tout un chapitre à sa table de cuisine, à ses amies, au cercle des gens qui sont proches d’elle. Elle écrit : « Des chercheurs de l’université de Virginie ont mis à l’épreuve une théorie au sujet de l’amitié. Ils ont équipé un groupe de volontaires de lourds sacs à dos et les ont placés l’un après l’autre au pied d’une haute colline, comme s’ils allaient devoir la gravir. Chacun devait évaluer la difficulté de l’ascension. La moitié d’entre eux se retrouvaient seuls devant la pente, alors que les autres avaient à leur côté quelqu’un qu’ils considéraient comme un proche. La conclusion était sans appel. Le second groupe estimait en majorité que la côte était moins raide, la montée plus facile. Quand il s’agissait d’amis de longue date, la différence était encore plus nette. Bien entouré, on est plus fort. » 

Tu me diras peut-être : « Oui, mais je n’ai pas le temps, je n’ai pas la force en plus de courir après nos amis qui s’éloignent en espérant les convaincre de rester. » Tu n’en as même peut-être pas envie. Mais il est des alliances dans nos vies, des liens qui nous rendent plus forts, qui nous aident, qui nous soulagent, qui nous consolent si bien. Ne les laissons pas se perdre sans avoir ne fut-ce qu’essayer de faire ce petit pas qui les invite à nous voir. Ce pas qui leur propose une danse. Qui leur demande de s’essayer à cette danse sur les rythmes atypiques de nos quotidiens changés, bouleversés, parsemés d’autres bonheurs, d’autres saveurs,… en dehors des sentiers battus. 

Brené Brown termine son livre Atlas of the heart par une leçon de vie que lui a donné sa maman et que j’aimerais aussi te transmettre : 

« Ne détourne pas les yeux,
ne baisse pas les yeux,
ne fais pas comme si tu ne voyais pas la douleur.
Regarde les gens dans les yeux.
Même quand leur peine menace de te submerger.
Et quand tu souffres et que tu as mal,
trouve des gens qui sont capables de te regarder dans les yeux.
Nous avons besoin de savoir que nous ne sommes pas seuls –
tout particulièrement lorsque nous souffrons. »

Alors s’il te plaît, ne reste pas seule ! 

Ose briser le silence qui s’installe. Ose faire un pas. Ose prendre le risque. Cela en vaut vraiment la peine. 



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Cet article a été écrit par :
Rebecca Dernelle-Fischer

Psychologue d’origine belge, Rebecca Dernelle-Fischer est installée en Allemagne avec son mari et ses trois filles. Après avoir accompagné de nombreuses personnes handicapées, Rebecca est aujourd’hui la maman adoptive de Pia, une petite fille porteuse de trisomie 21.
https://dernelle-fischer.de/

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