Juliette, aidante de sa fille, gronde : On passe notre temps chez le médecin, à l’hôpital !
Elle grogne : Et mon Fabuleux est encore parti faire du vélo !
Elle maugrée : Je n’ai plus le temps de rien !
Elle peste : Je me sens décalée avec mes amis !
Elle proteste : Et mon boulot qui s’en ressent !
Elle récrimine : Et que dire du désordre à la maison !
Elle murmure : J’en ai marre ! De cette p… de maladie… !
Parfois on n’a pas conscience de se plaindre
et notre journée s’écoule ainsi de vitupérations en vociférations. Cela nous prend une énergie colossale, mine la relation aux autres comme à nous-mêmes. Comme Juliette lit avec délice les articles des Fabuleuses aidantes et notamment ceux sur la gratitude, elle culpabilise de se plaindre ainsi. Mais c’est plus fort qu’elle. « Promis, demain j’arrête de ronchonner », intériorise t-elle. Pour ensuite se rassurer : « Ça doit faire partie de mon ADN ! » Certains jours, elle se dit qu’elle est passée de râleuse amateur à râleuse professionnelle…
Quand on est aidant, on a mille raisons de râler.
Ce comportement est souvent mal vu et tu sais que chez les Fabuleuses, nous aimons beaucoup le livre J’arrête de râler1. S’il est important de faire jaillir l’élan vital en nous et de se connecter à ce qui nourrit la vie en nous, il nous faut aussi dédramatiser la plainte et savoir s’en servir à bon escient. L’injonction à être positif et dans la gratitude en permanence est insupportable et peu réaliste. La vie est dure autant qu’elle est belle. Les aidantes ont une légitimité à se plaindre : leur fardeau est lourd, objectivement. Il s’agit donc de regarder en face sa situation.
Car se plaindre n’est pas toujours synonyme de négativité et peut être parfois utile. Deux définitions de plaintes peuvent être mises en évidence et permettent alors de nuancer les propos sur la râlerie :
- L’expression d’une souffrance
- la rumination
La plainte, en tant qu’expression d’une souffrance, est bonne.
Il est naturel et sain d’exprimer ses insatisfactions et ses difficultés. Celle qui ne se plaint jamais, ou qui contient en permanence sa plainte risque d’enfermer sa souffrance, de s’emmurer dedans.
La plainte permet un soulagement émotionnel et de mieux se connaître. L’idée est de pousser ses coups de gueule pour comprendre les causes et déclencheurs réels de ses difficultés afin d’agir sur ce qui dépend de nous, pour pouvoir se libérer du problème et pouvoir ensuite passer à autre chose.
On comprend alors que la plainte pousse à l’action, à retrouver du pouvoir personnel sur une situation dont l’issue peut dépendre de nous. En ce sens, elle est bonne. Il s’agit alors de prendre conscience des besoins cachés derrière ces râleries afin d’agir ensuite pour les combler.
La plainte invite aussi à trouver l’oreille attentive.
« Râler nous soulage, mais nous aide aussi à tisser des liens avec les autres. » Cela améliore même « la qualité de l’amitié », assurent les chercheurs de la Southwest University à El Paso, au Texas. La plainte, dans le sens où elle invite à discuter avec ses proches, peut donc être constructive. Lorsque Juliette se livre elle-même, dans un cœur à cœur, en partageant à quel point sa situation est lourde et dure pour elle, lorsqu’elle partage et analyse ce qui se passe, elle retrouve de la puissance, de la ressource, et de la joie.
En revanche, la plainte en tant que rumination et pleurnicheries incessantes, est toxique.
Lorsque Juliette passe une bonne partie de sa journée à ressasser ses difficultés et sa malchance, à vider sa peine autour d’elle et en elle-même, de façon mécanique et incessante, elle se met dans une position de victime et risque de s’identifier à son rôle d’aidante. Et, lorsque le soir arrive, Juliette en oublie que d’autres facettes peuvent combler la vie car elle tourne en boucle autour de son fardeau d’aidante. Elle en vient à oublier qu’elle n’est pas seulement une aidante. Qu’elle est aussi une femme, une mère, une fille, une épouse, une amie, une sœur, une marraine, une collègue, une professionnelle, une bénévole. Vomir inlassablement ses montagnes de problèmes, tels des litanies, distille un poison dans nos veines et plombe les relations. N’oublions pas non plus que lentement le cerveau s’habitue à ces chemins neuronaux de la plainte.
Alors, que faire pour stopper ce mécanisme ?
Je n’ai pas de baguette magique mais si tu es habitée par cette tendance à gémir sans discontinuer, je t’invite, pour changer d’habitude, à passer par ces étapes :
- Conscientiser, avec ton intelligence, les moments où te plains le plus et les personnes avec qui tu as cette tendance à te plaindre ?
- Discerner si les choses dépendent ou non de toi.
- Ensuite, décider, avec ta volonté, de déposer, seule, tes râleries durant un temps et un lieu dédié à cela. Serait-ce sous la douche ou dans ton lit, serait-ce en te promenant ou en buvant un café, tu le choisiras en conscience éclairée. Serait-ce en parlant ou en criant ?
- Là, tu pourras exercer ton pouvoir personnel pour exprimer ta plainte, vider ton sac durant trois minutes, TOP CHRONO, pour déverser tes ras le bol. Tu pourras hurler toutes tes contrariétés et frustrations. Quand ton minuteur sonnera, libérée délivrée, tu sauras qu’il est temps d’accueillir le beau et de te focaliser sur autre chose.
Chère Fabuleuse,
tout est question d’équilibre, de juste milieu entre l’expression de nos frustrations et l’action pour sortir de la difficulté. Peut-être que le temps est venu pour toi de trouver la bonne oreille amicale ou professionnelle pour réfléchir et agir sur la situation. C’est là que naîtra une réelle fécondité et que tu pourras t’aligner dans ton élan de vie.
Je te laisse avec cette phrase du philosophe Marc Aurèle :
« Tout ce qui paraît au-dessus de tes forces n’est pas forcément impossible ; mais tout ce qui est possible à l’homme ne peut être au-dessus de tes forces. »
Marc Aurèle
- Christine Lewicki, éd. Eyrolles. ↩︎