Enfants extraordinaires

Justine Lavogez : « Je prends chaque petit pas de mon fils comme une victoire »

Claire Guigou 16 mai 2022
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Maman d’un petit garçon atteint d’une maladie génétique rarissime, Justine Lavogez se bat depuis maintenant neuf ans pour prendre soin de son fils. Alors que les médecins avaient condamné Florent à rester alité, il se déplace aujourd’hui en déambulateur. 

Justine, pourriez-vous vous présenter ? 

J’ai 34 ans. Je suis enseignante de métier. J’ai trois enfants vivants et trois enfants décédés en raison d’Interruptions Médicales de Grossesse (IMG). Ces derniers étaient porteurs de la maladie dont mon second fils Florent est atteint.  

Comment s’appelle cette maladie et comment l’avez-vous découverte ? 

Florent a une hyperglycinémie sans cétose, une maladie génétique très rare qui l’intoxique et l’empêche de se développer.  

Lorsqu’il est né, j’ai vu assez rapidement qu’il y avait un problème. Il avait les yeux qui révulsaient beaucoup. Il répondait très peu aux stimuli et ne prenait pas de poids. J’ai essayé d’interpeller les médecins qui, au départ, n’étaient pas inquiets. Au bout de trois jours, je suis revenue vers le pédiatre. Nous avons été transférés en néonatalogie en hôpital public. Là-bas, on m’a dit sans aucune pédagogie qu’il y avait un problème. J’ai subi une batterie d’examens improbables pour finalement entendre que mon fils « n’avait rien ». Nous nous sommes retrouvés à la maison soulagés. Mais cela ne s’est pas amélioré. Mon enfant n’allait pas bien.  

J’ai beaucoup encaissé à ce moment-là car certaines personnes de ma famille ne comprenaient pas notre inquiétude et pensaient que la précocité de notre aîné faisait peser trop d’attentes sur cet enfant. Finalement, lors des premiers vaccins, le pédiatre m’a lâché que Florent avait un problème neurologique sans toutefois pouvoir m’en dire plus. Il fallait que je revienne lorsqu’il aurait six mois. Je ne savais pas quoi faire en attendant. C’est comme si on avait déposé une bombe entre mes mains en me disant d’attendre qu’elle explose…

Quand le diagnostic a-t-il finalement eu lieu ?

J’ai continué à chercher par moi-même ce qu’il avait. Puis j’ai obtenu un rendez-vous avec un spécialiste à Lille. Après une hospitalisation horrible, Florent a finalement été diagnostiqué à cinq mois et demi d’une maladie incurable. Le ciel nous tombait sur la tête. Quand j’ai rappelé le neuro-pédiatre qui le suivait, il m’a dit qu’il ne connaissait pas d’enfant vivant avec l’hyperglycinémie sans cétose… C’est en effet une maladie qui touche moins de 1000 cas dans le monde sachant que 80% des cas décèdent dans les trois premières semaines de vie.

Comment avez-vous reçu ce diagnostic ?

J’ai ressenti beaucoup de colère. Curieusement, je n’ai pas vécu le déni. En revanche, j’ai dû gérer celui de mes parents. J’ai beaucoup écrit aussi. Et puis, à un moment donné avec mon mari, nous sommes dit :

« De toute façon, Florent est là, nous n’avons plus qu’à nous battre et à faire du mieux que nous pouvons pour qu’il ait la meilleure vie qui soit ».

Le plus dur, c’est que nous n’avons aucune idée de son espérance de vie. Nous vivons avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. 

Pour avancer, je crois que notre aîné nous a beaucoup portés. Il fallait vivre pour lui. Nous n’avions pas le choix. Cette épreuve nous a soudés avec mon mari. J’ai aussi été inspirée par Anne-Dauphine Julliand. Dans l’un de ses livres, elle dit qu’il ne faut pas chercher pourquoi mais plutôt comment. Cette parole m’a fait avancer. Florent a finalement été pris en charge au CAMSP de notre ville. Comme il n’avait pas assez de rééducation en France, nous avons commencé à l’emmener en Espagne. Tous les six mois, depuis six ans, nous partons là-bas pour qu’il effectue 15 jours de rééducation intensive. C’est un rythme très lourd mais très bénéfique pour lui. 

Depuis plusieurs années, ces voyages nous tiennent. Nous partons tous les cinq car il n’est pas question de laisser mes deux autres enfants sur le carreau. Je leur fais l’école à la maison. Après la rééducation de Florent, nous nous promenons l’après-midi. On souffle. Et puis, on rencontre plein d’autres parents. Humainement, c’est très riche car nous sommes entourés de personnes qui vivent le même quotidien que nous. On peut partager et se plaindre un bon coup.

Comment va Florent aujourd’hui ?

