Conjoints aidés

Les petits et les grands bobos

Rebecca Dernelle-Fischer 11 juillet 2018
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« Quand les autres souffrent plus que moi. »

Dernièrement, Hélène me disait :

“Tu sais, Rebecca, il y a des fabuleuses pour qui ce n’est pas facile quand nos articles racontent la vie des mamans au front, ces mamans qui font face à l’autisme, à l’hyperactivité, à l’hypersensibilité, au handicap, aux maladies chroniques, aux troubles du comportement, aux anomalies génétiques… À la lecture de ces témoignages, certaines se sentent coupables de ne pas aller bien, alors que leur quotidien est théoriquement plus léger que celui de ces mamans qui chaque jour relèvent des défis hors du commun. En découvrant ces histoires chargées en émotions, certaines lectrices peuvent éprouver sentiment de lourdeur, d’impuissance face à la souffrance de ces mamans. Pourrais-tu m’aider à répondre à ces fabuleuses qui s’interrogent sur les petits et les grands bobos de la vie ?

Quand Hélène m’a posé cette question, j’ai tout de suite senti qu’au fond de mon coeur, j’avais une réponse pour nos fabuleuses.

Alors chère fabuleuse, laisse-moi t’inviter un instant à ma table.

On balaye les poils de chat, on pousse les crayons de couleur qui traînent et on tient chacune une tasse de café chaud entre nos mains. On commence à papoter. Peut-être me parles-tu de ta fatigue, de tes doutes, des murs qui te semblent insurmontables. On rigole à propos de nos petits grains de folie, tu me montres quelques photos de tes enfants… C’est un lieu pour s’écouter, pour s’entendre, un lieu où l’on ne se sent pas jugée.

On déballe, on met son âme un peu à nu.

On découvre qu’on peut dire des trucs qui ne sont pas politiquement correct. Peut-être as-tu envie de dire : “après avoir été réveillée 4 fois en 3 heures cette nuit-là, et compte tenu des cris stridents du petit, j’ai tout à coup compris pourquoi certains parents pètent un cable, j’ai préféré le laisser pleurer un quart d’heure seul pour me calmer avant d’aller dans sa chambre.”

Et au lieu de te dire : “Mais ça va pas la tête !?”, je te ressers du café en m’exclamant : “Oh oui, je sais, c’est fou, moi aussi ça m’est arrivé de penser exactement la même chose.” On est là, toi et moi, bien installées dans le nid douillet d’une conversation bienveillante.

Au cours de mes années en tant que psy, j’ai essayé de proposer un espace sécurisant pour les groupes que j’ai supervisés et les gens que j’ai rencontrés. Un endroit où tout peut se dire. Un lieu pour poser les choses sur la table, les regarder ensemble, sans relativiser, sans comparer, sans juger…

Fait intéressant : si j’ai appris à le faire pour les autres, j’ai souvent remarqué que cette attitude rassurante est le dernier cadeau qu’on s’offre à soi-même. Cette bienveillance que j’essaye d’offrir aux autres, je la perds souvent pour moi, et je sais que beaucoup de fabuleuses vivent cela aussi.

On donne le doux aux autres, on garde le dur pour nous.

On donne les “oh la pauvre” à celles dont nous lisons le quotidien avec un enfant différent, tandis qu’on se lance à soi-même un retentissant “arrête tes gamineries”…

Et ça fait mal, et ça nous fait mal.

Tu te demandes où je veux en venir ? Voilà où je veux en venir :

Ne relativise pas ta douleur, ne la compare pas, ne la piétine pas !

“Ce que je vis n’est pas si grave… il y a bien plus difficile… pourquoi est-ce que j’ai quand même mal ?”.

Un bobo est un bobo.

Me dire que ce n’est rien ne suffit pas à le faire disparaître. Une souffrance est une souffrance ; tu n’as pas besoin de la relativiser. Elle est réelle : respecte-la, respecte-toi.

“Oui mais cette maman réussit à vivre avec trois enfants dont une petite fille trisomique et en plus, elle réussit encore à écrire des articles ! Moi, avec ma fille de 2 ans, je coule, je suis déjà contente si je me brosse les dents avant midi.”

Chère fabuleuse, oublie la comparaison, c’est un mirage, c’est comme vouloir peindre un Monet dans une voiture qui roule sur une ruelle faite de pavés. On a tous des vies très différentes, des bagages très différents — pour comparer, il faudrait prendre tous les facteurs en compte et ça, vraiment c’est impossible (surtout sur la base d’un article de 900 mots).

La comparaison nous fait mal, régulièrement.

Pour retrouver confiance en soi, on a tendance à faire un raccourci du type “oui mais bon, si j’avais sa vie, moi aussi je…”. Personne n’y gagne et surtout, le focus est mis au mauvais endroit : “regarder l’autre pour savoir si j’ai le droit d’aller mal ou pas, si j’ai le droit de me sentir bien ou pas.”

Tu n’as pas besoin de mesurer ta douleur à celle des autres, ni même de comparer ta manière de la gérer avec celle des autres. Prends soin de ton cœur. Pas besoin de sauver le monde si c’est pour mourir épuisée. Tu ne sauras aider les autres que quand tu auras apaisé ta propre douleur. Parfois, on peut faire les deux en même temps… mais il est important que tu laisses ta douleur peser son poids sans la comparer à celle de l’autre. Alors, tu pourras aussi mieux laisser l’autre te dire le “poids de sa douleur.”

“Si je cours, si je travaille, si je ne m’arrête pas, je n’entendrai pas ma souffrance. Si je fonce, elle va bien finir par se taire, cette petite fille qui pleure au fond de mon coeur. Je suis bien plus forte que ça.”

Je souris tendrement en pensant à certaines femmes que je connais, qui portent des carapaces de fer forgé pour ne surtout pas montrer leur cœur. Toutes ces larmes étouffées qui explosent à la figure au milieu de la nuit, l’incertitude qui fait coucou quand on perd le contrôle d’une situation… cette petite voix qui nous souffle : “je ne sais pas les aider ces mamans aux front, je préfèrerais ne pas savoir que de me sentir coupable.”

Ne piétine pas la petite voix.

Laisse-la parfois te parler. Les émotions font partie de nos vies, n’aie pas peur, tu peux les prendre en main, apprendre à les reconnaître, à les gérer et à les exprimer de manière modérée (sans te perdre toi-même).

Sois pour toi-même le lieu sûr où tu peux parler sans être jugée. C’est ce que je nous souhaite : la paix du cœur qui nous permet d’écouter nos douleurs sans les étouffer, sans les comparer, sans les relativiser.



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Cet article a été écrit par :
Rebecca Dernelle-Fischer

Psychologue d’origine belge, Rebecca Dernelle-Fischer est installée en Allemagne avec son mari et ses trois filles. Après avoir accompagné de nombreuses personnes handicapées, Rebecca est aujourd’hui la maman adoptive de Pia, une petite fille porteuse de trisomie 21.
https://dernelle-fischer.de/

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