enfant porteur de trisomie 21
Enfants extraordinaires

Inès Wurth : « Avoir un enfant différent permet de s’affranchir des cases »

Claire Guigou 20 mars 2023
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Lorsqu’elle apprend la trisomie 21 de son petit Anatole, Inès s’effondre. Pourtant, sa vie quotidienne avec cet enfant différent n’a rien à voir avec ce qu’elle avait imaginé. « J’ai l’impression qu’Anatole est un petit être de lumière », s’émerveille-t-elle.

Pourriez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Inès, je suis la maman de quatre enfants : Léonie, 7 ans et demi, Louisa, 5 ans, Anatole,18 mois, porteur de trisomie 21, et Aristide, une semaine. Je suis une maman au foyer.

Comment avez-vous appris la trisomie d’Anatole ?

Je l’ai vécu comme un choc. Avec mon mari, nous n’étions pas du tout préparés parce que j’avais eu une grossesse et un suivi parfaitement classiques. Tout allait très bien. On avait fait le fameux tri-test proposé à toutes les femmes. Tout est revenu normal. Nous nous réjouissions d’avoir un garçon. L’accouchement s’est également très bien déroulé. Les sage-femmes m’ont même remerciée pour ce moment « si facile » à leurs yeux et le gynécologue m’a quittée en me félicitant pour ce « petit garçon en parfaite santé ». Tout semblait aller. 

Quand j’accouche, je trouve pourtant Anatole un peu “froissé”, pas aussi mignon que ce à quoi je m’attendais, c’est une pensée qui me traverse fugacement. Finalement, le pédiatre le trouve un peu hypotonique. Il décide donc de l’examiner rapidement. Moi j’essaie un peu de me rassurer comme je peux. Puis il vient me prendre Anatole pour la seconde fois afin de prendre sa température, et là, se rend compte que c’est impossible… On m’annonce alors qu’Anatole n’a pas d’anus qu’il va être transféré dans un autre hôpital pour y être opéré. C’est ce problème d’anus, qui était déjà un véritable choc, qui a entraîné la suite. Mon bébé m’a alors été arraché et j’ai été transférée dans une autre ambulance que lui. Lorsque nous arrivons dans l’autre hôpital, on nous explique qu’il va falloir qu’on lance des tests pour voir si cette malformation n’est pas liée à une maladie et qu’on va vérifier les trois trisomies. Cela prend alors d’autres proportions…

Dans quel état d’esprit êtes-vous à ce moment-là ?

Honnêtement, c’était le cauchemar. Je n’arrivais pas à m’arrêter de pleurer. Je ne comprenais pas, j’étais abasourdie par la situation, d’autant plus que je ne connaissais rien à la trisomie 21. Je me mets alors à espérer que mon enfant soit atteint de la trisomie 13 ou de la 18, qui, dans mon esprit, semblent moins graves. J’apprendrai par la suite que ce n’est pas du tout le cas. Dans l’ensemble, je n’arrive pas à “connecter” avec ce bébé qui est branché de partout. Je vis une espèce de mauvais rêve et je me demande sans cesse où est ce petit “bébé parfait” que j’avais imaginé. Comme j’extériorise beaucoup, j’ai tout de suite été capable de dire à mon conjoint que cela n’allait pas.

Avez-vous eu rapidement la confirmation de son handicap ?

