Camille Ader-Sandery a perdu son fils Loup, atteint de la maladie de Krabbe, il y a un peu plus d’un an. Durant trois ans et demi, elle a cherché à tout faire pour que la vie de son enfant soit la « plus douce possible ». Rencontre.
Pouvez-vous vous présenter et me parler de votre fils Loup ?
Je suis Camille, j’ai bientôt 36 ans. J’ai été maman de Loup à l’âge de 30 ans. C’était une première grossesse désirée qui s’est très bien passée. Quand Loup a eu trois mois et demi, j’ai commencé à remarquer des petits comportements intrigants qui me semblaient anormaux mais qui n’inquiétaient pas les médecins. Il a fallu attendre jusqu’à cinq mois pour tomber sur le bon médecin qui a diagnostiqué un développement anormal. Ils nous ont envoyés à l’hôpital Necker et nous avons eu rapidement un retour… Loup était atteint de la maladie de Krabbe qui est une maladie génétique neurodégénérative.
Comment avez-vous accueilli cette annonce ?
Quelque jours avant le diagnostique final, les médecins nous avaient informés qu’il s’agissait d’une maladie grave et qu’il pouvait en mourir. Pendant un temps, on pensait simplement avoir un enfant handicapé. Puis nous avons appris que nous avions un enfant qui allait partir bientôt. On lui donnait une espérance de vie de 18 mois. À partir du moment où l’on a appris cela, je n’ai eu aucun moment d’effondrement. Je me suis transformée en super maman inatteignable qui fait tout pour que la vie de son enfant soit la plus douce possible pour le temps qui lui est donné.
Qu’est-ce qui vous a donné cette force ?
Je ne sais pas. Je dirais que c’est une épreuve qui transforme ou qui révèle ce que nous sommes beaucoup à avoir au fond de nous. Mon mari a vécu cette annonce de manière très différente. Il se demandait souvent pourquoi nous subissions cela, mais cela ne l’a pas empêché de s’investir. Pour ma part, sans vraiment le décider, j’ai mis très vite ces questions de côté car je me suis rendue compte que les réponses n’allaient rien changer. J’ai tout de suite pensé que cela ne valait pas la peine de s’appesantir. J’ai essayé de vivre le moment présent et j’ai très vite cherché des moyens pour apaiser mon enfant. Je pense que c’est dans mon tempérament de ne pas me plaindre. Je suis quelqu’un qui va de l’avant mais je ne savais pas que j’avais ces ressources.
Est-ce que vous avez arrêté de travailler ?
Oui. À partir du jour où nous avons eu notre premier rendez-vous chez un pédiatre, je ne suis plus jamais retournée à mon travail. Nous nous sommes rendus compte que Loup ne pouvait plus aller chez la nounou car il devait prendre des médicaments spéciaux qu’elle n’était pas habilitée à donner. Je ne me souviens pas du tout que nous ayons réfléchi pour prendre cette décision. Quand on sait que son enfant va bientôt partir, on reste avec lui. Mon mari a quant à lui été arrêté pendant 10 mois. Nous avons pu rester tous les trois pendant cette période.
Est-ce que vous vous êtes rapidement reconnue comme aidante ?
Non. Encore aujourd’hui, ce mot ne me parle pas du tout. Pour moi, je suis une maman. Le terme d’aidante est un pléonasme. J’ai endossé, je crois, le rôle que n’importe quelle maman aurait pris.
À quel âge Loup est-il parti et comment avez-vous vécu sa maladie ?
Il est décédé à trois ans et huit mois, en mars 2021. Je suis restée seule avec lui durant deux ans et demi, sachant qu’entre-temps, son petit frère est venu agrandir la famille. Avant la naissance de Charlie, j’ai passé mes jours et mes nuits à chercher de meilleures méthodes d’éveil, de massage et autres pour que Loup aille mieux. Je ne pouvais pas simplement vivre en attendant qu’il parte… Entre mes recherches et le fait de m’occuper de lui, mes journées comme mes nuits étaient bien remplies.
Puis ma seconde grossesse a été un élan de vie. Quand Charlie est arrivé, la maladie de Loup avait bien progressé et il était arrivé normalement au terme de son espérance de vie. Il a finalement vécu le double de vie prévue ! À ce moment-là, ma maman a dû s’arrêter de travailler pour m’aider. Je pensais que j’allais gérer… Et puis un jour, je me suis retrouvée avec Charlie en porte-bébé qui devait avoir trois semaines tout en devant réanimer Loup. Là, j’ai réalisé que j’avais besoin d’aide… Avant cela, je ne demandais jamais d’aide à personne.
Ce temps d’attente entre ses 18 mois — date à laquelle les médecins pensaient que Loup allait partir — et son décès a-t-il été plus douloureux ?
Je crois que j’essayais de vivre chaque heure. Loup a subi de nombreux arrêts respiratoires. On savait qu’il pouvait partir à tout moment mais pour le coup, je ne vivais pas cela avec la peur au ventre. Je pense que j’avais intégré que ce serait insupportable de vivre comme ça. Après, j’ai réalisé petit à petit à quel point on s’habitue à tout. Par exemple, les médecins nous avaient dit que Loup allait perdre son sourire. Je m’étais dit que ce jour-là, c’était la fin. Et en fait, nous avons accueilli cela. Pareil pour la sonde naso-gastrique et l’assistance respiratoire…Toutes ces étapes, nous les avons accueillies car Loup les a accueillies. Comme il n’a pas montré de détresse particulière à ce moment-là, tout le monde s’est adapté.
