Enfants extraordinaires

« Osez rêver l’avenir de votre famille »

Laure Japiot-Gouesse 26 juillet 2021
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Quelles sont les conséquences d’une maladie grave ou d’un handicap de l’enfant sur le rôle des parents ? Éclairages de Sophie Boursange, psychologue au sein d’une consultation de neuropédiatrie et chercheuse à l’université de Paris. 

Sophie, peux-tu nous expliquer en quoi consiste ton activité ?

Je travaille au sein d’un service de neuropédiatrie qui regroupe deux activités : une plateforme d’essais thérapeutiques pour les maladies neuromusculaires pédiatriques et une consultation pluridisciplinaire. Nous recevons des familles de toute la France, soit dans le cadre du suivi de la maladie de l’enfant, soit dans le cadre de la participation de l’enfant à un essai clinique visant à mieux connaître une maladie ou à évaluer de nouveaux médicaments. 

Pour ma part, j’interviens soit à la demande de mes collègues, soit à la demande des parents, si l’enfant semble déprimé et/ou si les parents sont en difficulté pour vivre cette situation. Je mène également une activité de recherche doctorale avec l’Université de Paris pour étudier les conséquences d’une maladie génétique évolutive de l’enfant, l’amyotrophie spinale, sur l’expérience de la parentalité et le sentiment de surcharge parentale.

Qu’est-ce que la maladie ou le handicap change dans la relation parent-enfant ?

L’annonce d’une maladie grave ou d’un handicap bouleverse les projets que les parents avaient imaginé pour leur enfant. Face à la maladie et à son incertitude, ils peuvent développer un sentiment intense d’inquiétude, de culpabilité ou d’impuissance qui vient parfois modifier la façon dont ils s’occupaient de leur enfant : le surprotéger, ne plus le confier à son entourage, céder à toutes ses frustrations…

De plus, dans le cas des maladies neuromusculaires, la maladie et sa prise en charge impliquent les parents dans des soins quotidiens au long cours. S’il est normal d’aider son enfant à prendre son bain, à s’habiller, à manger quand il est petit, cette dépendance peut devenir pesante sur la durée.

Les parents se retrouvent parfois obligés de faire intervenir un professionnel extérieur, ce qui les culpabilise beaucoup car ils estiment que c’est leur devoir de s’occuper de leur enfant. Le choix d’institutionnaliser son enfant, dans un IME avec internat par exemple, peut être particulièrement terrible, même si c’est parfois nécessaire pour le développement de l’enfant et son projet de vie. 

Par ailleurs, la maladie fait basculer les parents dans le monde médical et les oblige à acquérir des connaissances et des compétences équivalentes à celles de professionnels du monde hospitalier. Certains se forment avec l’aide d’autres parents, d’autres regardent des tutoriels sur Youtube pour apprendre à réaliser les soins pour leur enfant…

Cela modifie beaucoup les relations : le risque est qu’ils deviennent plus soignants que parents. Un ajustement progressif doit se faire, car il est bien sûr important que les parents puissent comprendre les discours médicaux et réaliser les soins, mais il est fondamental qu’ils puissent déléguer lorsqu’ils sentent que la relation avec leur enfant est cristallisée autour de la maladie ou qu’un sentiment de lassitude, de rejet, d’indifférence ou d’épuisement s’installe. 

Quels sentiments dominent chez les parents dans une telle situation ?

Les parents d’un enfant malade ou handicapé se retrouvent sans repères : sauf exception, eux-mêmes n’ont jamais été à la place de leur enfant et ne peuvent pas comprendre tout ce qu’il vit. Leur processus identificatoire est en défaut.

Ils sont souvent traumatisés par l’annonce du diagnostic, surtout si elle a été faite en termes prédictifs (« votre enfant ne pourra jamais parler/marcher/vivre au-delà de… ») : certains parents ont beaucoup de mal à investir leur enfant car ils ont l’impression que cela ne sert à rien. Ils peuvent avoir des pensées très culpabilisantes, telles que souhaiter que leur enfant ne soit jamais né ou vienne à mourir, avoir envie de partir soi-même…

En tant que psychologue, je constate que les parents sont très soulagés quand je leur dis qu’ils ne sont pas seuls à avoir ce genre de pensées et qu’elles sont souvent le signe d’un ras-le-bol, d’une charge trop importante sur le plan physique et psychique. 

Par ailleurs, je constate que certains parents sont fragilisés dans leur compétence parentale. En effet, la maladie et sa prise en charge obligent les parents à partager leur autorité parentale avec les équipes qui les accompagnent. Toutes les décisions relatives à leur enfant et parfois à la famille vont être discutées avec les équipes, que ce soit sur un plan thérapeutique, éducatif ou encore familial – comme le projet d’une autre naissance.  En somme, les parents peuvent se sentir dépossédés de leur autorité parentale, ce qui est forcément douloureux. 

En parallèle, cette épreuve va soumettre les parents à des remaniements sur le plan psychologique nécessaires à leur adaptation. Ces remaniements peuvent leur permettre d’engager un travail psychologique d’acceptation et de résilience : ils découvrent souvent des ressources qu’ils ignoraient avoir ou qu’ils sous-estimaient, développent un nouveau regard sur la vie, sur ce qui est important, sur leurs relations aux autres… Finalement, à distance du diagnostic, les parents expriment à la fois beaucoup de difficultés mais aussi la richesse de leur expérience et le fait qu’ils n’aimeraient pas que ce soit différent.

Que voudrais-tu dire à ces parents au front ?

Je suis admirative de votre courage et j’ai confiance en vos capacités à transformer cette épreuve. Certes, votre vie ne sera pas celle que vous aviez prévue mais il ne faut pas abandonner vos rêves. Voyager, faire du ski, trouver des activités qui vous plaisent… Rien n’est impossible, je le constate tous les jours auprès des familles que j’accompagne.

Bien sûr, cela demande plus d’énergie que la moyenne, ceci nécessite d’anticiper, d’être créatif, de convaincre et rassurer vos interlocuteurs car le handicap fait peur… Mais si vous rappelez ce principe fondamental qu’il s’agit avant tout d’un enfant qui a besoin de grandir, il devient possible de réfléchir et de trouver des solutions.

Il est essentiel de pouvoir rêver l’avenir de votre enfant, le vôtre et celui de votre famille.



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Cet article a été écrit par :
Laure Japiot-Gouesse

Laure est psychologue, ex-journaliste et maman de trois garçons, dont l'aîné est « atypique » (haut potentiel et hypersensible). Elle est rédactrice pour les Fabuleuses aidantes.

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