Depuis plusieurs années, la journaliste et animatrice Églantine Éméyé témoigne du quotidien difficile de son fils Samy, atteint d’autisme sévère. De retour de Pékin, elle s’est confiée aux Fabuleuses sur sa vie d’aidante et sa vision du handicap : selon elle, l’avenir des personnes handicapées passera par l’habitat inclusif. « Ce qu’il faut, c’est donner au handicap une vraie dignité et une vraie citoyenneté », clame-t-elle.
Bonjour Églantine, pourriez-vous nous parler du trouble de Samy ?
Samy est autiste avec des troubles très sévères. Il est également épileptique. Aujourd’hui, à seize ans, c’est un enfant qui nécessite toujours une attention permanente. Il doit régulièrement s’isoler. Il mange tout seul mais on ne peut le laisser à table seul. Il n’est pas propre et n’a aucune conscience du danger. Ses troubles sévères le poussent parfois dans des comportements très problématiques. Quand il ne se sent pas bien par exemple, il est capable de se faire vomir toute la journée. De façon générale, il est toujours en auto-mutilation.
Comment avez-vous découvert son « handicap », si vous me permettez l’usage de ce mot ?
Pour ma part, j’utilise ce terme car je ne veux pas que ce soit un tabou. J’ai découvert le handicap de Samy quand il devait avoir sept ou huit mois. Mais à cette époque, on ne m’a pas vraiment donné de mot justement. On m’a juste dit que sa maladie allait être « longue et compliquée ». J’ai pris conscience de son handicap tardivement et j’ai mis du temps avant de comprendre qu’il allait avoir besoin d’aide toute sa vie. Même si j’ai été dans le flou longtemps, je n’accuse personne car peut-être que je n’aurais pas été prête à entendre certaines choses à l’époque. J’ai mis longtemps à me considérer comme une aidante.
Comment Samy va-t-il et où vit-il aujourd’hui ?
Il vit dans le Var, dans un établissement qui lui a plutôt bien réussi depuis qu’il s’y est installé il y a 8 ans. Dans ce lieu, il a sa chambre. Cette intimité est très importante pour un enfant autiste, très sensible aux moindres stimulations extérieures. En revanche, on l’a récemment changé d’unité et il a beaucoup de mal à s’adapter. Il habite loin car il m’a été impossible de trouver un établissement pour lui à Paris… Les places sont presque inexistantes pour les enfants autistes.
Comment vivez-vous cet éloignement ?
Cela a été très compliqué au début et à présent je le vis bien. Je reconnais que cela fait beaucoup de bien à ma famille et notamment à mon fils aîné. Marco sait maintenant ce que c’est que de prendre un petit-déjeuner en parlant à sa mère tranquillement ! En général, quand on a une personne handicapée dans une famille, on s’occupe d’elle en priorité. Or les dégâts collatéraux sur les proches sont énormes. Je suis encore debout et j’ai la chance d’avoir une santé mentale correcte mais le handicap reste une épreuve terrible pour les familles. Ce n’est pas un hasard si 80% des familles avec handicap sont monoparentales. C’est très difficile pour le couple de résister. Pour les frères et sœurs, c’est une vie particulière.
Samy a de gros troubles. Sa présence impliquait des nuits blanches pour tout le monde. Son frère Marco avait du mal à dormir car il entendait Samy pousser des hurlements. Il lui arrivait de craquer. Pour lui, c’était difficile d’inviter des copains ou même tout simplement de parler à sa mère.
Comment êtes-vous restée debout dans cette épreuve ?
J’ai une capacité que je vois peu chez les autres parents d’enfants handicapés : celle d’être un brin égoïste. Quand je confie mes enfants à quelqu’un, c’est parce que j’ai choisi cette personne et que j’ai décidé de lui faire confiance. J’avais dans mon immeuble une jeune fille qui voulait faire du baby-sitting. Elle n’a pas eu peur de Samy. Je l’ai formée et, une fois la confiance établie, j’ai pris le temps de sortir entre copines en sachant qu’elle veillait sur mon fils. Je couchais Samy et je partais l’esprit serein. De même, quand je confiais Samy à mes parents, je soufflais vraiment aussi bien physiquement que psychologiquement. J’ai cette capacité à prendre de la distance. Cet « égoïsme » est une chance. J’ai des copines mamans d’enfants handicapés pour qui un tel comportement est difficile : elles sont pendues au téléphone lorsqu’elles laissent leur enfant.
Cette capacité de détachement a cependant ses limites. Au moment où Samy est parti dans le Var, j’ai passé dix mois chez un psychiatre. J’ai pris des médicaments et j’ai passé de longs mois à pleurer. Il m’a fallu tout un processus pour comprendre qu’il fallait que je prenne cette décision. Si j’étais capable de m’éloigner de mon fils deux jours, cette prise en charge représentait autre chose : Samy partait loin sans moi. J’avais beaucoup de mal avec cette idée. Aujourd’hui, je me déplace deux jours tous les 15 jours pour le voir. À chaque fois, je lui suis entièrement dédiée.
Avez-vous rencontré de nombreux parents d’enfants handicapés avec qui échanger ?
Oui beaucoup. J’ai mis du temps à rentrer dans le domaine associatif. Cela ne m’intéressait pas au début. J’avais une vision très négative de ce milieu. Et puis un jour, j’ai fini par me plonger dedans et cela a été une bouffée d’air frais. Rencontrer d’autres parents, c’est s’autoriser à rire de nos mésaventures, s’échanger les bonnes pratiques ! Cela m’a fait du bien.