Puis il y a eu le jour de son départ…
Oui. Je n’étais pas du tout préparée. Même si on pense être préparé à un tel choc, il y a toujours une partie de nous qui se dit que ce n’est pas possible de perdre son enfant. D’autant que c’est arrivé très vite. Même si on faisait tout pour que la maladie n’avance pas, on voyait bien qu’elle progressait.
Qu’est-ce qui vous a aidée à faire le deuil de votre enfant — si tant est qu’il est possible d’utiliser cette expression ?
Ce qui nous a soutenu, c’est d’abord notre famille et nos amis qui ont été vraiment incroyables, d’abord quand Loup était avec nous. Ils étaient toujours dans la dynamique, l’énergie, la joie autour de Loup. Tout le monde était très tendre avec lui. Ce qui me faisait le plus de bien, c’était de voir les gestes des autres, en totale acceptation avec ce qu’il était. Il n’y avait aucun rejet et cela faisait du bien à mon cœur de maman. Malgré cela, je me suis sentie seule car je réalisais, par des petites phrases pourtant pas méchantes de nos proches, que personne ne pouvait comprendre ce que nous vivions. Quand on explique que l’on a fait du bouche-à-bouche à son enfant car il s’est arrêté de respirer et que cela va se reproduire, personne ne peut comprendre. Même si nous étions très entourés et membres d’une association de parents porteurs de la maladie, je me sentais seule.
Aujourd’hui, comment allez-vous et qu’est-ce qui vous soutient ?
Je suis très étonnée de la façon dont je “gère” la chose. Je crois que la première chose qui m’a tenue, c’est Charlie. Il avait 18 mois quand Loup est décédé. C’est un âge très joyeux où il se passe plein de choses. Je crois que s’il n’avait pas été là, cela aurait été différent. Et puis, il y a toujours nos proches qui nous aident. On fait en sorte de parler de Loup tous les jours ou presque à travers de multiples occasions : photos, souvenirs… La séparation est là, elle est brutale, mais elle n’est pas définitive. Il existe encore quelque chose de lui quelque part.
Au fil du temps, j’ai aussi développé une forme de spiritualité : je me suis dit ce n’était pas possible que quelque chose d’aussi difficile arrive et qu’il n’y ait rien de plus grand derrière… Cela ne peut pas être de la souffrance pure et dure, il y a forcément plus. Sans parler de Dieu, je me dis que Loup est quelque part. Je pense que c’est une nécessité pour mon cerveau.
Avez-vous repris votre travail ?
Je me suis complètement réorientée. Alors que je travaillais dans l’événementiel, j’ai découvert, pendant la maladie de Loup, une pratique qui s’appelle la communication quantique. Comme mon rêve était de savoir ce que Loup pensait, j’ai été orientée par un soignant vers cette pratique. Nous avons fait des séances formidables avec Loup. Nous avons pu lui donner la parole sur des choses qu’il aimait et qu’il n’aimait pas et que je pouvais confirmer. Je me suis formée en me disant que d’autres parents d’enfants devaient connaître cette pratique. À l’origine, le but était aussi de pratiquer avec Loup. Puis il est parti avant que ce soit possible. J’ai laissé passer quelques mois… puis j’y suis revenue. Aujourd’hui, je suis installée en tant que praticienne en communication quantique. Loup m’a indirectement amené vers une voie où je me sens complètement à ma place et que je n’aurais jamais imaginée car je ne savais même pas qu’elle existait. Je ne sais pas où cela va me mener mais aujourd’hui je peux aider d’autres parents et d’autres enfants.
Vous continuez de parler de votre fils sur votre compte Instagram. En quoi cela vous aide-t-il ?
Je crois que cela me fait du bien car cela continue de le faire exister. Ce serait pour moi la pire chose de comprendre, à travers les paroles et les actes de ceux qui nous entourent, qu’il est oublié. Heureusement je reçois beaucoup de messages de personnes qui me parlent de Loup, parfois même des inconnus. Il n’y a rien qui puisse me faire plus plaisir que quelqu’un qui pense à Loup et qui me le dit.
Que diriez-vous à des mamans qui accompagnent un enfant porteur d’une maladie dégénérative ?
Parfois, je ressens de la culpabilité en me disant que j’aurais pu mieux faire pour Loup. On en ressent toujours en tant que parent. J’aimerais que les parents d’enfants qui vont mourir puissent retenir qu’à la fin, c’est leur amour qui aura compté pour leur enfant et que cet amour continuera après. C’est l’amour qui est le plus puissant et il ne disparaît pas. Il y a plein de moments où nous aurions pu mettre le mental en premier pour affronter la maladie. Mais en réalité, cela a toujours été le cœur, l’amour, et cela même dans les situations d’urgence. Ce qui était fait avec tendresse est sans doute ce qui aidait le plus Loup. On ne savait pas ce qu’il comprenait de nos mots, mais on savait que le prendre dans nos bras, le câliner, avait sans doute presque plus de puissance qu’un médicament ou un soin. Je suis certaine qu’il est parti en se sachant extrêmement aimé et qu’encore aujourd’hui, il doit le sentir.