À 62 ans, Christine Bonnefond incarne un combat plein d’espoir aux côtés de son mari Bertrand, atteint de la maladie de Charcot. Elle partage son parcours d’aidante, les défis quotidiens qu’elle rencontre et son engagement pour la reconnaissance des proches aidants dans notre société.
Christine, comment ton parcours d’aidante a-t-il commencé ?
Tout a commencé en 2008, quand j’ai choisi de vivre aux côtés de Bertrand, atteint de la maladie de Charcot et désormais totalement dépendant. J’ai rencontré mon mari via un forum internet qu’il avait créé pour regrouper personnes malades et proches. Nous avons alors fondé une association, Les Papillons de Charcot, qui a œuvré pendant dix ans et s’est arrêtée faute de financements. Notre slogan était « Osez la vie avec la SLA ».
Au fil des années, les réseaux sociaux ont permis de donner plus de visibilité à cette maladie, mais le combat continue, notamment à travers l’association Les Invincibles, qui porte un message d’espoir, de vie et de solidarité pour les malades et leurs proches. Avant Bertrand, j’avais déjà expérimenté la proche aidance sans en avoir conscience, avec mon père, lui aussi atteint de la maladie de Charcot de 2002 à 2005. Ma mère a développé la maladie de Parkinson à la même période, alors je jonglais entre mon travail à Paris et les allers-retours à Nancy pour m’occuper d’eux.
Quels sont les plus grands défis au quotidien que tu rencontres en tant qu’aidante ?
Je dois constamment m’adapter. Cela peut sembler paradoxal car, sur le papier, Bertrand a droit à des aides, notamment une Prestation de Compensation du handicap (PCH) permettant d’avoir des auxiliaires de vie. Cependant, la rotation des auxiliaires est fréquente. Plus la dépendance est grande et le handicap lourd, plus il est difficile de stabiliser une équipe.
Le rôle du proche aidant est souvent mal compris par les professionnels. On suppose que, parce que je suis à domicile, je suis toujours disponible. Les auxiliaires de vie, comme leurs responsables, ont du mal à concevoir que j’ai des engagements en dehors de l’accompagnement de Bertrand. De plus en plus circule l’idée que les aides sont là pour « me soulager ». Bien sûr, elles me soulagent, mais elles sont là avant tout pour Bertrand, pour son choix de vie à domicile. C’est tout le sens de la PCH qu’il reçoit !
En plus de m’occuper de Bertrand, je dois gérer le recrutement, les plannings et les absences des auxiliaires, comme une véritable DRH.
Un autre défi est de « porter la maison », m’occupant de tout, d’autant que nous sommes très isolés, sans famille proche, et dans une zone rurale peu engagée dans le soutien aux personnes handicapées et à leurs aidants. Les proches aidants devraient eux aussi pouvoir bénéficier d’aide à domicile, comme des aides ménagères ou des services de proximité fournis par les mairies.
Le plus grand défi pour moi a été de renoncer à toute vie professionnelle pour rejoindre l’équipe de soin autour de Bertrand. J’avais déjà interrompu ma carrière dans la communication, puis cumulé plusieurs emplois divers. J’ai même essayé de me mettre à mon compte. J’avais réussi à me stabiliser comme Accompagnante d’Élève en Situation de Handicap (AESH) à l’école de notre village. J’ai eu la chance de pouvoir accompagner deux enfants autistes, dont l’un pendant trois ans. Tous deux m’ont ouvert à une vision du monde extraordinaire, j’ai vraiment pu appréhender en quoi la différence est une richesse.
Cette expérience m’a aussi confrontée à d’autres réalités de l’aidance : des parents complètement submergés par les démarches, des mères isolées, ainsi que des jeunes aidants comme ces deux petites filles qui accompagnaient leur mère. Le désarroi de ces enfants et le manque de compréhension du personnel de l’école m’ont profondément heurtée.
Aujourd’hui, je suis salariée de Bertrand grâce à sa PCH, ce qui me permet d’avoir les mêmes droits que n’importe quel salarié. Cependant, la charge mentale reste immense et il est difficile de maintenir un équilibre, tout en préservant notre relation de couple. Notre lien d’amour est toujours fort, mais le rôle soignant-soigné a abîmé notre relation. Le recours à la médiation aidant-aidé, grâce à la médiation familiale, devrait être facilité. J’ai découvert ce type de soutien récemment, ignorant jusque-là son existence.
Comment arrives-tu à t’accorder du temps ?
Pour ne pas sombrer dans l’épuisement, j’essaie de m’accorder des moments de “micro-répit”, en m’occupant de mon jardin ou en lisant un poème. Ces moments sont vitaux, ils me permettent de rester connectée à moi-même. Prendre soin de soi, c’est d’abord cela je crois : être en pleine conscience avec soi-même.
Depuis presque deux ans, je suis engagée au sein du Collectif Je t’Aide, dans son Conseil d’Administration. Le Collectif milite pour la reconnaissance et la place des aidants dans la société. Mon engagement vient d’un profond sentiment d’injustice : en tant que proches aidants, nous restons souvent invisibles et ne sommes toujours pas reconnus comme des personnes ayant des droits.
Je suis aussi engagée au sein de l’association Les Invincibles depuis sa création. En plus de ses actions pour financer la recherche contre la SLA, cette association incarne des valeurs de solidarité et de convivialité infiniment précieuses, tant pour les malades que pour leurs proches. Depuis cette année, je participe aussi à un groupe « aidants » au sein de l’Association pour la Prise en compte du Handicap dans les Politiques Publiques et Privées (APHPP).
Mais ces engagements — qui se sont clairement imposés à moi après la mort de mon père en 2005 — loin d’être une obligation, sont aussi pour moi un moyen de me ressourcer, de me recentrer, en faisant quelque chose de concret pour les autres. Même si je prends enfin plus de temps pour moi, c’est aussi une façon, moi qui ne travaille plus, de retrouver du lien social.
Quel message souhaites-tu faire passer ?
Je souhaiterais que les proches aidants puissent choisir les conditions dans lesquelles ils apportent leur aide, et que ce rôle ne soit pas une obligation dictée par le manque de soutiens financiers et de professionnels pour les personnes aidées.
Nous devons vivre dans une société inclusive, où l’autonomie des personnes fragiles ne repose pas uniquement sur leurs proches, et où le droit à l’autonomie est respecté, pour les aidants comme pour les aidés. Chaque proche aidant doit pouvoir aider sans se sacrifier, et notre société devrait reconnaître la valeur de ce que nous faisons, sans pour autant faire de nous des héros.