Parents vieillissants

Mon parent vieillissant ou malade refuse de l’aide extérieure

Axelle Huber 22 avril 2024
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Derrière toute décision s’exerce notre liberté.

Et le fait de ne pas choisir indique encore une façon d’exercer ma liberté. Or, toute décision s’exerce d’après une balance bénéfices-risques. Il est rare que la balance penche à 100% du côté des bénéfices, sinon les décisions seraient toujours très faciles à prendre.

Jusqu’où peut-on accepter le refus d’aide (et parfois de soins) de la personne âgée, qui peut être considérée comme l’expression de son libre choix ?

Comment concilier sa liberté et sa sécurité, sa santé ?

Sachant qu’il n’existe, à ce jour, aucun cadre juridique pour forcer une personne  à recevoir de l’aide. Elodie* est une femme dynamique, âgée d’une petite soixantaine d’années. Des yeux noirs rieurs dominent son visage pris dans de grandes fossettes. Une expression volubile. Mais on devine — par ces cernes sous les yeux —  la fatigue accumulée. 

*Comme à chaque fois, bien qu’inspirés de faits réels, les prénoms et les situations ont été modifiés.

Elle est l’aidante de ses parents, deux octogénaires. Sa mère a un cancer et son père une atteinte de la mémoire, et ce serait un euphémisme de dire que cela ne va pas en s’améliorant. Elodie s’inquiète de la perte de mobilité et de la fatigue de sa mère, comme des trous de mémoire de son père. Elle a remarqué que ses parents deviennent négligents sur des questions d’hygiène et d’alimentation. Elle rit parfois jaune en lisant certains articles car elle, de l’aide, elle en voudrait bien ! Mais elle se heurte quotidiennement au refus de ses parents de recevoir de l’aide. « Je suis encore capable », clame sa mère, dont la marche est devenue bien difficile. « Je n’ai pas besoin d’aide », dit son père. À plusieurs reprises, elle a initié une prise en charge par des professionnels à domicile, pour finalement faire machine arrière devant les crises de larmes quotidiennes de sa mère et les vociférations de son père.

Ces saillies blessent Elodie et l’énervent car elle sait bien, elle, que c’est elle qui va pallier aux différents manquements de ses parents, que leur perte d’autonomie rejaillit sur elle et que leur indépendance est devenue une chimère. 

Pourquoi les parents d’Elodie refusent-ils les aides à domicile ?

La mère d’Elodie, en affirmant être « encore capable », reste à propres ses yeux une personne autonome. Dans l’opposition à sa fille, elle exerce un pouvoir personnel alors même qu’elle sent bien que de plus en plus de choses lui échappent, que le lien parent/enfant évolue et que sa fille est en train de devenir sa mère !

Alors, la mère d’Elodie minimise et nie la gravité de la situation. Ces dénis de réalité et cette politique de l’autruche sont des réactions très normales, un mécanisme de défense de celle qui craint de devoir changer et pour qui le statu quo apparaît bien plus sécurisant. Les parents d’Elodie montrent ainsi qu’ils refusent d’admettre qu’ils sont devenus « vieux » ou /et malades. Régentant le foyer depuis quelques décennies, la mère d’Elodie  éprouve des difficultés à accepter de ne plus être indispensable et de perdre du contrôle. Elle se cache souvent derrière un « c’est ton père qui ne veut pas », mais se montre réticente à toute évolution de son quotidien. 

Les parents d’Elodie refusent aussi ce qu’ils voient exclusivement comme une intrusion et une infantilisation qui impacterait leur dignité et leur pudeur.

Ils sont aussi méfiants face à l’“étrangère”, qui entrerait chez eux. Sera t-elle honnête ? Saura-t-elle faire preuve de confidentialité ? de bienveillance ? Pour la mère d’Elodie, un peu de gêne et de honte aussi se mêle à toutes ces inquiétudes. Honte d’accueillir dans une maison mal rangée quand bien même elle nie les problèmes de saleté et de ménage. Enfin, son cancer et les traitements qui en découlent peuvent aussi expliquer ces crises de larmes, sautes d’humeur et ces refus.

Le père d’Elodie, quant à lui, a l’impression de gaspiller son argent en employant une aide à domicile. Elodie a aussi proposé une téléassistance à domicile, qui a été refusée pour des questions de coûts avant tout. Ayant connu la guerre, son père reste parfois hanté par la peur de manquer. Par ailleurs, du fait de sa pathologie neurodégénérative encore à ses débuts mais bien réelle tout de même, il semble avoir du mal à comprendre les contraintes de perte d’autonomie et se refuse aussi à consulter une orthophoniste spécialisée dans la mémoire. Par habitude et fierté de se débrouiller seul, vaille que vaille, il refuse toute assistance, d’autant qu’il craint un peu sa femme et préfère ne pas s’opposer à elle. 

Qu’est-ce que chaque personnage de cette histoire gagne/perd à ne pas changer ? 

