Les coupures de papier, celles qu’on sous-estime, celles auxquelles on ne s’attend pas, celles qui nous font souffrir instantanément et nous laissent choquée, avec la peur que cela nous arrive de nouveau.
Ce moment où tu attrapes naïvement une pile de feuilles et que, sans crier gare, l’une d’elle te coupe. On n’oublie pas cette douleur, intrusive et spontanée. Oui, elle passe assez vite et ne présente un danger que si la mini-plaie s’infecte mais elle est si sournoise.
Honnêtement, je ne me rappelle plus la dernière fois que cela m’est arrivé, par contre, j’ai récemment eu l’impression qu’un instant anodin a créé une coupure de papier émotionnelle en moi.
Je scrollais sur les réseaux sociaux, sans vraiment réfléchir, juste pour voir les dernières nouveautés des comptes que je suis quand une toute petite vidéo m’a bouleversée. Un petit garçon porteur du même handicap que ma fille lisait quelques mots. Schlack, coupure de papier dans l’âme. « La mienne ne lit pas encore. » Schlack, coupure de papier dans l’âme. « Peut-être que je n’ai pas assez insisté, peut-être qu’elle aurait déjà appris si je m’étais donné les moyens. » Schlack, coupure de papier, j’ai mal. « C’est de ma faute. » Schlack, ça fait encore plus mal. « Peut-être que je suis une mauvais mère. » Les coupures se multiplient, échec et mat. La reine est au tapis.
Les coupures de papier, ces blessures inattendues, ces comparaisons qui nous font du mal, ces pensées : « Les autres vivent/font/ont/sont mieux que moi ».
Ces coupures de papier, quand je regarde l’autre,
ce que l’autre me montre de sa vie et que j’en rajoute en m’enfonçant dans la culpabilité, les reproches, les critiques,…
Ces coupures de papier, quand je suis frustrée et que j’en veux au monde entier, que j’en veux à mon mari, à ma famille, à moi-même de ne pas me donner la vie que les autres semblent avoir.
Ces coupures de papier quand je finis par conclure : « Je suis mauvaise… mauvaise aidante, tout simplement ». Echec et mat, la reine est au tapis.
Ces coupures de papier qui nous arrivent si souvent dans les rôles pour lesquels nous sommes les plus vulnérables. Toutes ces comparaisons qui nous font perdre pied, nous donnent le tournis, parce que : « Non, on n’est pas 100% certaines de bien faire », « Non, personne ne nous donne le guide de la “bonne mère”, de la “bonne aidante”, de la “bonne personne humaine” qui fait de son mieux pour rendre ce monde un peu plus beau ».
Alors on se tâtonne, on s’essaie, on fait ce qu’on peut, on donne autant qu’il est possible mais on a des limites, on porte nos bagages, on a nos espoirs, nos attentes, nos tentatives de changements, nos échecs et nos réussites, on essaie quoi !
Est-ce que c’est jamais assez ?
Coupure de papier : Schlack. « Les autres font mieux que moi », « Les autres savent quoi faire », « Les autres sont heureux ».
Coupure de papier d’aidant :
- « Elle s’occupe mieux de son aidé »,
- « Elle a plus de patience, d’humour, de force, de moyens »,
- « Son aidé est plus facile, plus docile »,
- « Oui mais… son diagnostic n’est pas vital »,
- « La thérapie est au moins prise en charge »,
- …
Schlack, coupures de papier qui nous font mal et qu’on oublie de désinfecter : au contraire, parfois, on en rajoute encore une couche !
J’ai déjà tant écrit sur la comparaison, on pourrait presque croire qu’à force, je suis immunisée, tranquille, protégée. Mais non, les coupures de papier nous arrivent à toutes.
Elles arrivent quand on ne s’y attend pas, elles nous surprennent.
Parfois, les pires sont celles qui nous arrivent alors qu’on pensait être “bien”, “safe”, “en sécurité” et pourtant, une question, une remarque, une photo, une vidéo et schlack, l’embuscade, la coupure, la douleur. Parfois, cela se passe même dans nos discussions les plus anodines, avec nos amis les plus proches. C’est parce que la comparaison fait partie de nos automatismes, on compare plus vite que notre ombre. L’être humain évalue sans cesse son état, tout en regardant ses pairs pour vérifier qu’il soit « dans le bon », qu’il avance au rythme des autres. On ne peut pas s’empêcher de se comparer, mais rien ne nous empêche de mieux gérer nos coupures de papier.
Comment faire ?
