Chère Fabuleuse,
Après avoir été aidante de mon mari Léonard (décédé en 2013), puis de mes parents, me voici devenue l’aidante de mon fils de 15 ans diagnostiqué d’un cancer en juillet dernier. Comme tu l’imagines, ce fut un gros tsunami auquel s’ajouta la mort de mon père à peu près au même moment.
Après cet été qui ne ressembla à aucun autre, je suis partie mi-septembre rejoindre ma fille aînée pour quelques jours d’escapade à Belle-Île dont elle faisait le tour à pied. Je pensais à mon futur article et le verbe “oser” a jailli.
Oser laisser à l’hôpital durant 6 jours son fils adolescent pour sa 5e cure de chimio,
Oser vivre une petite aventure sans itinéraire précis ni hébergement,
Oser prendre du temps avec son aînée,
Oser laisser sa fille porter la tente,
Oser dormir sous la tente, chose non faite depuis belle lurette,
Oser, durant une grosse insomnie, se demander ce qu’on fait là,
Oser avouer que son corps n’a plus vingt ans et que dormir par terre n’est décidément plus de son âge,
Oser chercher dès le lendemain un gîte pour poser son sac et prendre une douche,
Oser changer d’avis,
Oser déguster un café serré sur le port et se dire que pour rien au monde on ne voudrait être ailleurs,
Oser marcher à son rythme,
Oser affronter les regards moqueurs de ses autres enfants regardant les photos prises par son aînée,
Oser chanter et danser comme une fofolle « Il était une fermière qui allait au marché »,
Oser penser à son fils sur son lit d’hôpital,
Oser accueillir le présent et laisser repartir les pensées sur sa très lourde opération fin novembre,
Oser ne pas penser à son fils sur son lit d’hôpital,
Oser ne pas s’en culpabiliser,
Oser prendre le temps de regarder la lune rousse,
Oser prendre le temps de faire une sieste au soleil,
Oser s’allonger sur le sable quitte à en avoir plein les cheveux (quand d’habitude on déteste ça),
Oser se laisser voir avec ses vêtements froissés et ses cheveux mal coiffés,
Oser ne penser à rien,
Oser prendre le temps de réfléchir à soi, à ses rêves, au monde,
Oser écrire ou dessiner ce qui passe par la tête,
Oser ne rien faire,
Oser ne rien dire ,
Oser dire des bêtises,
Oser écouter les silences,
Oser se dévoiler,
Oser la rencontre avec des inconnus,
Oser dire ce qu’on pense,
Oser garder un espace rien qu’à soi,
Oser prier,
Oser crier,
Oser pique-niquer avec trois fois rien,
Oser s’offrir un plateau de fruits de mer,
Oser caresser les bruyères mauves et les genêts dorés,
Oser mettre ses pieds dans les flots frais,
Oser danser sous la pluie,
Oser refuser de sortir sous la pluie et lire pendant 4 heures d’affilée,
Oser s’émerveiller des couleurs et des lumières entre ciel et terre,
Oser graver ces paysages dans sa mémoire,
Oser respirer à pleins poumons l’air iodé et aux parfums de varech,
Oser ouvrir les bras et sentir le vent comme l’héroïne de Titanic,
Oser changer ses mauvaises habitudes,
Oser installer des bonnes habitudes,
Oser l’espérance et se dire que ce énième coup dur dans sa vie fera grandir,
Oser remercier pour toute la beauté de la nature,
Oser se remercier d’avoir dit oui pour cette aventure,
Oser être ce qu’on est,
Oser refuser d’entrer dans les cases,
Oser dire non,
Oser se sentir vivante.
Chère Fabuleuse, tu l’auras compris :
C’est OK de se donner des permissions, d’avoir des besoins qui ne seraient pas toujours compris des autres et qui évolueraient au fil des heures. Ainsi est la vie. Et c’est TA vie que tu mènes, au galop ou au pas, à pas de loup ou à pas de fourmi. Alors osons chanter avec Johnny « Qu’on me donne l’envie »… d’oser.
