Enfants extraordinaires

Isabelle Weider : « J’accompagne les familles fragilisées par l’annonce du handicap »

La Rédaction 1 novembre 2021
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Isabelle Weider est orthophoniste au sein d’une UEMA. (Unité d’enseignement en maternelle autisme). Son équipe collabore avec les familles d’enfants porteurs d’autisme pour leur autonomie et leur inclusion. Son travail vise à accompagner les parents de ces enfants de 3 ans tout juste diagnostiqués porteurs de TSA*.

Avant qu’un diagnostic de TSA soit posé, les parents ont souvent cheminé seuls. En tant qu’orthophoniste, quel est ton regard sur ces familles que tu accompagnes ?

Je travaille au quotidien avec des enfants porteurs d’autisme en maternelle et en IME. Quand je rencontre leurs parents, je suis toujours très admirative de leur ingéniosité et de leur créativité ! En effet, ces familles ont très souvent réussi à mettre en place, sans même en avoir conscience, une organisation et des compensations (notamment au niveau de la communication) qui permettent à chaque membre de (re)trouver sa place dans le système familial.

Bien souvent, avant qu’un enfant “non verbal” bénéficie d’une prise en charge orthophonique spécifique, aucun outil de communication n’est mis en place. Et pourtant, les parents comprennent souvent très bien leur enfant. Ils l’observent beaucoup et ont une lecture très fine de son langage non verbal. 

Quand je leur propose de mettre en place un système de communication, il arrive régulièrement qu’ils me disent déjà comprendre leur enfant. En effet, ils ont appris à décrypter le moindre haussement de sourcils et à interpréter le sens de chaque repli sur soi. Ils ont une connaissance incroyable de leur enfant : le langage non verbal leur permet de comprendre ses demandes et ses besoins.

Au-delà d’avoir un langage commun, mettre en place un système de communication permet aussi aux parents de jeunes enfants TSA de se projeter dans l’avenir. La vraie autonomie des enfants porteurs d’autisme, c’est de pouvoir se faire comprendre par des personnes qu’ils ne connaissent pas aussi bien et dans un environnement dans lequel ils n’ont pas leurs repères. Dans un contexte autre que celui de l’école ou de la famille, l’enfant doit pouvoir comprendre et être compris. 

On voit que tu es émue par la résilience de ces familles…

En effet, je suis admirative de la vitalité et de la créativité de ces parents alors que leur parentalité a été malmenée par l’annonce du handicap de leur enfant. Il en faut des ressources pour ne pas se décourager pendant ce bout de chemin où on semble être seuls à se rendre compte que “quelque chose ne va pas”, et pour ne pas sombrer quand on annonce un futur qui n’était pas celui qu’on s’était imaginé ! J’ai une grande admiration pour ce que ces parents ont réussi à développer dans l’attente d’une prise en charge, notamment grâce à une analyse très fine de leur enfant ! Et en même temps, je ressens des parents très blessés par l’annonce du handicap.

Quand je les rencontre pour la première fois, le diagnostic vient souvent d’être posé pour ces enfants de tout juste 3 ans. Certains parents sont encore comme sidérés par l’annonce du handicap. Ils sont parfois dans le déni de l’autisme, et négocient avec eux-mêmes le diagnostic qui a été posé en se disant que c’est sûrement une erreur, que ce n’est peut-être pas vrai…

Je suis aussi très touchée par la vulnérabilité que nous partagent ces familles. C’est courageux de parler de ses faiblesses! Ces familles viennent déposer auprès de nous leurs inquiétudes, leur “ras-le-bol”, leurs angoisses… Je les admire beaucoup parce qu’ils confient leur cheminement intérieur sans nous connaître. C’est là, en tant qu’équipe pluri-disciplinaire, qu’on va faire un bout de chemin avec eux et les accompagner dans toutes ces étapes qui suivent l’annonce du handicap, et qui sont comparables à celles vécues dans un deuil.

Cet accompagnement de la parentalité blessée doit être fait avec beaucoup de délicatesse et dans le respect du rythme de chaque parent.

À quel niveau observes-tu cette blessure du handicap ?

En tant qu’orthophoniste, je m’occupe des troubles de l’oralité qui sont très spécifiques dans les TSA. Souvent, les enfants peuvent avoir des troubles alimentaires importants, et notamment une hyper-sélectivité autour des aliments. 

