Axelle Huber
Chère fabuleuse,
Lorsque le conjoint devient malade et ou en situation de handicap, c’est tout le couple qui trinque, bouleversé dans sa structure interne : repères, rythmes, organisations. La personnalité de l’aidé peut changer aussi, sous l’effet de l’âge et de la maladie, qu’elle soit psychique ou non.
Toi, Fabuleuse aidante, assistes alors, impuissante et démunie, à cette détérioration de la santé ou cette dégénérescence du psychisme de ton Fabuleux. Tant de choses se jouent pour ton couple aidant/aidé.
L’espace conjugal se rétrécit. La chambre est parfois envahie de matériel : lit médicalisé, ascenseur ou monte personne, déambulateur et/ou fauteuil et sa batterie, chaise percée, pied de perfusion, machines éventuelles, boîtes de médicaments, de compresses, de poches de nutrition… Et le corps du malade se couvre parfois de cicatrices, de pansements, de perfusions, sondes et/ou systèmes de traction/ Il peut aussi s’enfermer dans un corset, un plâtre, le silence, la démence ou la violence ou encore la paralysie.
La silhouette, le visage, la personnalité de l’aidé peut devenir méconnaissable du fait de la maladie et ces modifications entraînent une altération du regard posé sur soi comme sur le corps de l’autre.
L’espace sacré de l’intimité conjugale s’envahit aussi du corps médical et parfois social (amis, famille). C’est une autre effraction dans cette relation vivante qu’est le corps conjugal. Lorsque les soins et les traitements deviennent prégnants, les professionnels de santé se font de facto plus présents. Que l’aidé soit à la maison ou hospitalisé, c’est le ballet des blouses blanches (et bleues) qui virevolte autour de la chambre.
Le professionnel sonne ou toque, entre, et prend la place pour soigner dans cet espace de l’intime, écartant parfois l’aidant de l’aidé.
Le soin prévaut alors sur la complicité des amants, ce qui est le plus souvent ajusté mais n’en reste pas moins douloureux en termes de relation conjugale. Ton couple conjugal aidant/aidé tente de trouver le bon équilibre, cette difficile alchimie entre accepter l’intrusion au nom du soin et de la sécurité sanitaire ou refuser une aide extérieure.
La question se pose aussi pour les proches. Dans la mesure du possible, ton aidé et toi pouvez réfléchir ensemble à qui laisser entrer et pour quels gestes ? On mesure bien l’énergie qu’il faut dépenser pour répondre à ces questions et préserver cette intimité en posant des limites.
Il est difficile de garder sa place de femme et d’homme dans ce couple perturbé par la fatigue et l’épreuve physique ou psychique. Les conjoints acteurs de leur couple peuvent se faire spectateurs d’un corps qu’ils ne reconnaissent plus et d’un désir qui s’étiole. Difficile question aussi de la sexualité qui relève bien sûr de l’intime. Question dont on parle si rarement, et pourtant bien présente dans les pensées, les cœurs et les corps des amants lorsque la maladie, ou le handicap s’invite dans le couple. Dans ce corps et cette chambre, dans cette intimité profanée par la maladie, la sexualité se trouve souvent modifiée, qu’elle soit amplifiée ou raréfiée ou encore absente.
Imaginons un couple que nous appellerons Julie et julien. A 35 ans, Julie est diagnostiquée d’un cancer alors qu’elle vient d’accoucher de son troisième enfant. Elle subit alors de lourds traitements et une grosse opération. A partir de là, elle ne supporte plus que son mari Julien ne la touche. Elle accepte uniquement les massages sur les mains et le visage, émanant des professionnels et les caresses de leurs enfants. Julien se sent rejeté et très blessé. Il se demande quand cela s’arrêtera, quand il pourra « retrouver » sa femme ? Celle d’avant la maladie.
Le couple conjugal tâtonne parfois pour trouver sa juste place, le bon ton pour évoquer ensemble la maladie, les pronostics, les traitements et évoquer ce qui relève de leur intimité. C’est bien normal.
Tout changement nécessite des ajustements, parfois bien douloureux. Et nécessite d’oser échanger ses réalités, ses affects, ses attentes, ses demandes, pour écouter et accueillir ensuite ceux de l’autre. Et nécessite aussi du temps, de la patience et même de la persévérance dans la patience et la douceur. Julien ne retrouvera plus sa femme, la Julie d’avant la maladie, car ce n’est plus la même et lui non plus n’est plus le même. Ils se retrouveront autrement car l’épreuve les aura blessés. Et l’épreuve les aura aussi fait grandir et se transformer à la condition qu’ils sachent poser des oui et des non en conscience éclairée et qu’ils puissent échanger sur leurs besoins dans ces nouvelles identités.
Alors chère fabuleuse, ton aidé et toi pourrez, malgré les difficultés, trouver votre place d’amant et aimant dans cette nouvelle relation conjugale, donner et recevoir de la tendresse, qui s’exprimera sûrement par des paroles, gestes et attitudes différents, à inventer ensemble dans cette union des coeurs et des corps.