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Enfants extraordinaires

Je vous demande au moins de le respecter

Blanche Renard 27 mai 2024
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Je vous parle d’un jeune garçon qualifié aujourd’hui d’atypique. Il a entre autres une dyspraxie et un trouble du spectre Autistique (TSA). 

Jusqu’en CM2, il a réussi à s’adapter au milieu scolaire classique, sans aide particulière. Il était juste qualifié de “perché”, “décalé”, “sans filtre” dans ses relations aux autres, ou encore “colérique” et “imprévisible”. Son entourage le trouvait maladroit, vite fatigable mais attribuait ceci à d’autres problèmes de santé rencontrés quand il était petit. Il n’a jamais réussi à passer un repas entier avec les siens. Il ne pouvait pas avaler certains aliments.

Dans le cadre de sa famille, il est choyé. Il trouve toujours dans sa fratrie quelqu’un pour s’adapter à lui. C’est le petit dernier qui, tout en exaspérant certains, en faisant honte à d’autres et en épuisant ses parents, est chéri de tous. Son charme et son humour, la vulnérabilité que ses problèmes de santé lui ont toujours fait vivre, attendrissaient chacun. Son entrée au collège, dans une nouvelle ville, un nouvel établissement fut un tsunami.

Ce garçon, c’est mon fils.

Le voilà nouveau dans son collège. Je sais que ce ne sera pas facile, car :

  • il ne connaît personne,
  • depuis longtemps, je vois bien qu’il est différent des autres enfants,
  • au collège, il n’y a pas de pitié.

J’essaye de faire confiance, d’être positive, malgré le gros nœud qui se serre dans mon ventre. Mi-octobre, je sens qu’il n’a plus d’entrain. Se lever pour aller au collège devient difficile et je suis souvent obligée d’élever la voix pour qu’il arrive à l’heure. Je me dis qu’il grandit et commence à devenir un peu ado.

Ses notes ne sont pas fameuses : j’attribue cela à la fatigue et à l’arrivée de l’automne.

Son carnet est noirci de remarques sur des oublis de matériels ou son manque de concentration : il est sans doute un peu vidé après avoir tout donné pour la rentrée de septembre.

Jamais de coup de téléphone d’ami ni d’invitation. 

C’est difficile d’être nouveau, surtout quand, comme lui, on n’aime pas le foot, alors que c’est l’activité principale des garçons à la récré.

« Et à la récré, tu fais quoi ? 

– Je préfère aller au CDI ou rester lire dans la classe.

– Et les cours de sport, ça se passe comment ? 

– Personne ne veut de moi dans son équipe, je suis toujours choisi en dernier. »

Il nous dit qu’on se moque parfois de lui, parce qu’il a des lunettes, qu’il est plus grand que ceux de son âge, que son humour est nul et que… en fait, il ne sait pas vraiment pourquoi. On lui cache ses affaires, on lui abîme son matériel. Son père et moi tentons de le rassurer, de lui proposer des stratégies pour qu’il puisse répondre et se défendre.

Mais au fond, c’est moi que je tente de rassurer.

En parler au professeur principal ? À la CPE ? Il ne le souhaite pas et je ne veux pas trahir sa confiance. Le changer d’établissement ? Ne serait-ce pas simplement déplacer le problème ?

Je le trouve triste. Il a mal à la tête. Il me demande de l’accompagner au collège en voiture au lieu de prendre son vélo. Quand il rentre, il s’enferme dans la lecture et nous demande de plus en plus de jeux sur la tablette. Je commence par traverser une phase de déni : je refuse de penser au mot « harcèlement ». Je me dis qu’il se fait embêter, qu’il est trop bon et parfois un peu perché et original c’est tout, qu’il aime la lecture et que c’est normal à son âge d’être attiré par les écrans et de faire la gueule.

Mais au fond, je vois qu’il est triste, qu’il se renferme : il est en situation de maltraitance. Il a honte de ce qui lui arrive. Chaque matin en partant en cours, il va retrouver ses bourreaux. Il se réfugie dans la lecture, les livres sont ses seuls amis et il trouve dans les jeux vidéo le meilleur des anesthésiants. Et cet anesthésiant, il en a besoin. Au fond de moi, je sens que ça bout.

J’ai le cœur brisé en le voyant partir chaque matin.

Suis-je maltraitante, moi aussi, en l’envoyant à l’école ? Travaillant parfois de chez moi, il m’arrive de le garder parce qu’il a mal au ventre ou à la tête. Je me sens totalement impuissante.

Je me prends à haïr ces garçons que je ne connais pas, à avoir envie d’expliquer à leurs parents que leurs enfants sont des ordures. J’ai envie de les attendre à la sortie des cours pour les défoncer. Une colère, une rage bouillonne en moi. Le soir je n’arrive pas à m’endormir, je retourne dans ma tête des scénarii : je n’ai pas la force d’imaginer mon fils se faire détruire. Des images m’envahissent : je me vois en train d’exploser les harceleurs de mon fils contre un mur ou de les piétiner. Et puis je pleure. 

Mon mari vit la même chose. Ensemble, nous pleurons. Toute notre énergie passe dans ce problème : en plus d’être impuissants et seuls, nous sommes épuisés.

Chère Fabuleuse,

Tu as peut-être connu ça, tu as vu ton enfant ostracisé et perdre petit à petit la confiance qu’il avait en lui, sans vouloir ou pouvoir en parler. Ton cœur de maman a peut-être été brisé de le voir se faire détruire par d’autres, sans pouvoir intervenir. L’impuissance totale.

Avec l’autorisation (un peu forcée) de mon fils, nous appelons la CPE pour lui demander « d’avoir un œil ». Deux heures après, elle me rappelle et me confirme que Paul se fait « embêter ».