Pour certaines personnes, la fonction “nourricière” est constitutive de l’identité de parent. Lorsque un enfant mange mal ou ne mange pas, cela peut devenir intolérable. Le refus de manger de l’enfant peut renvoyer au parent l’idée qu’il est lui-même “défaillant”. Et c’est blessant pour l’ego et l’estime de soi. J’ai remarqué que c’était une question très sensible, surtout chez les mamans nord-africaines pour qui la dimension émotionnelle et symbolique du repas est très forte. 

Et puis, il y a les parents qui ont lâché prise sur la question du repas. En effet, de véritables conflits parentaux peuvent se jouer autour de ce sujet. Chaque personne, même au sein du couple, a une conception différente du repas ou de la portée de la nutrition. Certains préfèrent alors laisser leur conjoint gérer car ça leur est insupportable ou c’est un sujet récurrent de dispute.

C’est là que l’intervention à domicile d’un psychologue peut s’avérer précieuse pour ces familles. Notamment parce qu’il vient replacer l’enfant au cœur de la prise en charge et faire “tiers” en aidant les parents à sortir d’un conflit de valeurs. Ainsi, ensemble, ils vont pouvoir prendre des décisions pour le bien de l’enfant.

J’imagine que le psychologue aide à dissocier ce qui est dû au handicap, et ce qui est dû au stade normal de développement de l’enfant.

Oui ! C’est vraiment passionnant d’accompagner les familles dans cette période de si grand développement de leur enfant : développement moteur, langagier, cognitif, socio-émotionnel… On peut être là pour donner aux parents des repères que le handicap leur a parfois fait perdre. La question du développement du langage illustre bien cette problématique : il n’est pas inquiétant qu’un enfant ne parle pas encore à 15 mois, par contre l’absence de réponse à son prénom ou de contacts oculaires est très préoccupante à cet âge.

Certains parents, qui sont peut-être encore dans une phase de “négociation” avec le diagnostic posé sur le handicap de leur enfant, essaient de dédramatiser la situation en se disant que le langage va arriver.

L’intervention du psychologue à domicile va permettre de clarifier les troubles qui sont spécifiques au TSA et ceux qui sont propres à l’enfant. Ainsi, des cris ou une incapacité à quitter la pièce ne sont pas obligatoirement un caprice ou de la provocation, mais peuvent être plutôt liés à de grandes peurs ou à des troubles sensoriels !

Certains parents sont très blessés par l’intervention des grands-parents, par exemple, qui ne comprennent pas ce qu’est vraiment l’autisme. Ces derniers peuvent être dans des injonctions éducatives qui culpabilisent beaucoup les parents. Pour autant, l’enfant n’est pas désobéissant : il est pris dans des schémas autistiques ou de persévération.

Cette collaboration entre l’équipe et les familles demande une grande confiance.

Avec l’annonce du handicap de leur enfant, les parents découvrent tout un “nouveau monde” avec ses sigles (MDPH., IME., …), ses codes et partagent un peu de leur intimité familiale avec toute une équipe. En ouvrant leur maison pour les prises en charge (qui peuvent être nombreuses à un stade précoce), ils donnent indirectement un droit de regard sur leur parentalité.

Malgré la neutralité des différents professionnels, les parents peuvent avoir l’impression que leur quotidien est scruté par toute une équipe. Bien que ces interventions ne concernent que l’enfant, elles peuvent venir percuter tout le système familial et son organisation. Certains parents ressentent parfois un manque d’intimité.

Il arrive aussi qu’après des prises en charge précoces et très intensives durant lesquelles les équipes sont très présentes au quotidien, les parents ont besoin d’être rassurés sur leur capacité à accompagner leur enfant et à poursuivre un travail différent avec une autre équipe.

C’est ce “bout de chemin” passionnant qu’on fait avec les familles en replaçant l’enfant, avec ses singularités et les problématiques liées à son handicap, au cœur de la prise en charge, et en reconnaissant et en rassurant les parents sur leur statut “d’experts” de leur enfant.

TSA* : Trouble du Spectre de l’Autisme.

Ces propos ont été recueillis par Margaux Leguern.



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