Parents vieillissants

Lâcher prise : oui, mais quelle prise ?

Blanche Renard 20 octobre 2025
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Au fur et à mesure des années, une évidence s’impose à moi : mon fils est différent des autres. Tout le montre. Je ne peux pas l’accepter. Je m’accroche à cette certitude : je vais trouver la solution pour le rendre conforme au monde. Je fais tout pour l’inscrire dans différentes activités, pour qu’il se sociabilise et développe des compétences. Je continue à m’agripper à ce que j’aimerais être la réalité pour lui. Avec le temps — la sagesse peut-être ? — je prends conscience que je dois lâcher : je ne peux changer une réalité qui ne dépend pas de moi.

Je ne peux pas tout contrôler.

Ce serait si bien si je pouvais être toute-puissante, dans le contrôle de l’avenir, hyperperformante, parfaite… alors que je ne suis “que” moi. Mon impuissance est pour le moment une souffrance. Plus je veux contrôler, plus c’est difficile.

Avec le temps, j’apprends à entrer sur ce chemin d’abandon des illusions sur l’autre et sur moi, ce fameux lâcher-prise dont on me rebat souvent les oreilles.

Dans ma tête, l’idée semble raisonnable. Dans mes tripes et mes émotions, c’est autre chose. J’ai envie de rester maîtresse de mon existence, sans être dans l’hyper contrôle. Je veux bien adhérer à l’idée de m’abandonner, mais sans me résigner.

Je veux commander le navire en découvrant chaque jour de plus en plus que je ne peux commander l’océan. Je me résous alors à lâcher prise pas à pas, à faire “avec” la réalité et non “contre”.

Cette expression « lâcher prise » revient souvent. 

Elle se veut libératrice. Pour certains elle est terrifiante. Je la vois ainsi : je m’imagine sur un mur d’escalade allant de prise en prise pour avancer vers le sommet, craignant de lâcher une prise et de me retrouver suspendue dans l’air ou pire, écrasée sur le sol. J’essaye aussi d’agripper une nouvelle prise parfois bien tentante mais trop éloignée de moi. J’en prends une autre en désespoir de cause car elle est plus proche mais peu adaptée à ma main. Je veux bien lâcher une prise mais sur quoi m’appuyer alors ?

Pour avancer, j’ai besoin de prises bien solides qui sont des repères pour moi. Elles sont importantes et bénéfiques (habitudes saines, estime de soi, affection d’un proche, sens donné à ma vie…). En effet, nous avons besoin de contrôler un minimum notre environnement pour une question de sécurité.

Mais parfois, je m’évertue à mettre mon énergie dans la recherche d’autres prises, je m’agrippe à elles alors qu’elles ne correspondent pas à mon véritable besoin ou sont des leurres.  Parfois — pour continuer la métaphore du mur d’escalade — je m’imagine que je dois arriver au sommet du mur par la voie la plus ardue. Peut-être suis-je juste appelée à avancer à mon rythme dans une direction adaptée à qui je suis et à mes capacités.

Comment faire ?

Je t’invite tout d’abord à regarder quelles sont les vraies prises sur lesquelles tu peux t’appuyer. Quelles sont les valeurs solides, les ressources (de repos, d’accompagnement, de sens donné à tes actes ou de sécurité par exemple) qui t’apportent ce dont tu as besoin. Une fois ces “prises” bien définies, la certitude de leur présence bien acquise, lâcher ce qui n’est pas essentiel sera plus aisé. Souvent, les “prises” à lâcher sont celles du désir de contrôler, voire d’“hyper-contrôler” notre vie et notre entourage.

Notre modèle de contrôle est fait de nos expériences : j’ai vu que si je laissais mon mari atteint de démence seul, il pourrait sortir et se perdre ou pire encore…

Ce modèle est surtout constitué par les schémas acquis et imprimés en nous pendant l’enfance : des parents craintifs ou une expérience trop douloureuse de peur nous invite à devenir méfiant et contrôlant. 

Nous avons pu mettre en place la croyance que notre volonté et notre intervention garantiraient notre réussite et notre bonheur. Chacune de nous a développé son idée de la perfection. Le risque est alors de laisser ce besoin de contrôle s’étendre sur nos proches, nos émotions, nos idées. 

L’hypercontrôle nous empêche alors de vivre.

Si je décide de rentrer dans le lâcher prise de ce contrôle, je suis confrontée à deux difficultés : accepter d’abandonner l’idée de contrôler et abandonner la peur du non-contrôle.

Le lâcher-prise est souvent un acte de confiance en soi. Il me demande d’accepter la réalité comme elle est, et non comme je voudrais qu’elle soit. Il me fait décider d’accomplir une action qui dépend de moi, et de renoncer à une action qui ne dépend pas de moi et sur laquelle je suis donc impuissante.