Pas tout de suite. Anatole n’avait pas tous les signes de la trisomie 21 comme certains enfants. Cela n’a pas facilité le diagnostic pour les médecins. Il fallait attendre le résultat de la prise de sang, plusieurs jours donc, pour avoir une vraie réponse. Pendant cette petite semaine, nous avons essayé de ne pas penser à ce handicap. Durant ces quelques jours, j’attends, je prie, j’écris à mes amies pour leur demander leur avis en leur envoyant des photos d’Anatole. Tout le monde tente de me rassurer en me disant qu’il semble aller bien, qu’il n’y aura pas de mauvaise nouvelle… Et puis arrive le jour des résultats. La cheffe de service nous explique que nous allons nous parler « dans une salle à part ». À partir du moment où elle prononce ces mots, je sais. Sur le coup, je reste très calme, je ne sais pas quoi dire tant je suis choquée. Arrivée sur le parvis de l’hôpital, je m’effondre. Mon conjoint réagit différemment. Il est très triste mais décidé à aimer ce bébé dès le début car pour lui cela reste notre enfant. Je n’en étais pas là.  Moi, je me dis tout simplement que j’ai gâché ma vie, et que je vais devoir m’occuper d’une personne handicapée toute ma vie, que cela va être horrible… Je me sens dans une prison et je me dis que je n’y arriverai jamais.

Ce sentiment va-t-il perdurer longtemps ?

Contre toute attente pas tant que cela. Le changement est assez rapide même si cela m’a semblé long. Quelques jours plus tard, nous sortons de l’hôpital car Anatole prend du poids et va de mieux en mieux. Je n’ai qu’une envie, c’est de rentrer à la maison en me disant que cela sera mieux chez moi, dans mon cocon. Or, lorsqu’on arrive à la maison, ce n’est pas le cas : tout me rappelle ce bébé que j’avais idéalisé. J’ai l’impression de rentrer avec quelque chose “que je n’avais pas commandé”. Je pleure alors encore beaucoup et j’en parle avec mon conjoint. De sombres pensées me traversent, je suis vraiment à bout.

Ce qui m’a aidée à m’en sortir, c’est d’abord mes filles. Je leur explique que ce bébé a un petit problème et les soucis qu’il risque d’avoir dans sa vie. Mais à ma grande surprise, ce qu’elles voient, c’est le plus beau petit frère du monde. Cette réaction toute simple de mes enfants m’a beaucoup émue et aidée.

Puis, il y a eu un second moment clé. Quand Anatole a eu un peu moins d’un mois et demi, nous sommes partis dans le Sud chez ma belle-sœur. Le fait de changer de décor m’a fait du bien. Là, j’ai pu me poser et regarder vraiment Anatole comme je ne l’avais jamais regardé auparavant. Et je me suis alors rendue compte que cet enfant était magnifique et adorable ! J’ai pris conscience que malgré son handicap, mon fils allait pouvoir rire, parler, marcher, tomber amoureux…J’étais loin d’être “coincée” comme je l’avais imaginé. À partir de ce moment-là, je me suis dit que j’avais deux solutions : soit me battre toute ma vie contre quelque chose que je ne pouvais pas changer, soit ouvrir les yeux et accompagner cette situation. J’ai réalisé que j’étais allée trop loin dans ma tête, même si le fait d’avoir extériorisé ma tristesse m’avait fait du bien. À partir de cette acceptation, j’allais beaucoup mieux. Depuis cette épreuve, je ne refuse pas une situation que je ne peux pas changer.

Vous racontez avec légèreté votre histoire avec Anatole sur Instagram. Les réseaux sociaux ont-ils été un moyen de vous aider à vous exprimer ?

La légèreté est arrivée après. Au début, je pense que j’ai été assez fidèle au cauchemar que j’ai vécu. Puis effectivement, j’ai mis beaucoup plus de légèreté dans mes posts car c’est ce que l’on vit avec Anatole tout simplement ! Si on se concentre sur le positif de sa vie, je dirais que cela va plutôt très bien ! Sans doute les problèmes arriveront plus tard, avec l’école et les dossiers MDPH à monter… Je ne connais rien de tout cela encore. Mais pour le moment, cela va bien !

Qu’est-ce que vous auriez envie de dire à des mamans qui découvrent la trisomie 21 de leur enfant ?