Comment arrivez-vous à « jongler » entre votre carrière et le handicap de votre fils ? Êtes-vous entourée de personnes compréhensives professionnellement ?
Oui totalement. C’est un monde où il faut être productif et rapide. On pourrait croire que c’est sans pitié. Mais ce n’est pas vrai. Je n’ai pas vraiment affiché le handicap de mon fils dans mon entourage professionnel. Mais il m’est arrivé d’être en tournage et d’avoir un gros souci avec Samy. Une éducatrice désemparée me téléphonait car Samy était passé à travers une baie vitrée par exemple. Dans ces cas-là, j’arrêtais tout en expliquant la situation. Et tout le monde me disait de prendre mon temps. J’ai toujours eu une écoute bienveillante. Pouvoir interrompre un tournage où il y a 80 personnes pour ce genre de choses, c’est quand même cool !
En cette veille d’élection présidentielle, la prise en charge des enfants et des adultes atteints de handicap est une nouvelle fois questionnée. Alors que certains plaident pour plus d’établissements spécialisés, d’autres demandent une plus grande inclusion dans les écoles « normales ». Qu’en pensez-vous ?
Je pense que les deux courants ont raison. Il ne faut pas les opposer. Je baigne dans le handicap et l’autisme depuis 16 ans et, avec mon association*, j’ai créé des écoles qui, au départ, n’étaient que pour des enfants autistes. J’ai finalement décidé de les ouvrir aux autres enfants handicapés. J’ai été l’une des premières à croire qu’avec les nouvelles méthodes d’enseignement, tous nos enfants handicapés allaient avoir une vie normale. C’est faux. Il y a des personnes handicapées qui resteront dépendantes toute leur vie. Il ne faut pas une inclusion de force. À un moment donné, si vous chaussez du 42 et qu’on vous force à rentrer dans du 38, cela ne va pas ! Ces personnes-là seraient en souffrance si on les obligeait à être toute la journée à l’école avec les autres. Elles n’en sont pas capables. Il y a des handicaps qui sont trop lourds.
Aujourd’hui, je crois qu’il faut, non pas des établissements, mais des maisons spécialisées. On ne veut plus que nos enfants handicapés vivent à quarante ou à soixante dans un lieu où ils partagent des chambres ! Nous avons conçu des sortes de pensionnats pour personnes adultes handicapées. Il nous faut des habitats inclusifs, c’est-à-dire des petites maisons où les gens se choisissent et habitent ensemble. Je suis d’ailleurs marraine d’une association- Le Club des six – qui porte un tel projet.
Ce qu’il faut, c’est donner au handicap une vraie dignité et une vraie citoyenneté. Je soutiens l’idée d’inclusion car il y a des tas de formes de handicap que la société aurait tout à gagner à inclure davantage. Et, dans le même temps, ces maisons spécialisées sont nécessaires pour les handicaps lourds.
Votre fils pourrait-il vivre dans une telle maison plus tard ?
J’espère, j’aimerais bien. Mais effectivement, il faut étudier la chose dans les années à venir. Nous avons fait un essai qui s’est incroyablement bien passé, ce qui m’a fait penser qu’il avait besoin d’un endroit plus calme que celui dans lequel il vit.
Vous êtes maman et aidante. Quels conseils donneriez-vous à toutes nos Fabuleuses aidantes pour sortir la tête de l’eau ?
Il faut qu’elles sachent demander de l’aide. Quand on a le nez dans le guidon, on ne sait pas demander de l’aide. Pendant longtemps je faisais tout. Certaines personnes me proposaient de l’aide mais, en même temps, elles avaient peur de Samy. Je ne savais pas quoi leur demander. Finalement, j’ai compris que la meilleure aide qu’elles pouvaient me fournir était de faire mes courses ! On ne mesure pas que ces petites choses-là sont énormes. Lorsque j’étais seule avec deux enfants dont Samy le week-end dans un supermarché, c’était un cauchemar. J’envoyais mon fils de dix ans seul avec talky-walky pour remplir le caddie… Il existe des tas de moyens d’aider les aidants et pourtant on ne les met pas en pratique !
Que dire aux Fabuleuses qui viennent d’apprendre qu’elles ont un enfant atteint de handicap ?
C’est évidemment une situation très difficile. Bien entendu, elles vont avoir l’impression d’avoir un gouffre devant elles. On sombre dans ces moments-là. La nouvelle est d’une violence folle… Mais il faut leur dire que la vie ne s’arrête pas là. Il y a encore plein de beaux moments à vivre pour elles aussi. Elles vont vivre de beaux moments avec leur enfant…et seules aussi ! Elles ont aussi le droit d’être heureuses, d’être amoureuses, de s’amuser et de ne pas culpabiliser quand elles le font. C’est important !
*L’association UN PAS VERS LA VIE a été créée en 2008 par Églantine Éméyé, pour répondre aux demandes des familles avec enfant autiste. Elle s’est donnée comme missions la création d’établissements adaptés avec des partenaires (3 espaces pédagogiques créés en Ile de France et 1 maison de répit dans le Var), la mise en relation des parents avec des spécialistes, la médiatisation des problématiques et la création de supports d’accompagnement.