Le lâcher-prise permet alors d’être libérée d’un poids que je ne peux pas porter. 

Il m’évite aussi de râler contre le monde entier (je suis assez spécialiste de ça quand je me mets la pression pour des choses qu’en fait je ne suis pas obligée de faire).

Il me redonne aussi le sens des responsabilités : je continue à faire ce qui dépend de moi, sans me rajouter le fait de déployer de l’énergie pour quelque chose de vain car extérieur à mes compétences. Grâce au lâcher-prise, je peux fortifier la confiance en mes capacités dans le domaine qui m’est dévolu.

Par où puis-je commencer ? Pour discerner, tu peux te poser certaines questions ou explorer ces pistes :

  • Comment adapter mon idéal à la réalité ? 

Parfois, je me bats contre une réalité différente de ce que j’avais prévu et que je ne peux changer. Pour ma part, j’aimerais soulager ma mère pour qu’elle souffre moins. Dans la réalité, je suis impuissante pour calmer sa douleur. Je dois parfois prendre de la distance pour respecter ma fatigue, le stress que ses demandes entraînent et être en mesure d’être présente pour mon mari et mes enfants. J’essaye d’accepter cette réalité. Je ne l’approuve pas forcément, je l’accepte. Je choisis d’adopter l’attitude du roseau de la fable Le Chêne et le Roseau, afin que la souplesse me permette d’avancer dans les tempêtes.

  • Quels sont mes besoins ?

Si je les respecte, je me montrerai peut-être imparfaite à mes yeux et à ce que j’imagine être l’attente des autres. Est-ce que les personnes de ma famille veulent une fille, une épouse, une mère parfaite ou juste moi avec mes limites ? 

  • Quelle est ma priorité ?

Le bien-être de la relation avec l’autre ou faire tout toute seule pour m’investir au maximum ? Nous agissons souvent en fonction de nos représentations, de nos blessures. À quoi suis-je en train de m’accrocher et qui n’est en fait qu’une représentation de ce que je voudrais être ? De quoi puis-accepter d’être dépossédée ?

  • Je ne peux agir que sur le présent.

Les « et si… » prennent beaucoup d’énergie. J’ai peur pour l’avenir en y voyant une grosse nébuleuse faite d’inconnu. Parfois ce sont de véritables angoisses. Il est cependant possible de mettre des mots sur notre peur, parfois de l’écrire. Je peux alors m’interroger sur ce qui est en mon pouvoir, ce que je dois déléguer et ce que je choisis de faire.

Parfois mes peurs relèvent du domaine de la survie : 

C’est le cas de problèmes financiers, de santé trop amoindrie par exemple. L’insécurité est là et je crains de m’écrouler, de ne pas voir d’issue. Quand je tente de “tenir” dans ce contexte, je regarde souvent en dehors de moi pour maîtriser ce qui est maîtrisable. Je peux choisir de me recentrer sur moi pour écouter mes besoins, mes envies et mes peurs, comme une bonne amie le ferait avec moi. 

Cette bonne amie est là pour te réconforter, te donner de la force et de la sécurité.

Sa douceur t’aidera à relâcher la crispation autour d’une prise. Cette douceur peut s’exprimer par des pardons à te donner à toi-même, un regard de bonté et de fierté sur un petit pas que tu as fait. Ce peut-être choisir de cultiver une plus grande vie intérieure pour vivre plus paisiblement la vulnérabilité qui naît du lâcher prise.

Tu es amenée à déposer les armes qui ne sont pas utiles, à faire un pas pour entrer sur le chemin de l’acceptation que tu n’es pas toute puissante. Cette forme de mort à ton idéal devient un accueil de la vie avec ses imperfections. La vie comme elle est.

Chère Fabuleuse,

Je ne sais pas où tu en es dans ce chemin de lâcher prise.

Parfois, ce sera l’épuisement qui t’obligera à renoncer à ce à quoi tu tenais tant.

Parfois, ce sera toi qui prendras conscience que tu n’es pas toute-puissante et que sur ce mur d’escalade tu peux te créer ta voie, adaptée à la Fabuleuse que tu es et dont tu seras fière.



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Cet article a été écrit par :
Blanche Renard

Thérapeute formée à la méthode Vittoz, je suis aussi maman de six enfants. Je suis l’aidante de notre dernier : né avec une malformation, il a une maladie chronique. Il est aussi dyspraxique et porteur d’un TSA. Je suis parfois aidante de ma mère. 

Ma mission est de répondre aux mails des Fabuleuses Aidantes ; j’ai à cœur d’écouter, de me laisser toucher et d’encourager chacune dans son quotidien atypique.

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