Nous avons eu la chance de tomber sur une équipe pédagogique à l’écoute. Mon fils a pu rencontrer au sein du collège une personne de confiance à qui parler. Elle l’a écouté, a validé ce qu’il ressentait. Il s’est senti entendu. Il avait un allié dans l’établissement. Moi aussi. Les harceleurs fonctionnent toujours de la même manière : prêts à s’engouffrer dans la moindre faiblesse détectée, afin de rabaisser l’autre et de se sentir ainsi supérieur. 

Mon fils a vu une psychologue, il a été accompagné pour traverser cet évènement traumatisant et pouvoir retourner plus sereinement en cours. Il lui faut du temps pour se reconstruire, oser à nouveau aller vers les autres, prendre le risque d’être rejeté. À la suite de ces évènements, sa dyspraxie et son trouble autistique ont été mis officiellement en lumière. Le collège a mis en place un PAP. 

Paul n’a toujours pas d’amis au sens où je l’entends. 

Il est cependant en contact avec d’autres et ne semble plus souffrir comme avant. Aujourd’hui encore, chaque fois que je l’entends ouvrir la porte d’entrée après les cours, une tension s’installe en moi, je suis sur le qui-vive et le « comment s’est passé ta journée ? » n’est pas anodin. S’il sourit, je suis soulagée et je sens mes épaules se décrisper. S’il a l’air grave, je suis en alerte. Parfois cet air grave est dû à la pluie, jamais très agréable à vélo ou à un enseignant qui a repoussé l’heure de sortie de quelques minutes. Mais, au fond de moi, je m’inquiète. Il est et sera toujours vulnérable. J’en veux encore à ces enfants harceleurs et à ces témoins passifs de la souffrance de mon fils. Mon cœur a du mal à pardonner, j’en ai pourtant besoin pour tourner la page de cette période. J’y travaille…

Je me permets de te raconter tout ça chère Fabuleuse, car ton enfant, s’il est scolarisé, connaît peut-être cette souffrance. Tu te sens impuissante et tu souffres. 

Je veux te dire que tu n’es pas seule, que tu n’es pas la seule.

Je voudrais t’encourager à en parler à l’établissement scolaire. Ton enfant “même si” et “surtout si” il a un profil atypique, est porteur d’un handicap, a le droit d’exiger d’être en sécurité dans son école, son collège ou son lycée.

Je t’encourage aussi à l’écouter. Écouter les faits qu’il raconte, ce qu’il subit. Écouter ce qu’il ressent, ses émotions liées à cette situation : la honte, le rejet, la solitude, la tristesse, la violence, la peur, l’envie d’être transparent…

Ton enfant a besoin que tu valides ce qu’il te raconte et ce qu’il vit, que tu lui dises que tu le crois sans rien minimiser et que chacun des gestes, chacun des mots et des regards qu’il subit sera pris en compte par des adultes bienveillants pour mieux le protéger.

La situation de harcèlement est une situation d’urgence. Protéger mon enfant fait partie de mon rôle d’aidante, lui trouver des alliés dans son école aussi. J’aimerais t’encourager à ne pas désespérer et à croire fermement qu’il y a une lumière au bout du tunnel.

Voici quelques ressources qui peuvent t’aider :

  • Les premiers adultes à contacter sont les responsables de l’établissement scolaire : l’enseignant de ton enfant pour le primaire ou la maternelle, le CPE pour le collège ou le lycée.
  • Tu peux aussi parler avec les parents délégués de classe ou le professeur principal. Chacune de ces personnes est tenue d’en parler au chef d’établissement ou (s’il existe) à l’adulte référent chargé de traiter des cas de harcèlement. Ton enfant est alors reçu par une de ces personnes à qui il peut parler et qui s’engage à le protéger. Les témoins, le ou les harceleurs sont aussi reçus séparément.
  • Si malheureusement tu ne rencontres pas de réactions efficaces, tu peux appeler le numéro vert mis en place par le ministère de l’Éducation nationale : 0808 807 010 (Stop Harcèlement). Tu peux aussi aller visiter le site : https://www.education.gouv.fr/non-au-harcelement 
  • Il est souvent bon que ton enfant puisse bénéficier d’un soutien psychologique. Tu peux t’adresser au centre médico-psychologique ou à une Maison de l’adolescent (il y en a une par département).
  • D’un point de vue juridique, tu peux porter plainte et obtenir réparation.

Concernant le cyber-harcèlement : 

  • Tu peux appeler le numéro vert « net écoute » géré par e-Enfance (aide pour le retrait d’images ou de propos blessants ou fermeture de comptes) : 0 800 200 200 ou le 30 18.
  • Tu peux aller sur leur site : https://www.e-enfance.org/numero-3018/besoin-daide/  
  • Tu peux aussi faire une capture d’écran des messages et porter plainte auprès de la gendarmerie ou de la police. 

Tu peux demander au réseau social sur lequel les contenus ont été publiés, la suppression des informations. Sans retour de leur part, au bout d’un mois, tu peux porter plainte auprès de la CNIL. https://www.cnil.fr/fr/contacter-la-cnil-standard-et-permanences-telephoniques



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Cet article a été écrit par :
Blanche Renard

Thérapeute formée à la méthode Vittoz, je suis aussi maman de six enfants. Je suis l’aidante de notre dernier : né avec une malformation, il a une maladie chronique. Il est aussi dyspraxique et porteur d’un TSA. Je suis parfois aidante de ma mère. 

Ma mission est de répondre aux mails des Fabuleuses Aidantes ; j’ai à cœur d’écouter, de me laisser toucher et d’encourager chacune dans son quotidien atypique.

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