Conjoints aidés

Je l’ai vu devenir aidant

Anna Latron 8 mars 2021
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Il y a encore quelques mois, il profitait de sa vie de jeune retraité. Ses projets : passer son permis moto, faire cuire des tartes flambées dans un four à bois, aménager un atelier de réparation de vieilles voitures. Il avait même prévu d’acheter un pont automobile.

Après plus de 40 ans de vie professionnelle très chargée, il soufflait et pouvait — enfin — faire ce qui lui plaisait.

Bref, c’était la belle vie.

Et puis, il y a eu cet accident “invisible”, qui se passe dans le cerveau, symbolisé par ces trois lettres qui font frémir : AVC.

Celle qui partageait sa vie depuis plusieurs décennies et avec qui il prévoyait un début de retraite marqué par les voyages et les visites chez les enfants, se retrouvait, du jour au lendemain, immobilisée sur un lit d’hôpital, à demi paralysée et presque incapable de parler.

Sa vie de retraité basculait de l’autre côté, du côté de l’hôpital, de l’angoisse.

Les premiers jours, il a fait face comme il a toujours su le faire : informer les enfants, les très proches, gérer les urgences, dormir peu, être pendu au téléphone pour rassurer les uns, consoler les autres. Un pilier.

Face aux médecins et aux soignants, il a adopté une attitude constructive : écouter, noter, poser les questions les plus évidentes. Mais aussi réaliser que ses questions n’auraient pas de réponse immédiate. Apprendre la patience.

Et au fil des semaines, à mesure que l’état de sa conjointe s’améliorait pour sortir de l’état “critique”, prendre conscience que ces questions n’auront vraisemblablement jamais de réponse.

Expliquer cela aux enfants inquiets. Rassurer encore les proches. Annuler les vacances prévues. Et essayer de faire taire son angoisse et son sentiment d’impuissance. Apprendre encore la patience.

Pour ce sexagénaire tourné vers l’action, difficile de ne pas se sentir inutile, de ne pas trépigner d’impatience devant les progrès, certes encourageants, mais si lents, de l’être aimé.

Apprendre encore et toujours la patience.

Et puis, incarner peu à peu le courage ordinaire de ces conjoints plongés malgré eux dans le marathon de l’aidance :

  • Réorganiser son quotidien, se mettre aux fourneaux, trouver des occupations pour se changer les idées, tout en restant présent pour sa moitié ;
  • Nouer un lien nouveau avec ses enfants, lien entretenu jusqu’alors par celle qui est désormais concentrée sur sa rééducation et ne peut pas encore tenir une conversation par téléphone ;
  • Déployer des trésors de patience pour rester encourageant envers celle qui se remet lentement ;
  • Prendre goût à la cuisine, devenir créatif pour trouver des idées de menu chaque jour ;
  • Réaménager la maison pour accueillir, au bout de plusieurs mois, la convalescente après sa sortie de la clinique de rééducation ;
  • L’encourager pour garder la force de continuer quand les séances de l’hôpital de jour mettent en lumière le chemin qui reste encore à parcourir.

J’avais envie, depuis plusieurs semaines, de donner la parole à une personne aidant son conjoint.

Et puis, je me suis demandée :

  • Comment rendre véritablement hommage à ceux dont le quotidien est chamboulé par la maladie, par un accident soudain ?
  • Comment rendre compte de l’adaptation que ce rôle d’aidant demande, aux trésors d’inventivité que cela implique ?
  • Comment saluer la détermination sans faille tout autant que la patience dont il faut faire preuve ?

Chez les Fabuleuses, nous avons toujours eu à cœur de rester authentique, alors je me suis dit : Anna, sois authentique jusqu’au bout et partage une histoire “vraie”, une histoire proche de toi parce que vécue en tant que fille.

Par ce court texte, je voudrais donc rendre hommage à celui que j’ai vu devenir aidant au fil des mois :

C’est un Fabuleux, et c’est mon papa.

Merci à toi. Parce que tu es un pilier. Parce que tu es patient.

Oui, c’est dur. Mais je t’assure que tu es tout simplement fabuleux.



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Cet article a été écrit par :
Anna Latron

Journaliste de formation, Anna Latron collabore à plusieurs magazines, sites et radios avant de devenir rédactrice en chef du site Fabuleuses au foyer et collaboratrice d’Hélène Bonhomme au sein du programme de formation continue Le Village. Mariée à son Fabuleux depuis 10 ans, elle est la maman de deux garçons dont Alexis, atteint d’un trouble du spectre de l’autisme.

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