Conjoints aidés

« Oser parler, c’est poser les bases pour trouver des solutions »

Marina Al Rubaee 13 mai 2025
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Marina Al Rubaee

À 47 ans, Christine Mendes est devenue aidante après l’accident de son conjoint. Un rôle qu’elle a mis du temps à reconnaître, mais qui l’a transformée. Aujourd’hui, elle l’assume pleinement et veut en faire une force dans sa vie personnelle et professionnelle.

Comment te présentes-tu aujourd’hui ?

J’ai 47 ans, dans ma tête j’en ai toujours 24 ! Je suis maman d’un petit garçon de 7 ans, et depuis 2019, je suis aidante de mon conjoint. Il a été percuté lors d’un accident de scooter, et depuis, il vit avec un handicap invisible lié à des séquelles cognitives. On est passés par l’hôpital, la rééducation, les thérapeutes, les solutions à inventer. Toute notre vie a été réorganisée. J’ai compris qu’être aidante, c’est s’adapter, tout le temps. Ce n’est jamais linéaire.

Quand as-tu compris que tu étais aidante ?

À l’hôpital, on m’a conseillé de voir une assistante sociale. Le mot « aidant » a été prononcé, mais je n’ai pas vraiment compris le sens tout de suite. À ce moment-là, je n’avais pas la tête à ça. J’étais focalisée sur la survie de mon mari. J’ai mis plusieurs années à accepter ce rôle, à m’y reconnaître. Ça m’a longtemps dérangée, mais aujourd’hui, j’ai accepté cette étiquette : je suis aidante.

Qu’as-tu découvert de ce rôle ?

C’est un rôle essentiel. Mon conjoint a des troubles cognitifs : il ne coordonne plus ses idées comme avant. Je dois anticiper, réagir à ses ressentis, trouver des solutions. Je fais en sorte que tout fonctionne autour de lui, pour qu’il se sente bien. J’ai toujours été empathique, mais là, je me dépasse. Être aidante, c’est répondre aux besoins physiques, émotionnels, logistiques d’un autre. Sans ce rôle, tout peut s’effondrer.

Qu’est-ce que ça a changé pour toi ?

Avant l’accident, j’avais une vie bien remplie : un travail prenant dans l’événementiel, une routine rythmée par les journées chargées, les soirées tardives, la gestion de la maison et de ma famille. Je ne me posais pas vraiment de questions. Puis, tout a basculé : l’’accident de mon mari a été un choc brutal. 

On m’a parlé de pronostic vital engagé. C’est dans ce moment d’urgence absolue que ma vie a changé. Heureusement, il a survécu. Mais il est resté marqué, avec des séquelles invisibles mais bien réelles. 

Aujourd’hui, il a pu reprendre son activité professionnelle, dans un cadre adapté, avec de l’accompagnement. Mais moi, je suis restée dans une forme de vigilance constante. Toujours en alerte, attentive au moindre signe de difficulté. On apprend à avancer, à gérer, sans toujours prendre le temps de comprendre ce qui nous arrive. 

Pendant longtemps, je n’ai pas mis de mot sur ce que je vivais. Je ne me disais pas « aidante ». Je faisais simplement ce qu’il fallait pour tenir notre quotidien à bout de bras, obsédée de retrouver ma vie d’avant. Mais ce n’était, en vérité, plus le cas. J’ai dû arrêter de travailler. Ce métier que j’aimais n’était plus compatible avec ma nouvelle réalité. Il ne faisait plus sens. J’ai donc demandé une rupture conventionnelle, et j’ai pris un temps pour me retrouver, pour réfléchir à ce que je voulais vraiment.

Et ce temps-là, qu’en as-tu fait ?

Je me suis remise au sport, j’ai approché des associations d’aidants, je suis devenue bénévole avec mon mari pour le pôle handicap de la ville de Puteaux où j’habite qui propose des activités aux enfants en situation de handicap… J’avais besoin de transformer ce rôle en quelque chose de positif. J’ai connu une dépression, mais je me suis dit : on a frôlé la mort, alors comment garder le cap ? Faire du bien aux autres m’a fait du bien à moi aussi. On pense qu’on donne, mais en fait, on reçoit beaucoup.