Je dirais que la réalité est un peu celle que l’on va se construire… On peut avoir peur de tout ce qui nous attend et je le comprends, c’est normal ! Il va y avoir de nombreux rendez-vous médicaux, des déceptions…On va se rendre vite compte que son enfant est en décalage. Lorsqu’on verra certains enfants progresser rapidement alors que le nôtre a des soucis, cela fera toujours un petit pincement au cœur.… Et en même temps, c’est un choix. Soit on se dit : « Mon Dieu, c’est horrible mon enfant n’arrive à rien et je ne l’accepte pas », soit on choisit de se dire : « Ok, je sais qu’il va faire les choses plus tard et peut-être avec plus de difficultés mais ce n’est pas grave ». Je crois que c’est aussi une chance de se sortir de toutes ces normes imposées à nos enfants aujourd’hui par diverses injonctions ! Je vois beaucoup de mamans qui sont inquiètes pour leurs enfants au sujet de mille choses liées à leur développement… C’est fou !

Avoir un enfant différent permet de s’affranchir de plein de cases dans lesquelles nos enfants sont enfermés. Je trouve qu’avec des enfants particuliers, on a l’impression d’avoir le temps. Ils ne sont pas tout le temps frustrés, à vouloir enchaîner les activités. Et ils ont une communication non-verbale, par le regard qui est très étonnante. En tout cas, Anatole est comme cela. Quand je le regarde, j’ai l’impression que c’est un petit être de lumière. Il y a quelque chose en lui qui fait qu’on en est amoureux. J’essaie de voir la réalité ainsi. Dans toute maternité, que ce soit avec un enfant lambda ou différent, il y a des difficultés et de belles choses. Il faut savoir accepter toutes ces composantes. On ne peut rien faire contre ce handicap, donc autant faire avec les cartes qu’on nous donne !

La différence d’Anatole entraîne de nombreux rendez-vous médicaux. Parvenez-vous à trouver du temps pour vous ?

Il est vrai qu’Anatole est l’enfant handicapé de la fratrie… mais c’est aussi le plus sage de mes trois enfants ! Curieusement, et cela peut sembler fou, je dirais que c’est plus facile de prendre du temps pour moi que lorsque mes filles étaient petites. Il y en avait une qui avait un reflux et l’autre qui ne dormait pas. Ce n’était donc pas toujours drôle…En comparaison, Anatole est “un petit coeur”. C’est un enfant toujours de bonne humeur, souriant, calme. Il ne m’accapare pas. Certes, il faut l’emmener à ses rendez-vous…mais pour le reste je suis beaucoup plus tranquille car sa personnalité est très apaisante. Il me laisse ce temps et cette place pour prendre soin de moi. On peut l’emmener partout. Je m’autorise beaucoup de sorties avec lui car il reste très calme. Être sa maman est un vrai bonheur ! Nous avons vraiment le temps aussi de nous retrouver en couple.

À ce propos, l’annonce de ce handicap a-t-elle ébranlé votre couple ?

Je sais que beaucoup de couples divorcent ou se séparent après un tel chamboulement. De mon expérience, au contraire, cela nous a rapprochés. Comme nous n’avons pas vécu les choses de la même manière mais que chacun a laissé la place aux émotions de l’autre, nous avons vraiment réussi à avancer main dans la main. Anatole nous apporte beaucoup d’amour. Il réunifie. Il est fédérateur. Dans l’ensemble, la maternité est source de challenge et on ne sait pas où vont résider les difficultés. Souvent, on se dit « je suis maman d’un enfant handicapé donc le challenge c’est lui ». Mais peut-être pas en fait. Peut-être que ce handicap est une chance pour changer ma mentalité, celle de mon conjoint et des gens autour de nous… Et peut-être que c’est un autre enfant qui va nous poser de vraies difficultés, pour diverses raisons. On ne peut pas prévoir cela mais ce qui est certain c’est que c’est une aventure !



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Cet article a été écrit par :
Claire Guigou

Journaliste, collaboratrice pour les Fabuleuses aidantes

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