Tout d’abord, je t’encourage à éviter les situations où tu sais que tu vivras des coupures de papier les unes après les autres. Je l’ai souvent écrit, je te le redis : désabonne-toi des groupes, des comptes sur les réseaux sociaux, des sources qui te troublent, qui te tourmentent, qui te font coupure de papier sur coupure de papier. Si un groupe d’aidant te fait mal et que tu le sais, évite cet endroit. Personne ne te demande de nager au milieu des piranhas, tu peux sortir de l’eau.
En séparant ce que l’autre personne vit et ce que tu vis toi. Un « tant mieux pour elle » ne doit forcément être suivit d’un « tant pis pour moi ». Tu peux applaudir son succès sans te sentir en échec. Bravo à cet enfant qui commence à lire, bravo à sa maman, à ceux qui l’entourent. POINT.
En essayant au mieux de ne pas rajouter de la douleur à la douleur.
Deviens ton avocate/ ta soignante, sois prête à prendre ta défense ! Ose ! Quand mon dialogue intérieur après la coupure émotionnelle ne fait qu’aggraver la situation, quand je rajoute des critiques, des reproches, des mensonges à ma blessure, c’est comme quand je me perds dans un labyrinthe maudit. Plus j’avance, plus j’oublie que je peux en sortir, plus je me sens coincée, plus je crois que c’est moi le problème, que c’est mon entourage, que ma vie est nulle.
J’ai dû apprendre à contredire mes critiques internes. Eh oui, ton cœur porte bien assez de choses lourdes pour qu’en plus, tu lui donnes des coups, que tu enfonces le couteau dans la plaie.
Ton cœur a besoin d’un baume de gentillesse, de vérité, de chaleur.
S’il vit une coupure de papier, ce dont il a besoin c’est de la vérité sur qui tu es et pas les mensonges que l’on t’a dits, les critiques que tu as reçues, les coups émotionnels ou corporels qu’on t’a portés et qui te font encore mal aujourd’hui.
Tu sais, quand chez les Fabuleuses aidantes, on te dit que tu es “fabuleuse”, ce n’est pas une invention, ni un mensonge, ni des mots en l’air qui ne veulent rien dire. C’est ce qu’on aimerait que tu le croies aussi toi, que tu en sois persuadée, que tu apprennes à comprendre, à vivre, à te dire :
« Je suis fabuleuse. Je suis moi, main sur le cœur, j’ai fait de mon mieux, je suis humaine, j’ai mes limites, mais j’ai aussi beaucoup de forces, de dynamisme, de ressources, d’idées ».
C’est notre rôle, notre devoir, notre privilège que de contrarier les voix qui dans nos têtes et dans nos cœurs ne font que répéter les mensonges, les critiques, les attentes démesurées qu’on a accumulées en chemin.
Elles sont comme des bombes qui n’attendent que le meilleur moment pour exploser.
Apprends à les reconnaître, à les désamorcer. Note ces mensonges et ces critiques quand elles te viennent et contredis-les avec la vérité. Fais-en la liste et pour chaque phrase qui te fait mal, écrit une réponse, vraie, bienveillante, qui te fait du bien :
- « Je suis une mauvaise aidante. » Non ! « Je suis une bonne aidante, je fais de mon mieux. »
- « Je n’ai jamais de patience. » Non ! « Parfois je n’ai pas de patience mais je fais des progrès dans ce domaine. »
Alors, la prochaine fois que tu ressens un coupure de papier, reste la personne bienveillante dont tu as besoin, la personne qui te dit :
« Viens là, on va nettoyer cette plaie, on va s’en charger, tu n’es pas le problème, tu as une belle vie, la tienne, tu fais vraiment de ton mieux, je suis fière de toi, regarde comme on t’apprécie, on t’aime, même si tu n’es pas parfaite en tout, même si tu as besoin de repos, même si tu en as marre parfois, même si… on t’aime justement pour cela, parce que tu es toi, unique, imparfaite, fabuleuse ».
C’est ce que je te souhaite, ma chère Fabuleuse aidante :
il y aura toujours des coupures de papier dans nos vies. Il y aura toujours ces moments où les autres te paraîtront meilleurs que toi, où leurs vies te sembleront plus agréables, où ils auront l’air « d’y arriver, eux, au moins », alors que toi, tu rameras encore et encore.
L’enjeu sera de ne pas en rajouter à la plaie, ne pas devenir la voix qui te maltraite, qui te ment, qui te fait du mal mais bien de rester l’héroïne fabuleuse de ton histoire : celle qui protège, qui console, qui prend la défense, qui prend soin, non seulement de son aidé, de sa famille, de sa communauté, mais aussi d’elle-même !
Tu es et tu restes fabuleuse, nous sommes si fières de toi.
