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Enfants extraordinaires

« J’ai choisi la joie, même au cœur de la tempête »

Marina Al Rubaee 2 décembre 2025
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De l’enfant aidante qu’elle était à la mère aidante qu’elle est devenue, Blanche Renard a longtemps vécu dans l’ombre de la maladie et du handicap. En apprenant à poser ses limites, elle raconte comment elle a trouvé la joie au cœur de la tempête et appris à se choisir enfin, pas à pas. 

Blanche, comment aimerais-tu te présenter ?

En tant que femme, je crois que la vie est une aventure humaine, une traversée qui nous façonne. J’avance sur ce chemin avec la volonté d’être plus proche de ce à quoi je suis appelée. Très tôt, j’ai vécu avec la maladie : ma mère souffrait de violentes migraines depuis ma naissance, et mon père avait des problèmes articulaires qui se sont transformés en dépression. J’ai grandi dans cette atmosphère de vigilance, toujours sur le qui-vive, cherchant comment alléger leurs souffrances. Je voulais leur apporter un peu de joie, comme si cela pouvait les guérir.

Comment cette enfance t’a-t-elle marquée ?

Quand j’y repense, je réalise que je n’ai jamais été une enfant insouciante. J’avais un regard d’adulte sur le monde. Je surveillais les signes, les silences, les douleurs. J’avais honte parfois, honte de montrer mes parents fragiles, honte de leur vulnérabilité. J’ai longtemps cru que l’amour passait par la réparation. C’était une loyauté silencieuse : je devais souffrir avec eux, sinon j’avais l’impression de les trahir.

Quand as-tu compris que tu étais une aidante ?

Très tard. Le mot “aidante” est venu bien après. J’ai d’abord cru que c’était normal de vivre ainsi, dans la peur et l’inquiétude. Puis j’ai compris que ce n’était pas anodin, que cela m’avait construite différemment. Ce n’est pas dans l’ordre du développement d’un enfant d’être responsable des adultes. J’ai compris que je n’avais pas eu d’enfance, mais un apprentissage précoce de la compassion et du contrôle.

Comment cette expérience a-t-elle rejailli plus tard dans ta vie ?

Quand je me suis mariée avec un homme en bonne santé, j’ai été déroutée. C’était comme si je ne savais pas vivre sans l’ombre de la maladie. Et puis est arrivé Paul, mon fils. Dès la grossesse, les médecins ont détecté des anomalies : reins fragiles, troubles neurologiques. Plus tard, on a parlé de TSA, de TDAH, de dyspraxie. J’ai retrouvé mes vieux réflexes : anticiper, protéger, m’oublier. Je revivais mon enfance, mais à travers lui. C’est un jour, en me voyant courir d’un rendez-vous médical à l’autre, que j’ai compris : si je ne prends pas soin de moi, je ne serai plus capable d’être là pour lui.

Comment as-tu trouvé ton équilibre ?

Avec le temps, la thérapie, et beaucoup de patience. J’ai appris à me connaître, à accueillir mes émotions sans en avoir peur. J’ai compris que je pouvais dire non, que je n’étais pas obligée d’être forte tout le temps. Ma belle-famille m’a aussi aidée, par leur manière d’être simple, tranquille. Ils m’ont montré que la vie pouvait être douce. Et puis, une phrase de ma tante m’a profondément touchée : « Un jour, j’ai choisi la joie. »
Au début, cette phrase m’a révoltée. Comment pouvait-on choisir la joie quand tout brûle ? Et pourtant, cette graine a germé. J’ai compris que la joie n’est pas l’opposé de la douleur, mais un espace intérieur qui coexiste avec elle.

Comment fais-tu pour la faire vivre, cette joie ?

Je cultive la gratitude. Même dans les moments les plus sombres, il y a toujours un point lumineux. Parfois minuscule, mais réel. Tant que la vie est là, il y a quelque chose à aimer, quelque chose à remercier. Mes enfants m’y ramènent chaque jour. Ils sont mes professeurs de vie. Pour eux, je veux être vivante, entière, pas seulement fonctionnelle.

Et ton couple dans tout cela ?

