Avoir un enfant différent demande de la force. D’abord physiquement car il faut bien tenir le coup puis psychologiquement, il y a tout un travail à faire propre à chacun.
Pour certains, on doit faire « le deuil de son enfant ».
C’est une façon indélicate pour dire qu’il ne fera pas ce qu’on avait envisagé pour lui.
Par exemple, il ne fera pas polytechnique, elle n’aura pas sa belle robe de princesse pour son mariage, il ne fêtera pas les anniversaires de ses copains, il ne deviendra pas champion de rugby comme papa… et pourquoi pas d’ailleurs ?
Peu importe tout ce qu’on avait projeté sur cet enfant à naître, cela dépend et renvoie à l’histoire personnelle de chacun. Comme pour tout autre enfant d’ailleurs, mais dans des proportions plus intenses.
Les espoirs, croyances, structures internes sont chamboulés.
Chacun chemine à sa façon, chacun encaisse comme il peut. Certains peuvent ressentir de la colère, de la tristesse, de l’injustice, ou d’autres préfèrent se réfugier dans le déni. Cela peut même aller à deux vitesses au sein du couple, puis l’entourage, la famille et les amis. Ceux qui restent.
Un jour, on comprend que son enfant a un handicap.
Après des dizaines de rendez-vous, après l’attente, les nuits blanches, les annonces, les larmes, l’inquiétude, les interrogations, le rejet, un jour on accepte, on écoute, on comprend. On comprend que notre enfant est différent et que malgré toutes les difficultés que cela représente, « ça va aller », mais qu’il faudra être forts et solides.
Mais ça, c’était avant. Avant de connaître le tsunami administratif qui n’allait pas tarder à nous arriver dessus à pleine vitesse. Le jour où j’ai décidé d’inscrire mon fils à la MDPH et de rencontrer l’assistante sociale sur les conseils bienveillants du neurologue, personne ne m’avait prévenu que je signais un deuxième travail à temps plein.
Les procédures sont longues, interminables, d’une opacité professionnelle, indigestes, d’une complexité si machiavélique qu’elles pourraient terrasser Thomas Thévenoud, roi autoproclamé de la phobie administrative, en moins de 2 semaines.
Plus rien ne sera simple.
On est sur le ring en permanence. Tout devient un combat pour chaque changement, inscription, sortie, transition, vacances, organisation, école, centre de loisirs, garderie, nounou, j’en passe.
Un combat injuste où l’on apprend à encaisser les coups qui tombent inlassablement, sans jamais oser répondre. Un autre ennemi tout aussi puissant et dévastateur que la maladie, le handicap ou le trouble, un ennemi encore plus redoutable à combattre, d’une violence inouïe, perverse : l’administration.
Le problème c’est que nous ne sommes pas préparés à ce combat.
Nous sommes livrés à nous même. Pris en otage par une lourdeur administrative ahurissante alors que nous sommes encore essoufflés et sonnés par le parcours du combattant médical.
C’est une double peine pour les familles, inutile et destructrice.
Des histoires et anecdotes sur le scandale administratif qui fait mal aux familles, je crois que chaque parent peut écrire un livre entier dessus.
- Non, vous ne nous rendez pas service quand vous nous prenez en charge ou que vous acceptez notre enfant au centre de loisirs. C’est un fait, c’est normal, c’est un droit fondamental.
- Non, on n’abuse pas lorsqu’on se permet d’inscrire notre enfant à l’école en demandant une AESH.
Notre petit garçon est comme il est. C’est un beau petit garçon, plein de vie. Il a un retard de développement et des troubles autistiques.
C’est compliqué, mais c’est la vie.
On vit avec et cela ne nous empêche pas d’être heureux dans la vie. On l’aime, on est fier de lui. Pour gérer son handicap, on a l’amour. Pour gérer la paperasse administrative, on n’a rien trouvé. La plupart des familles ont trouvé la colère et la haine, ce qui conduit à des situations désastreuses.
C’est notre société qui décide de l’exclure et de rendre sa vie et celle de son entourage encore plus compliquée. La France a du chemin à parcourir pour rattraper ses 50 ans de retard en matière de handicap. Elle a d’ailleurs été condamnée cinq fois par le Conseil de l’Europe. La bonne nouvelle c’est que grâce à tous ces enfants, on va pouvoir rendre notre société meilleure, plus inclusive.
« La nature crée des différences, la société en fait des inégalités. »
Tahar Ben Jelloun