Enfants extraordinaires

Non, je ne peux pas tout faire

Anna Latron 6 juin 2019
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Il y a quelques années, mon ostéo, après m’avoir remis les cervicales en place pour la énième fois, m’avait fait cette sortie :

« Vous savez comment on appelle ces douleurs cervicales ? »

« Euh… Le syndrome de la femme-qui-en-fait-trop ? »

« Non. Le syndrome d’Atlas. »

Une rapide recherche sur Wikipédia avait permis de rafraîchir mes cours de mythologie grecque. Atlas est un Titan qui apparaît dans plusieurs légendes de la mythologie grecque. Après avoir participé à la révolte des Titans, il se voit condamné par Zeus à porter pour l’éternité la voûte céleste sur ses épaules.

Je me suis répétée cette phrase en boucle :

« Il se voit condamné par Zeus à porter pour l’éternité la voûte céleste sur ses épaules. »

Cette expression “voute céleste”, avec son côté poétique, m’a beaucoup plu.

Ma voûte céleste, c’est

  • mon quotidien
  • ma vie de famille
  • mon enfant différent
  • les trésors de patience dont je dois faire preuve parfois pour qu’il accepte simplement de se déshabiller seul
  • … (je te laisse compléter la liste en fonction de la personne que tu es amenée à aider au quotidien : ton enfant malade, ton conjoint en burn-out, ta maman vieillissante…)

J’aime cette image. Mais suis-je condamnée par qui que ce soit à la porter sur mes épaules ?

Je ne suis pas un personnage de mythologie, soumis à une quelconque fatalité, à une sorte de “punition”. Pourtant, cette fatalité et cette punition sont deux notions – mortifères – qui pèsent sur nos épaules, nous, mamans fabuleuses qui sommes “aidant familial” (de notre enfant différent, de notre conjoint malade, de nos parents vieillissants…) .

Ce poids du destin, ces erreurs et ces punitions, que l’on retrouve partout dans les aventures des dieux et héros grecs qui ont accompagné mon adolescence et mes études de littéraire, j’en ai toujours eu horreur.

Et aujourd’hui, encore plus. Car cette idée de fatalité et de punition m’enlève ma propre responsabilité : celle de traverser au mieux, du mieux que je peux, cette particularité de la différence qui singularise ma voûte céleste.

Peut-être que la maladie de ton enfant, tu as du mal à la voir comme autre chose qu’une punition. Peut-être que le handicap psychique de ton conjoint, tu la vois maintenant comme une fatalité. Ou que le vieillissement de tes parents qui te tombe dessus, tu as du mal à le voir comme autre chose qu’une charge supplémentaire.

Alors voilà. Depuis plusieurs années, j’ai appris à choisir ce que je porte, ce que je ne veux pas porter et ce que je ne peux tout simplement pas porter.

J’ai appris à construire et à composer ma voûte céleste.

Ma voûte céleste, ce sont ces moments partagés avec mes loulous, pas mon énergie gaspillée à anticiper sur tout et à stresser sur tout.

Je dois donc, au quotidien, choisir que certaines choses n’en font pas partie.

Dernier exemple en date : les trajets pour conduire mon fils à certains rendez-vous pour sa prise en charge.
Pendant plus de trois ans, j’ai effectué deux heures de trajet au rythme de deux fois par semaine. J’étais épuisée. Au bout du rouleau. J’en suis même venue à maudire mon fils intérieurement.

Mais rien qu’à l’idée de me décharger sur quelqu’un d’autre – une aide ménagère ou un taxi – et je me retrouvais engluée dans la culpabilité.

« Mais quelle mère ferait ça ? »

Et puis, j’ai accepté : j’ai accepté de revenir à ma place de mère et de gérer en priorité les choses relevant de ce rôle-là, pour laisser à quelqu’un d’autre prendre en charge ce qui est dans son domaine de compétence. Ainsi, depuis un an, je n’ai plus qu’un seul trajet de deux heures à honorer chaque semaine. Pour l’autre trajet, c’est un taxi qui emmène mon fils.

Cette décision fut un vrai cap à passer, mais elle m’a permis une prise de conscience : j’ai beau avoir une grande responsabilité au quotidien, je ne suis pas responsable de tout.

Non, je ne peux pas tout faire.

Et toi, fabuleuse « aidante » de ton enfant, de ton conjoint, de ta soeur ou de tes parents, tu ne peux pas tout faire non plus.

En tant que maman aidantes, nous avons certes une lourde charge à assumer, mais personne n’a jamais dit que nous devions absolument tout gérer nous-mêmes, ni que nous devions le faire parfaitement.

Personnellement, cette prise de conscience m’a permis de plus choisir mon quotidien, de moins le subir, d’en reprendre toute la responsabilité, mais rien que la responsabilité ! Elle m’a aussi permis de sortir d’une forme de toute-puissance, négative pour moi, mon conjoint et mes enfants.

Chère Fabuleuse, toi qui es “aidante” de ton enfant, de ton conjoint ou de tes parents : non, tu ne peux pas tout faire.



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Cet article a été écrit par :
Anna Latron

Journaliste de formation, Anna Latron collabore à plusieurs magazines, sites et radios avant de devenir rédactrice en chef du site Fabuleuses au foyer et collaboratrice d’Hélène Bonhomme au sein du programme de formation continue Le Village. Mariée à son Fabuleux depuis 10 ans, elle est la maman de deux garçons dont Alexis, atteint d’un trouble du spectre de l’autisme.

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