Depuis 16 ans, l’association Ensemble 2 Générations met en place des colocations entre personnes âgées et étudiants. Pour Estelle de Saint-Bon, sa directrice générale, ce système de logement partagé « est gagnant gagnant pour tout le monde ».
Estelle, pouvez-vous nous raconter la genèse d’Ensemble 2 Générations ?
L’association a été créée en 2006, après la canicule de 2003. Durant cet épisode, on s’est rendu compte que les personnes âgées n’étaient pas mortes de chaleur mais de solitude… Il fallait proposer quelque chose ! La fondatrice de l’association a donc eu l’idée de transposer un système espagnol en France. Cela consiste en la mise à disposition d’une chambre chez une personne âgée en échange d’une présence ou d’un service de la part d’un étudiant.
Chez Ensemble 2 Générations, nous avons trois formules possibles.
Avec la formule ‘présence’, l’étudiant se doit d’être là quatre soirs par semaine et deux week-ends par mois. Il est libre toute la journée pour suivre ses études sauf le soir.
Nous avons également une formule conviviale. Dans ce cas, l’étudiant va s’acquitter d’un loyer modeste et, en échange, effectuer des menus services.
Avec la troisième formule, l’étudiant est simplement là pour apporter une présence. Il bénéficie d’un loyer en dessous du marché.
Nous avons en parallèle une quatrième possibilité : le jeune est logé en résidence autonomie et organise des activités et jeux pour les seniors.
Dans tous les cas, la règle de base est la suivante : l’étudiant est d’abord une présence, il n’est pas là pour remplacer une personne salariée.
Quels sont les avantages d’un tel système pour l’étudiant comme pour le senior ?
Il se trouve que j’ai pu moi-même observer les bénéfices d’une telle colocation car j’ai fait appel à l’association pour loger mon père avant d’y travailler. Mon papa a partagé son appartement avec un étudiant qui s’appelle Guillaume. Une vraie relation s’est nouée entre eux. Mon père avait juste besoin d’une présence et nous nous sommes donc tournés vers Ensemble 2 Générations pour répondre à ce besoin. Je me suis alors rendue compte que ce système tout simple est gagnant gagnant pour tout le monde !
La personne âgée fait bien évidemment des économies car elle ne paie pas un professionnel pour avoir une simple présence. Le fait de partager ses repas avec un jeune l’invite à se nourrir correctement. Sans compter que cette cohabitation permet de lutter contre la fracture numérique des anciens. Pour le jeune, ce système permet l’économie d’un loyer, le succès dans ses études et, bien sûr, le fait de se sentir utile. C’est une vraie relation intergénérationnelle qui se vit. À titre d’exemple, Guillaume et mon père se sont super bien entendus. Aujourd’hui ingénieur et parti de chez mon papa, Guillaume déjeune tous les premiers lundis du mois chez mon père.
Ce système apporte une vraie solution et est peu onéreux pour tout le monde. Il faut rappeler que la moyenne des prix pour une location à Paris est de 600 euros par mois pour un étudiant. Beaucoup de familles ne peuvent pas se l’offrir.
Quelles sont les démarches à effectuer pour mettre en place cette cohabitation ? Comment formez-vous les binômes ?
Nous avons, au sein de l’association, des chargés de mission engagés qui vont rendre visite aux seniors intéressés. Bien souvent, ces derniers sont accompagnés par la famille aidante. Nous voyons alors si un tel projet est possible. Par exemple, notre système atteint ses limites lorsque la personne a des problèmes cognitifs très importants. C’est le cas d’un Alzheimer avancé.
Puis, les chargés de mission rencontrent les étudiants intéressés et réfléchissent au “matching” possible. Notre objectif, c’est que ces binômes fonctionnent. Pour cela, nous étudions les personnalités y compris les passions partagées par exemple. La règle de base pour discerner, c’est de se demander si on mettrait notre propre fils avec cette personne âgée. De même, on se pose la question de savoir si on mettrait notre père ou notre mère avec l’étudiant. Nous faisons appel à notre bon sens. En moyenne, nous avons neuf candidatures étudiantes pour une place chez un senior.
Quelles sont les conditions pour que cela fonctionne bien ?
Je dirais d’abord qu’il faut que les familles aidantes se rappellent qu’un étudiant ne remplace pas un aide-soignant ou un professionnel. On ne peut pas demander à un étudiant de se lever toutes les nuits par exemple.
Ensuite, le senior doit être partie prenante. Le chargé de mission peut le rassurer car il y a parfois des réticences au début. Mais nous faisons vraiment attention à ce que les seniors ne soient pas poussés. Les volontés des deux parties doivent être respectées. À partir de là, la majorité des binômes se passent bien. Nous avons 93% de réussite ! Dans de nombreux cas, ces colocations vont bien au-delà de nos espérances. Une fois qu’on met le binôme en place, il y a une vraie vie qui se met en place dans ce foyer, une belle histoire. En général, nous avons aussi la chance d’avoir des étudiants sérieux qui veulent réussir leurs études. Environ 30% d’entre eux viennent de l’étranger ou d’Outre-mer. Loin de leur famille, ils retrouvent par ce biais une ambiance familiale.
Le système des Ehpad a montré encore récemment ses limites. La colocation intergénérationnelle est-elle une solution d’avenir pour nos aînés ?
Bien entendu. C’est un système d’avenir qui est largement sous exploité. D’ailleurs, ces dernières années, de nombreuses startups se sont créées dans le secteur. Celles-ci ne sont pas sur la même formule que nous car elles sont basées sur un modèle lucratif. Toutefois, il est clair que le système a de l’avenir. Nous répondons au vieillissement de la population. Aujourd’hui, les personnes veulent vieillir chez elles. Sans compter que les familles aidantes veulent le plus souvent que leurs aînés restent chez eux. Notre méthode prouvée depuis 16 ans nous montre que ce système a de l’avenir.