Bien des questions se pressent dans la tête d’Elodie :

Ne pas accepter d’aide à domicile permettrait-il à ses parents de garder l’illusion de l’indépendance et de refuser l’intrusion? D’être dans le contrôle de leur vie ? De continuer à la voir passer quotidiennement ? Cela les empêcherait-il donc de se croire délaissés par leur fille ? 

Cela leur éviterait-il de faire des efforts pour s’adapter à quelqu’un de nouveau, de sortir de leur zone de confort ? Cela obligerait-il à à accepter une moindre qualité de l’entretien de leur toilette, de leur ménage, repas ? A remettre en question leur quotidien, à construire de nouvelles relations ? 

Pourquoi est-il si important de réussir à convaincre les proches d’Elodie et de les aider à sortir du déni et de la résistance ?

On mesure bien les enjeux de ce refus des aides à domicile : le maintien à domicile.

En effet, si les parents d’Elodie n’ont pas les soins et l’aide nécessaire au quotidien, leur santé risque de prendre cher, de se détériorer. Il faudra alors envisager une entrée dans un établissement type Ehpad, alors même que c’est le plus redouté par Elodie comme par ses parents.

Elodie se sent lasse et démunie. 

Elle fait les frais de l’attitude de ses parents. Elle perd plus souvent patience et se montre moins empathique. Elodie tente de relativiser sur le nombre de douches et de calories prises par ses parents mais s’inquiète et culpabilise. Elle se sent impactée dans son corps et sa santé mentale. Certains jours, elle crie à ses propres enfants : « Je n’en peux plus, j’en ai ras le bol ! » Elle sait bien qu’il est nécessaire de se mettre le masque à oxygène d’abord sur elle pour continuer à prendre soin des siens. Mais l’énergie et le temps consacré à ses parents l’empêchent trop souvent de le faire. 

Enfin, la relation entre Elodie et ses parents risque aussi d’être malmenée si les parents la tiennent pour responsable d’une entrée dans une institution.

Comment convaincre les parents d’Elodie d’accepter de l’aide professionnelle à domicile ? Par quel moyen y parvenir sans entrer d’office dans un système tutelle/curatelle/ou autre ? 

Elodie a pris conseil pour parler à ses parents en vérité, elle a tenu à assister au rendez-vous accompagnée de la généraliste de ses parents qui a pu appuyer ce qu’elle disait, avec tout son recul affectif et son expertise professionnelle. 

Ensemble, elles ont pu alors expliquer l’objectif de vouloir leur bien, de favoriser leur qualité de vie, de leur permettre de mesurer les risques encourus. 

Elodie a exprimé de nouveau à ses parents ses inquiétudes, 

son besoin de sécurité, sa peur pour eux, par amour pour eux

Bien décidée à mettre en avant de façon positive l’apport de l’aide à domicile, sans braquer ses parents en prononçant les mots de “dépendance” et de “perte d’autonomie” qui font peur, elle a souligné les bienfaits que l’aide à domicile apporterait : plus de lien social et plus d’indépendance.

Elle a pu leur réaffirmer que leurs besoins et envies seront respectés et leur demander comment ils accepteraient d’être soutenus. Elle a tenté de les mettre en action en leur demandant ce qui se passerait si l’un d’eux chutait, ou encore si sa mère ne parvenait plus à faire les courses et les repas (chose que son père n’a jamais pu ou su faire). Elle a essayé de leur dire que cette solution d’aide à domicile lui semblait préférable à celle d’un hébergement temporaire en établissement.

Elle sait que la résistance au changement n’est pas seulement liée à l’âge, mais aussi à des habitudes de vie, à un état d’esprit, à une volonté de s’adapter, de réussir sa vie. Bien sûr, Elodie s’interroge sur la lucidité de ses parents, sur leur capacité ou non de prendre des décisions, et en conséquence sur la nécessité ou non de leur imposer ce soutien et sous quelle forme. Elle sait qu’il lui faut marcher sur cette ligne de crête entre anticipation et lâcher-prise. Elle espère que cette fois, ses parents vont entendre son appel à ce qu’ils se laissent aider et aimer.

Ce qu’elle sait surtout, c’est qu’elle a décidé que seul l’amour dicterait ses choix envers elle-même, son conjoint, ses enfants, et envers ses parents. 



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Cet article a été écrit par :
Axelle Huber

Coach et thérapeute, Axelle Huber accompagne aujourd’hui les personnes sur des enjeux de connaissance de soi, de compétences émotionnelles et relationnelles,  de développement personnel, et notamment dans des contextes de ruptures de vie comme peuvent l’être l’aidance ou le deuil. Elle donne des conférences et anime des ateliers sur ces sujets.

Elle est l’auteur de Si je ne peux plus marcher je courrai, Mame 2016 et  de Le deuil, une odyssée, mame 2023.

https://axellehuber.fr

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