Naïs* est une petite fille de 10 ans, gravement polyhandicapée, depuis sa naissance. Elle ne parle pas, ne tient pas sa tête, ne marche pas, ne bouge pas. Depuis son fauteuil, elle suit du regard et n’en rate pas une miette. La plupart du temps souriante, et tranquille. Et son sourire porte le monde. Naïs aux longs cils noirs attire les regards, non pas parce qu’elle est porteuse de polyhandicap, mais par sa pleine présence empreinte d’une telle sérénité, malgré des crises d’étouffement qui ont pu angoisser ses parents.
*Le prénom a été modifié
Elle dégage une force étonnante et contagieuse.
Elle aimante. Petits et grands viennent se réfugier auprès d’elle, lui confier leurs secrets, poser un baiser sur sa joue gracile. Ils repartent plus confiants, plus légers. Du haut de ses dix ans et de son corset, cette petite Naïs est une éducatrice née. Elle invite à la patience, à l’ici et maintenant, elle calme et fédère.
Certaines personnes arrivent à faire naître le meilleur autour d’elles, alors qu’elles sont en situation de handicap, de maladie. Elles sont “pacifiantes”, comme un trait d’union dans une famille, un environnement, un système. Il semble que certains enfants “différents” aient cette capacité à émouvoir, à rassembler. Leurs grands yeux d’enfants interrogent l’essentiel, leurs regards pleins de lumière affranchissent l’espace et le temps. Avec eux, beaucoup de choses sont plus faciles, même si tout n’est évidemment pas rose, loin de là. Ils se montrent doux et calmes. Ils font preuve d’une patience à toute épreuve à laquelle l’époque ne nous habitue plus guère. Ou bien ils ont cette capacité à dire les choses sans détours. Ils savent parler de la maladie, de la mort, avec simplicité et facilité. Ils n’ont pas peur des émotions, des silences. Ils acceptent leurs différences et peuvent montrer que le handicap n’appartient qu’à celui qui juge, qu’il n’est qu’une question de regard. Ils peuvent libérer les adultes de leurs propres inquiétudes.
Mais cette capacité n’est pas l’apanage des enfants.
En réalité, c’est avant tout l’esprit d’enfance caractérisant certains adultes malades ou en situation de handicap qui va fédérer autour d’eux et révéler les aidants dans cette capacité à donner le meilleur.
- Patients adultes conscients, au caractère spécifiquement facile,
- aidés dotés d’un humour débordant, désopilant autant que déroutant,
- aidés remplis de bonté, aptes à se laisser faire
- ou bien adultes atteints de maladies neurodénégératives les renvoyant dans leur enfance
- adultes en état neurovégétatif, adultes en fin de vie,
Ces aidés-là peuvent permettre aux aidants de déplacer les montagnes pour eux, mais aussi pour eux-mêmes, aidants. Les aidés ont le pouvoir de révéler les aidants dans leur capacité à se donner, à aimer. Même s’il y a évidemment des jours “sans” où pour toi, chère Fabuleuse, le ras le bol domine.
Et c’est bien normal !
D’autre jours, les maladies ou les handicaps peuvent devenir des raccourcis pour restaurer non seulement la relation mais restaurer aussi les aidants dans leurs propres identités. En étant si démunis, dépouillés et nus, en se montrant si pauvres, les aidés font tomber les résistances et les barrières. Ils n’ont plus rien à donner que leur regard, leur écoute, que se donner eux-mêmes à contempler. Ils n’attendent rien d’autre que ce que les aidants voudront bien leur donner. Ils ne peuvent alors que recevoir, dans la gratitude de ce qui est donné. La relation est changée, il n’y a plus de donnant-donnant : elle est devenue gratuite. Enfant ou adulte, l’aidé qui offre à l’aidant cette présence pleine et entière, sans regarder sa montre ou son portable, qui écoute deux fois plus qu’il ne parle offre un réconfort sans prix.
Aujourd’hui, on parle beaucoup d’écoute active. La personne handicapée ou malade a pu acquérir, parfois, cette capacité d’accueillir pleinement l’autre, de n’avoir d’autre but que de l’écouter sans barrages*.
*Les 12 barrages à la communication énoncés par Th. Gordon sont le fait d’exiger, de menacer, moraliser, solutionner, argumenter, juger et blâmer, louanger, humilier, interpréter, consoler, enquêter, éluder
Chère Fabuleuse,
Dans mes précédents articles, j’ai rappelé combien la relation aidant/aidé pouvait être malmenée, difficile et douloureuse mais je crois profondément qu’elle peut aussi être sublimée. Elle peut être l’un et l’autre, ou l’un puis l’autre. Ceci sera d’autant plus vrai que ton aidé se rapproche de l’esprit d’enfance et que toi, chère Fabuleuse, tu transformes ton regard sur l’aidé (et sur toi-même). Alors chère Fabuleuse, garde l’espérance que tout est possible.
Et chante-le, danse le avec Dub Silence