Tu dis que tu t’es révélée dans cette épreuve ?

Oui ! Ce rôle m’a appris la résilience. Je ne savais pas que j’avais cette force de caractère, cette persévérance. Ce que j’ai appris à l’école ne m’a jamais autant servi que ce que j’ai appris dans l’aidance : gérer des rendez-vous médicaux, négocier, ne rien lâcher, rester debout même quand c’est dur. C’est une autre forme de compétence, qu’on sous-estime, mais qui est très précieuse.

Qu’est-ce qui t’a aidée à reprendre confiance ?

Un moment clé a été mon bilan de compétences avec Atelier Etoile. J’ai compris que ce que je vivais avait de la valeur, même sur un CV. Il m’a permis de réaliser que, même si je n’étais plus, pour l’instant en poste, je continue à développer des aptitudes grâce à l’aidance telles que la coordination, l’organisation, la gestion de crise, la résilience… Des qualités que j’avais peu valorisées jusque-là mais qui sont très recherchées en entreprise. Ensuite, j’ai intégré la formation gratuite « Parcours Aidant et Emploi » proposée par l’association Aidants et Bien Plus. C’est là que quelque chose s’est débloqué. 

J’ai rencontré d’autres femmes aidantes. J’ai compris que je n’étais pas seule. Et surtout, j’ai appris à parler positivement de ce rôle, à le traduire en compétences transférables, en expériences concrètes. C’est là que j’ai commencé à envisager un avenir professionnel aligné avec ce que je suis devenue. Aujourd’hui, je le dis clairement : je suis aidante. Certains recruteurs sont effrayés, d’autres intrigués. Je ne peux plus faire semblant. Cette expérience fait partie de moi, elle m’a transformée. Aujourd’hui, je cherche un poste où je peux valoriser à la fois mon expérience pro d’avant, et mes compétences humaines d’aujourd’hui.

Comment te ressources-tu au quotidien ?

Le sport m’a aidée à retrouver un équilibre, à me reconnecter à mes besoins. Je suis aidante, mais je suis aussi un être humain avec des besoins. Si je ne prends pas soin de moi, je n’ai plus d’énergie pour personne. Je me rappelle ce qu’on m’avait dit à l’hôpital : « Reposez-vous, c’est important car cette situation va durer » Sur le moment, je n’ai pas voulu l’entendre. Avec le recul, c’était essentiel. Il faut trouver des bulles d’oxygène, sinon on s’écroule.

Avec tout ce que tu sais aujourd’hui, qu’aurais-tu fait différemment ?

J’aurais pris conscience plus tôt que j’existais aussi dans l’histoire. 

Au début, j’étais là, mais j’existais à peine. Je m’effaçais. Je m’oubliais dans les besoins de mon mari et de ma famille en mettant de côté les miens. J’en ai payé le prix fort. Ce que j’ai toujours voulu, c’est transformer les choses en positif. C’est ma nature, même dans les pires moments. On n’est pas formés pour être aidants. Il n’y a pas de mode d’emploi. Mais on peut apprendre, progresser, et faire du mieux qu’on peut.

Quel message veux-tu faire passer aux Fabuleuses Aidantes ? 

Il faut en parler. En parler, ce n’est pas se plaindre. C’est poser les bases pour trouver des solutions. Le jour où j’ai assumé mon rôle d’aidante, les portes ont commencé à s’ouvrir. Il ne faut pas attendre que les autres devinent : c’est NOTRE responsabilité de partager et d’assumer nos expériences pour que notre légitimité soit reconnue, nous sommes nos meilleurs « portes paroles ». Il est important d’en parler à son employeur, à son service RH, aux autres aidants. Il y a des ressources, des formations, des associations. On est de plus en plus visibles, même dans les pubs, et ça fait du bien !



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Cet article a été écrit par :
Marina Al Rubaee

Marina est aidante depuis toujours de ses deux parents atteints de surdité. Aujourd’hui, elle est journaliste et auteure. Elle est à l’origine de Porte Voix, une association qui vise à sensibiliser les entreprises aux problématiques des salariés aidants familiaux. Elle est l’auteure du guide Les aidants familiaux pour les nuls, aux éditions First. 

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