C’était au beau milieu d’une messe le dimanche. Quelqu’un me tapotait sur l’épaule.
Assise au premier rang comme d’habitude, il est assez rare qu’on vienne me parler au milieu du culte sauf pour me dire qu’il y a un problème avec l’une de mes filles.
C’était Nathalie, blême, hésitante.
Jeune maman de deux enfants, un mari hyper travailleur, pas encore la trentaine. Elle se penche vers moi et murmure tout bas « Maman boit ». Elle pleure, moi aussi.
Je pose mon bras sur son épaule et elle me raconte ce qu’elle sait du quotidien de sa mère « les bouteilles cachées dans la buanderie, les chutes dans l’escalier alors que son mari est au travail, l’heure de la première gorgée, les appels téléphoniques embrumés, le cercle vicieux des visites annulées, les traumas non travaillés qui plombent cette dame dans un passé douloureux, des deuils jamais vécus, la fuite en avant de cette femme qui a élevé 4 enfants et qui maintenant boit pour survivre, chaque jour de nouveau ».
« Maman boit »
Pourquoi vous écrire ces mots ? Parce qu’aujourd’hui la maman dont je vous parle ne boit plus, elle va bien, se lance dans de nouveaux projets, prend soin d’elle. Nathalie m’a donné des nouvelles, toujours à nouveau. Les questions, les doutes, la douleur, puis la thérapie, le séjour en cure de désintoxication, les rechutes et pour finir, cette phrase : « elle va bien mieux ma maman ».
Mojito mon ami, mon ennemi ?
Parce que je le vaux bien ! Je le mérite !
En écrivant le mot mojito je sens que j’ai une série d’amie facebook qui vont me contacter en me disant « tu me prends pour une alcoolique ou quoi ? ».
Alors je réponds : NON LES FILLES, restez zen, ok ?
Mais on peut tous prendre le temps de réfléchir ensemble à la question de l’alcoolisme des femmes. Déjà lors de mes études en psychologie, l’alcoolisme des mères était mentionné.
On nous avait parlé des mères au foyer, confrontées à une fatigue, à une solitude et un stress élevé et qui les rendent plus susceptibles de présenter des troubles dépressifs ou problèmes de dépendance à l’alcool.
Ces infos datent d’il y a presque 20 ans (je souffre en l’écrivant mais c’est bien vrai 20 ans, merde alors). À l’époque, le thème de l’alcoolisme féminin était plutôt tabou. Pas de grands étalages sur facebook de la passion des femmes pour les cocktails et autres vins sucrés. C’était une autre époque.
Avez-vous suivi l’histoire du compte instagram de Louise Delage ? En 6 semaines, elle avait fait le buzz sur Instagram, suivie par plus de 7000 personnes. Ce profil était un fake, créé par une agence de publicité pour le « Fond action addiction ». Sur quasiment chaque photo postée de cette jeune femme, l’alcool était présent. Les likes n’ont pas manqué. Qu’en dit l’initiateur ?
« Nous voulons porter à la connaissance du public toutes les formes que peuvent prendre les addictions, a expliqué Michel Reynaud, addictologue et président de la Fondation. Avec cette campagne, nous espérons faire réfléchir. Votre amie qui sort tout le temps, qui est super sociable, est-ce que ne serait pas une Louise Delage? Des personnes intégrées, qui travaillent, font la fête, mais qui cachent une souffrance. Et qu’il faut les aider! Je regrette d’ailleurs de voir dans les commentaires des photos que si certains s’alarment de la consommation de la jeune femme, aucun ne propose leur aide. » (http://www.huffingtonpost.fr/2016/09/22/instagram-louise-delage-betc-action-addiction_n_12132350.html)
Nous voici donc dans un système qui encourage la photo prise un verre à la main. Au mieux quelqu’un écrira « encore une bière au sortir du boulot, t’es sûre que t’exagère pas ? ». Mais les mains tendues y sont denrée rare.
Ce n’est pas nouveau, boire un verre est un acte social tellement ancré dans nos cultures. Il est plus facile de commander une bière que de demander un soft drink (oui, j’ai souvent attendu bien longtemps pour enfin pouvoir siroter sous des regards amusés mon bête jus d’orange). On trouve partout des soirées « all you can drink ». On voit le quotidien de certaines mamans et on pense le soir venu « elle a bien mérité son mojito ». Alors que parfois, c’est la solitude qui fait le plus mal.
Tout le paradoxe est là, tout comme Louise Delage : être si visible et pourtant invisible. Je t’imagine en train de lire mon texte, peut-être que tu penses « sur ce coup-là, elle est vraiment rabat-joie Rebecca, je parie qu’elle ne boit jamais ». (et oui, tu as raison, je ne bois quasi jamais, l’alcool a acquis au cours de ma vie personnelle un goût bien trop amer pour que je puisse le savourer).
Ou encore tu aimes boire de temps en temps et tu commences une crise de panique en te disant « mince, je suis sûrement dépendante à l’alcool » (et je te souris et t’encourage à rester calme). Et puis, il y a peut-être quelqu’un qui lit mes mots en pensant à une amie, ou bien à elle-même.
Peut-être qu’elle tente tant bien que mal d’anesthésier une douleur dans un verre, de désinfecter une plaie à l’alcool, de se débarrasser des angoisses qui lui lacèrent l’âme ou qui ont tout simplement besoin de ce verre pour survivre à la journée jusqu’au bout (et là ma colère contre la société qui promeut le côté si attractif de l’alcool se transforme en énorme tristesse).
La bouteille n’est pas une amie, si elle anesthésie douleur et peur c’est juste dans un premier temps, le retour de ces émotions se fait bien plus fort lorsque l’alcool a perdu son effet. C’est la sirène qui te pousse à la rejoindre avec ses chants tout doux, pour t’attraper l’instant d’après afin de mieux te faire couler.
Alors oui, parfois, « maman boit » et c’est toute une famille qui trinque. Oui parfois une fabuleuse s’enfonce peu à peu dans un marais dont elle ne voit pas le moyen de sortir et son cri à l’aide est étouffé par la honte. Voyez-vous tout le malheur que nous apporte la volonté de vouloir « tout gérer », garder la face ? Quand on perd pied, on glisse, on essaye tant d’enjoliver nos façades qu’on est seule dans notre situation qui pue.
Nous, chez les fabuleuses au foyer, on n’a pas l’ambition de solutionner « l’alcoolisme des mères ». Mais on veut oser en parler. La honte ne survit pas aux paroles. Et si le silence t’emmure dans la solitude, je voudrais te rappeler que tu n’as pas besoin de rester seule. Que tu n’es d’ailleurs pas la seule à porter ce genre de fardeau.
Et pour finir j’aimerais pousser un petit coup de gueule : certaines questions sont réellement sociétales aussi. Donnez-moi un parlophone et laissez-moi m’époumoner sur la place publique : « NE VOYEZ-VOUS PAS CES MAMANS ? Ne voyez-vous pas qu’elles ont besoin d’aide ?
Arrêtez de vanter les bienfaits des bulles de champagne pour avoir l’air jeune et attractive… certaines mamans ont juste besoin qu’on les soutienne, qu’on reconnaisse leur existence, leur quotidien, ces femmes (ces hommes) méritent bien plus qu’un mojito : elles méritent plus de moyens, plus de respect et une tonne et demi de reconnaissance sincère ».
À votre santé !
Les addictions : l’affaire de tous