Propos recueillis par Marina Al Rubaee.
Aidante depuis 2018, d’abord pour sa mère puis pour son père jusqu’à son décès en octobre 2024, Louisa Amara raconte son combat, ses sacrifices, mais aussi la force et l’amour qui ont guidé son parcours.
Comment es-tu devenue aidante ?
Je n’avais jamais entendu parler du mot « aidant » avant d’en devenir une moi-même. J’ai commencé en 2018, à 38 ans, pour ma mère. Elle s’était blessée au pied, l’infection s’est aggravée, et du jour au lendemain, je me suis retrouvée à devoir gérer une hospitalisation, des soins, et une annonce brutale : elle était diabétique et risquait l’amputation. Mon père était là, mutique, comme si rien n’était grave. C’est moi qui ai pris en charge la situation, qui ai posé les questions aux médecins. Dès ce moment, j’ai su que ma vie allait changer. Je me suis organisée avec mon travail, j’ai négocié un mix entre télétravail et présence au bureau. Mais ça n’a pas été simple. L’entreprise n’avait aucune compréhension de ce que cela impliquait. Pour eux, comme je n’avais pas d’enfants, j’avais du « temps libre ». J’ai dû me battre pour obtenir un minimum de flexibilité.
À quoi ressemblait ton quotidien d’aidante ?
Je commençais mes journées chez ma mère dès 7h du matin. Petit-déjeuner, aide pour la toilette, prise des médicaments, gestion des rendez-vous médicaux. Une auxiliaire de vie venait, mais cela ne suffisait pas. Elle avait du mal à accepter la perte de son autonomie. J’ai pris sur moi de l’accompagner dans ces gestes du quotidien pour préserver sa dignité. J’ai aussi découvert, à travers cette expérience, sur qui je pouvais compter dans ma famille. J’ai cinq frères, mais je suis rapidement devenue l’aidante principale. Certains aidaient, d’autres non. Ça a changé ma vision des liens familiaux.
Et ton père dans tout ça ?
En parallèle, j’ai fait tester mon père. Il était aussi diabétique, et en plus, il avait des tremblements inquiétants. Les tests neurologiques ont révélé un diagnostic terrible : la maladie d’Alzheimer. C’était en 2021-2022. J’ai ressenti une énorme claque. Jusqu’alors, il était distant, peu impliqué dans la gestion de la maladie de ma mère. Soudain, c’est lui qui avait besoin d’aide. J’ai dû organiser son suivi médical, lui trouver un accueil de jour en 2023 pour qu’il soit entouré et stimulé. Pendant tout ce temps, ma mère est restée son aidante principale. Et moi, je jonglais entre les deux.
Comment as-tu géré ton travail en parallèle ?
J’ai changé d’employeur plusieurs fois. J’ai appris à ne pas mentionner mon rôle d’aidante en entretien pour éviter d’être discriminée. Une fois embauchée, je jaugeais mon manager avant de parler de mes obligations. Dans certaines entreprises, ça a été un cauchemar. Trop de rendez-vous médicaux, trop d’absences, et l’incompréhension totale de ce que cela représentait. Finalement, j’ai été embauchée par une organisation syndicale où la flexibilité est possible. On m’a fait confiance. Pouvoir organiser mon travail selon mes besoins a été un soulagement immense.
Qu’est-ce que cette expérience a changé en toi ?
J’ai découvert une force en moi que je ne soupçonnais pas. J’ai développé des compétences que je n’avais pas : la patience, la ténacité, la capacité à me battre contre l’administration, à défendre mes proches. J’ai appris à être une porte-parole. Et surtout, j’ai compris que j’aimais ma mère encore plus que je ne l’imaginais. Ce lien s’est renforcé d’une manière indescriptible. Mes frères, qui ne se sont pas impliqués comme moi, ne connaîtront jamais cette connexion unique que j’ai avec elle.
Comment as-tu réussi à prendre soin de toi dans tout ça ?
En 2020, j’ai vu une psychologue. J’ai compris que je n’étais pas une fille parfaite, et que c’était OK de ne pas l’être. Parler, partager avec d’autres aidants via des groupes de soutien m’a énormément aidée. J’ai aussi commencé à documenter mon quotidien sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram. Partager mes expériences a permis à d’autres de mieux comprendre l’aidance. Et puis, un aspect qu’on n’évoque jamais : garder une vie intime, une libido active. Trouver des partenaires qui s’intéressent vraiment à moi, qui me demandent comment je vais et comment va mon proche aidé, ça vaut de l’or.
Comment as-tu réussi à Le choix de ne pas avoir d’enfants, une conséquence de l’aidance ? soin de toi dans tout ça ?
Avant de devenir aidante, j’envisageais encore la maternité. Mais plus les années passaient, plus cette idée s’éloignait. S’occuper de mes parents m’a demandé une énergie immense, et à 44 ans aujourd’hui, je sais que je n’ai plus envie de consacrer ma vie aux soins d’un autre. J’ai déjà tant donné. Je n’ai pas choisi de renoncer à la maternité, c’est l’aidance qui m’a poussée vers ce choix. Ce n’est pas une tristesse, c’est une acceptation. Je me suis souvent sentie incomprise, car la société valorise énormément la parentalité. Mais on ne parle jamais de ceux qui choisissent, consciemment ou non, un autre chemin, parce qu’ils ont déjà consacré leur amour et leur énergie ailleurs.
Qu’est-ce qui a changé pour toi après le décès de ton père ?
Il est parti en octobre 2024, dans son sommeil. Je me suis sentie soulagée d’une certaine manière, car une part de la charge mentale s’est envolée et en même temps, je ressens de la culpabilité à le penser. C’est un paradoxe que j’ai du mal à gérer. Maintenant, ma mère se retrouve seule. Je continue d’être aidante pour elle, mais différemment. Elle accepte plus facilement de l’aide extérieure. On a voyagé ensemble, je fais du télétravail depuis chez elle. C’est un nouveau chapitre de ma vie qui s’ouvre.
Quels sont tes projets pour la suite ?
Déjà, boucler toutes les démarches administratives liées à mon père. Accompagner ma mère dans son veuvage, qui est une épreuve pour elle. Mais moi, je veux aussi penser à la suite. Cette énergie que j’ai donnée pendant toutes ces années, je dois la réinvestir ailleurs. Peut-être un projet autour de la mémoire de mon père.
Quel message veux-tu passer aux Fabuleuses Aidantes ?
Prends soin de toi. Trouve du soutien psychologique si possible. On s’oublie trop facilement en tant qu’aidante, mais pour aider, il faut être bien soi-même. Et surtout, entoure-toi de personnes bienveillantes. Ceux qui te demandent sincèrement comment tu vas, et pas seulement comment va ton proche, sont précieux. L’aidance m’a transformée. Elle m’a rendue plus forte, plus ancrée. Aujourd’hui, je suis célibataire affirmée, heureuse et sereine. Malgré les épreuves, je sais que j’ai grandi et que j’avance vers le meilleur.