Florent a neuf ans. Il agrippe, crie, frappe. Nous n’avons pas d’interaction verbale avec lui. Au quotidien, c’est très lourd. Par ailleurs, il a beaucoup progressé. On nous avait annoncé qu’il serait alité toute sa vie alors qu’il marche aujourd’hui en déambulateur grâce à sa rééducation ! Quand je pense que le médecin qui m’avait annoncé sa maladie m’avait lâché « Vous n’en ferez rien », c’est une victoire ! Cette phrase m’a tellement heurtée… Et paradoxalement, elle nous a aussi donné envie de montrer que c’était possible d’avancer. La colère a été un moteur. Avec mon mari, nous avons vite été conscients des difficultés de Florent mais cela ne nous empêche pas d’aller de l’avant.

Je prends chaque petit pas comme une victoire. On en a besoin, sinon on ne vit plus ! 

Malgré vos difficultés avec Florent, vous aviez envie d’un troisième enfant…

Je voulais que mon aîné ait un autre frère avec qui partager car ce n’est pas facile pour lui de communiquer avec Florent. Un jour, je suis tombée enceinte, un peu par accident… Après le choc de l’annonce, la peur m’a saisie : nous avions une chance sur quatre d’avoir un enfant atteint de la même maladie que Florent. Je n’ai pas parlé de ma grossesse à qui que ce soit. Puis j’ai appris que mon bébé était malade. J’ai subi une première IMG, une expérience traumatisante.

J’ai repris le travail et suis retombée enceinte. Au bout de quatre mois, le scénario s’est répété : mon enfant était malade. J’ai vécu une deuxième IMG en à peine sept mois. À partir de là, nous avons commencé une procédure pour faire une FIV avec diagnostic préimplantatoire. Finalement, en 2016, j’ai accouché naturellement de mon troisième petit garçon qui va bien.

Cette grossesse a été horrible car j’ai eu peur jusqu’au bout que mon enfant soit malade. Et puis, l’année dernière, je suis tombée enceinte sous pilule. Mon bébé étant malade, j’ai revécu une IMG. Pour la première fois, je suis tombée… j’ai fait un gros burn-out. J’ai arrêté de travailler et j’ai commencé une psychothérapie. Je me consacre à présent à mes enfants et à l’association que j’ai créée pour Florent.

Quel est le but de cette association ?

Les amis de Florent est une association personnelle que nous avons montée en 2015 pour financer les thérapies de Florent à l’étranger. Nous organisons des événements comme des lotos ou des repas pour récolter des fonds. Ces événements créent une effervescence qui nous anime. Avec la pandémie, cela a été difficile car nous ne pouvions rien faire. La semaine prochaine, nous organisons un couscous et j’ai vraiment hâte ! Florent va être au cœur de cet événement. Nous allons pouvoir montrer ses progrès et cela nous stimule. Lors de ces rassemblements, tout le monde se plonge dans l’organisation, même mon fils de 10 ans qui adore être bénévole. 

Avec le temps, l’association a évolué. Avec le recul et l’expérience, j’aide un peu les parents qui viennent d’apprendre le handicap de leur enfant en les écoutant et en partageant avec eux quelques conseils. Je commence d’ailleurs une formation en aromathérapie et en naturopathie pour pouvoir aider en particulier les aidants. À terme, j’aimerais pouvoir faire du coaching pour les aider à prendre du temps pour eux grâce aux médecines alternatives. J’estime qu’elles peuvent aider à gérer les angoisses. 

Quels conseils donneriez-vous aux Fabuleuses aidantes ?

Je leur dirais de prendre des temps uniquement pour elles. Ce peut être un soin ou une promenade en forêt seule, par exemple. J’insiste sur le fait qu’il faut être seule lors de ces moments de détente. Il faut des temps totalement égoïstes sans lien avec notre enfant malade. Pour ma part, cela fait un an que je m’y attelle régulièrement, car j’ai compris qu’il faut que l’aidant soit bien pour que la personne aidée aille bien. Si j’avais pris conscience de cela plus tôt, les choses auraient été différentes.

De façon très concrète, j’utilise l’huile essentielle de Petit grain bigarade, une huile efficace contre les angoisses. Quand je sens que cela monte en énervement ou en crise d’angoisse, je mets deux gouttes sur mes poignets puis je les rapproche de ma bouche avant d’effectuer cinq inspirations et cinq expirations. Enfin, je fais beaucoup de yoga. J’inspire l’utile et l’agréable et expire le reste. Le yoga me permet de lâcher prise, chose que je ne savais pas faire avant. Je peux dire aujourd’hui que j’en suis capable !



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Cet article a été écrit par :
Claire Guigou

Journaliste, collaboratrice pour les Fabuleuses aidantes

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