Chacun de notre côté, nous traversions cette tempête avec notre caractère, notre façon de vivre notre souffrance. L’arrivée de Paul, les hospitalisations, la fatigue, les angoisses ont tout bousculé. À certains moments, nous vivions sous tension, chacun enfermé dans sa peur. Mais cette épreuve nous a aussi rapprochés. Nous avons appris à parler, à nommer ce qui fait mal, à nous ménager des espaces d’air. Il faut beaucoup d’humilité pour reconnaître qu’on ne vit pas les choses de la même manière. Apprendre à dire “je ne peux plus”, c’est aussi aimer.

Dire “non” a été un apprentissage ?

Complètement. La première fois que j’ai dit non, j’étais tremblante. J’avais peur qu’on ne m’aime plus, que le monde s’écroule. En thérapie, ma praticienne m’a aidée à franchir ce pas. Ce jour-là, j’ai ressenti une jubilation presque enfantine : j’existais enfin pour moi. Dire non, c’est poser une pierre dans son propre territoire intérieur. C’est dire “voici ma limite, et je la respecte”. Aujourd’hui, chaque fois que j’y parviens, je me félicite : c’est une victoire intime.

Qu’as-tu appris grâce à ton fils ?

Paul m’a appris la patience, l’écoute, la lenteur. Quand il a été opéré, il souffrait énormément. J’étais liquéfiée, impuissante. Et puis j’ai compris que ma présence, même silencieuse, était essentielle. Je n’avais pas besoin de le sauver : juste d’être là. Pour cela, j’ai dû apprendre à être douce avec moi-même. Si je ne me console pas, je ne peux pas transmettre la douceur dont il a besoin. C’est devenu une posture intérieure : je me relie à la vie pour qu’il puisse, lui aussi, s’y accrocher.

Tu parles souvent de “rendre les armes”. Qu’est-ce que cela signifie ?

C’est accepter ce qui est. Ne plus lutter contre la réalité, mais l’habiter. Rendre les armes, ce n’est pas abandonner : c’est reconnaître que ma seule force, c’est ma présence aimante. Quand je cesse de vouloir tout réparer, je retrouve la paix. Dans l’aidance, on est souvent submergé ; mais il y a toujours une manière de revenir à soi, de respirer, de garder un espace vivant à l’intérieur.

Tu es aujourd’hui thérapeute. Qu’est-ce que ton expérience a changé dans ta manière d’accompagner ?

Tout. Mon parcours m’a donné une compréhension charnelle de la souffrance et de la résilience. Je sais ce que c’est que de se sentir impuissant. J’accompagne aujourd’hui d’autres personnes avec la méthode Vittoz, qui m’a aidée à me reconstruire. Je crois profondément en la capacité humaine à se relever. Nous sommes comme des balises : parfois dans la nuit, mais reliées les unes aux autres par la lumière.

Qu’as-tu découvert grâce à l’aidance ?

Que la vie continue, même au cœur de la douleur. Qu’il existe en chacun de nous une force invisible, plus grande que la peur. L’aidance m’a appris l’amour inconditionnel : celui qui ne cherche pas à guérir, mais à accompagner. J’ai compris aussi que pour aimer vraiment, il faut sortir du triangle de la victime, du sauveur et du bourreau. On ne peut pas sauver l’autre, on ne peut que l’aimer.

Quel message voudrais-tu transmettre aux Fabuleuses ?

Choisis un petit pas, un seul. Même quand tout semble figé, il existe toujours une frange d’or au bord du nuage. La gratitude, ce n’est pas ignorer la douleur, c’est la regarder en tenant la main de la beauté. On ne choisit pas la tempête, mais petit à petit, on peut choisir la manière de tenir la barre



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Cet article a été écrit par :
Marina Al Rubaee

Marina est aidante depuis toujours de ses deux parents atteints de surdité. Aujourd’hui, elle est journaliste et auteure. Elle est à l’origine de Porte Voix, une association qui vise à sensibiliser les entreprises aux problématiques des salariés aidants familiaux. Elle est l’auteure du guide Les aidants familiaux pour les nuls, aux éditions First. 

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