Juliette s’est longtemps sentie seule face au handicap de son enfant, avant de découvrir par hasard qu’elle était une « maman aidante ». Aujourd’hui, elle se bat pour que les familles soient moins isolées dans leur combat quotidien.
Juliette, qui êtes-vous ?
Je suis entre autres la maman de 2 enfants : Clément, 13 ans et Émile, 9 ans. Je suis une maman particulière car j’ai un enfant hors norme, différent ; un enfant « extraordinaire ». En effet, Émile n’est pas scolarisé et nous venons d’avoir un diagnostic il y a quelques mois seulement : après plus de 8 ans de quête, on sait aujourd’hui que notre fils est atteint de troubles autistiques. Son retard de développement s’est, au fil des années, transformé en véritable handicap.
Aujourd’hui, je suis aussi entrepreneure, mais j’ai été tour à tour dans une agence de communication, maman au foyer, puis “aidante”.
Quand avez-vous découvert que vous étiez une “maman aidante” ?
Complètement par hasard ! En voyant passer un message sur les réseaux sociaux dans lequel Eglantine Éméyé disait qu’elle était aidante. Je la suivais parce que je sentais qu’avec nos garçons, nous vivions les mêmes choses. Curieusement, au moment où je venais de me découvrir “aidante” de mon enfant, je l’ai moins été : il y a trois ans, nous avons obtenu une place en hôpital de jour pour Émile. Cela a permis une prise en charge globale, je n’avais donc plus à gérer de trajets pour la psychomotricité, ni de rendez-vous chez l’orthophoniste…
Si j’avais su plus tôt que j’étais aidante, ça m’aurait beaucoup aidé pour répondre à la fameuse question : “Et toi, tu fais quoi dans la vie ?” Pendant toutes ces années, alors que j’avais arrêté de travailler pour m’occuper de mon fils, je trouvais cette question très difficile à entendre. Apprendre que j’étais aidante m’a fait du bien car pour moi c’était une forme de reconnaissance du rôle que j’ai eu pendant presque 7 ans.
Qu’est-ce qui est le plus difficile pour vous au quotidien ?
Pendant les premières années, ce fut l’impression que tout reposait sur moi. Je m’étais dit : “Je dois tout prendre en charge sinon mon mari va finir par partir !”.
J’ai voulu épargner mon conjoint qui travaillait la journée, alors que j’avais arrêté mon activité professionnelle. Au bout d’un moment, la situation est devenue intenable : je ne me donnais pas le droit à l’erreur. Heureusement que j’ai pu déléguer à mon entourage proche pour souffler.
Ce qui a été difficile aussi, c’est le sentiment de solitude lié au fait que nous étions sans diagnostic, donc sans possibilité de se rapprocher d’une association. J’avais le sentiment que personne ne pouvait m’aider. J’ai mis du temps à rencontrer des mamans comme moi et à obtenir des solutions au niveau des institutions.
De quoi avez-vous le plus besoin en tant que maman d’enfant différent ?
Aujourd’hui, je ne me sens plus seule car j’ai pu rencontrer d’autres familles, surtout depuis que je me suis lancée dans mon projet de plateforme visant à mettre les familles en lien.
Ce qui me manque aujourd’hui, c’est une aide sur-mesure et personnalisée pour que mon enfant soit pris en charge dans l’institution qui soit la plus à même de l’aider.
Je me dis que ça ne s’arrête jamais. J’ai toujours besoin d’aide, même si je commence à connaître un peu les rouages administratifs !
Il y a un an, vous avez fondé E-Norme, un réseau social destiné à favoriser l’entraide entre parents d’enfants en situation de handicap. Comment vous est venue l’idée de ce projet ?
Quand Émile est entré en institution, j’ai eu un déclic : je me suis dit qu’il fallait que je retourne bosser ! Mais pas facile de revenir sur le marché du travail après plus de 6 ans d’interruption. J’ai ressenti le besoin de rencontrer des familles, de lire des témoignages, de communiquer avec des personnes qui vivaient la même chose que moi, qui pouvaient me donner des conseils. Dans ma tête a germé l’idée de créer un réseau d’entraide entre les familles, une plateforme qui permette de partager une mine d’informations sur toutes sortes de pathologies mais aussi sur les structures d’accueil, les modes de prise en charge, les bonnes pratiques administratives, etc.
Ce qui m’a le plus appris, c’est l’expérience des autres familles. Par exemple, nous avons été suivis pendant des années par une équipe de généticiens, mais on ne nous a jamais proposé l’examen de l’ADN le plus poussé, appelé Exome. J’en ai entendu parler au détour d’une conversation sur Facebook. Aujourd’hui, je suis consciente que si nous avons un diagnostic, c’est grâce à un échange entre parents.te-n
Quelles sont les ambitions et les objectifs de votre projet ?
Au final, pour en être là où je suis aujourd’hui, il a fallu 8 ans ! J’aurais aimé perdre moins de temps et d’énergie, j’aurais aimé trouver de l’aide, une écoute, des conseils, des idées… ou juste du soutien ! J’ai donc conçu E-Norme comme un site de rencontre, pour faire profiter au plus grand nombre de l’expérience et du vécu de ceux qui sont passés par là.
Dans un futur proche, j’aimerais que la plateforme propose aux familles un accompagnement plus personnalisé grâce à des experts. Les familles sont souvent très seules. Elles ont besoin d’être déchargées.
Et votre couple, dans tout ça ?
Nous sommes toujours ensemble avec mon mari – sur ce point nous faisons mentir les statistiques ! – mais on comprend parfaitement que le couple puisse ne pas tenir : entre le manque de sommeil, le combat permanent… C’est pour ça qu’il faut décharger les familles ! Si on était mieux aidés, il y aurait certainement moins de séparations. Tout ce qui se passe dans la vie ordinaire est décuplé par le handicap.
Je pense que si nous n’avions pas eu de soutien familial, ça aurait été compliqué de tenir et de recharger nos batteries.
Que voudriez-vous dire à une maman qui a un enfant différent et qui traverse une journée pourrie. C’est quoi, votre truc à vous ?
Avoir envie de tout envoyer balader, c’est normal ! Certains jours, c’est tout ce dont on a envie… Dans ces journées les plus pourries, j’essaie de m’exercer à garder un regard positif. Ça ne veut pas dire que la situation va s’améliorer, mais c’est avant tout une question d’état d’esprit. Dans ces journées pourries, j’essaie de dire : “Merci pour telle ou telle chose”… même si c’est difficile. Ça m’aide à voir les petites choses positives qui sont quand même déjà là. Le moindre détail anodin peut alors prendre des proportions énormes et nous faire voir la lumière !
Toi aussi, comme Juliette, tu te sens parfois seule face au handicap de ton enfant, à la maladie de ton conjoint ou au vieillissement de tes parents ?
Tu as cette désagréable impression de tout porter…et ça pèse parfois trop lourd ?