Enfants extraordinaires

Alice Drisch : « Il fallait créer quelque chose pour toutes ces mamans qui attendent des enfants différents »

Claire Guigou 3 janvier 2022
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Il y a quelques mois, Alice Drisch a lancé M21, une association pionnière qui accompagne les familles en cas de diagnostic de trisomie. Pour cette jeune maman, il devient urgent de changer la manière d’annoncer le handicap, que ce soit pendant la grossesse ou à la naissance.

Bonjour Alice, peux-tu te présenter ?

J’ai 28 ans, je suis mariée à Vincent. Nous sommes parents d’un petit garçon qui s’appelle Isaac. Il a 20 mois et il est porteur de trisomie 21.

Comment as-tu découvert le handicap de ton enfant ?

Au cinquième mois de grossesse, les médecins ont une suspicion de trisomie 21 parce qu’Isaac était très petit. À ce moment-là, je me suis retrouvée avec un formulaire devant les yeux : nous avions le choix entre suspendre la grossesse ou la poursuivre tout en assurant à l’hôpital que nous n’allions pas porter plainte. À cet instant, je me suis heurtée à une réalité extrêmement violente. On nous parlait de suspicion de trisomie mais nous ne savions pas ce que c’était ! Nous sommes sortis vraiment secoués de cette échographie. Je me souviens que je me suis effondrée sur le parking.

Un mois après, nous sommes revenus à l’hôpital : les médecins pensaient s’être trompés. Nous avons donc continué la grossesse sereinement mais quelque chose avait bougé au fond de mon cœur. Puis nous avons appris la trisomie d’Isaac deux heures après mon accouchement. Cette fois-ci, nous avons eu de la chance. C’est la sage-femme qui nous l’a murmuré à l’oreille avec beaucoup de douceur. Avec Vincent, nous avons évité de nous regarder car nous savions que nous allions pleurer. Je sortais de 17 heures de travail, je ne voulais pas me mettre en colère. Je trouvais déjà cela incroyable de tenir mon bébé dans les bras.

À présent, Isaac a presque deux ans et tu viens de fonder M21, une association qui accompagne les familles en cas de diagnostic de trisomie 21. Comment est née cette aventure ?

Dès le cinquième mois, avec l’annonce de cette potentielle trisomie, une petite graine a germé en mon cœur. Le fait d’avoir vécu cet événement m’a beaucoup fait réfléchir. Je me suis dit que ce ne n’était pas possible pour des familles d’apprendre le handicap de leur enfant de cette manière !

Ensuite, lors de mon accouchement, j’ai demandé aux médecins s’il y avait des associations que je pouvais appeler pour rentrer en contact avec des parents ayant des enfants porteurs de trisomie, des gens qui pourraient m’expliquer ce que c’était. On m’a dit non. Je me suis rendu compte que ce genre d’associations n’existait pas et que beaucoup de parents vivent une très grande solitude au moment du diagnostic.  

Si nous avons eu de la chance d’avoir eu une bonne annonce au moment de l’accouchement, nous avons tout de suite été confrontés à un pédiatre qui nous a dit d’emblée « votre vie va être terrible ». Quand tu es jeune parent et que tu tiens ce bébé dans tes bras, c’est dur. Tu es confronté à un corps médical qui ne connaît pas la trisomie 21, qui ne connaît pas le handicap. Je pense donc qu’annoncer ce genre de choses est terrible pour eux. Et la conséquence, c’est qu’il y a un décalage entre le corps médical qui est alarmé de cette situation et la réalité de nos vies.

Je découvre pourtant qu’avec Isaac, j’ai une vie douce. Et autour de moi, plein de parents témoignent de la même chose. Bien sûr, nous avons de nombreux rendez-vous médicaux… mais je n’ai pas une « vie terrible » ! Ce décalage entre le corps médical et nos vies est un problème car je ne pense pas qu’on puisse prendre une décision en conscience quand on a peur.

Quel est l’objectif de ton association ?

L’objectif de M21 est de venir en aide, soutenir et accompagner tous les couples, toutes les mamans et tous les papas qui traversent un diagnostic de trisomie 21 en cours de grossesse et à la naissance. L’idée, c’est d’être une oreille attentive pour eux et de répondre à leurs questions sur la trisomie s’ils en ont. Nous avons également une psychologue qui est disponible pour faire un accompagnement car certaines personnes ont juste besoin de parler. C’est toujours un traumatisme d’apprendre qu’on a un enfant trisomique.

Je tiens aussi à préciser qu’M21 n’est pas une association qui influence un choix. Nous ne sommes pas là pour dire « il faut garder l’enfant » ou « il ne faut pas garder l’enfant ». Nous sommes là pour écouter les personnes, peu importe leur choix. Nous souhaitons aussi accompagner les couples qui font un arrêt de grossesse car c’est doublement traumatisant. Non seulement ils apprennent le diagnostic terrible mais en plus ils font un arrêt de grossesse.

M21 vient tout juste d’être créée. Est-ce que les Fabuleuses peuvent déjà la solliciter ?

Oui ! La ligne téléphonique fonctionne de 9h à 17h. Quand les personnes appellent, elles tombent sur moi et je recueille leurs besoins : est-ce qu’elles souhaitent parler à un psychologue ou à un parent d’un enfant porteur de handicap ? À présent, nous allons démarrer notre grande campagne de communication auprès des hôpitaux. Je vais d’abord aller visiter les structures de Lyon et observer comment elles réagissent à la vision de l’association. Si cela se passe bien, j’élargirais à l’échelle nationale.

À long terme, j’aimerais organiser des grands congrès pour parler de l’annonce du handicap aux familles. Ce n’est plus possible de continuer à annoncer le handicap de cette manière ! C’est trop grave et les conséquences psychologiques sont trop grosses pour qu’on ne change rien.

Depuis la naissance d’Isaac, tu es très présente sur les réseaux sociaux et notamment sur Instagram. En quoi partager ton quotidien avec Isaac t’a aidée ?

Au départ, cette présence digitale n’était pas volontaire. Nous avons voulu partager le quotidien d’Isaac sur Instagram pour nos proches car il est né juste avant le confinement. Puis, j’ai remarqué que de nombreuses personnes commençaient à suivre mon compte, à s’attacher à Isaac. Et surtout, j’ai commencé à être suivie par des mamans qui elles aussi avaient un enfant trisomique. Je me suis rendue compte que, de la même manière que je pouvais être inspirée par des comptes comme celui de L’extraordinaire Marcel, je pouvais aider ces mamans. En ayant bon nombre de ces femmes au téléphone, j’ai pris conscience qu’il y avait un vrai besoin. Je me suis dit qu’il fallait créer quelque chose pour toutes ces mamans qui attendent des enfants trisomiques car elles n’ont personne vers qui se tourner. C’est encore plus le cas pour celles qui habitent à la campagne où il y a encore moins de médecins formés.

Notre plateforme s’adresse à toutes ces mamans qui sont aussi « aidantes ». Est-ce que tu te reconnais comme telle ?

J’ai découvert que j’étais aidante il y a peu de temps. Je ne me voyais pas aidante car je travaillais et percevais les parents aidants comme totalement dédiés à leurs enfants. Et puis, un jour, mon mari m’a fait prendre conscience que nous étions dans ce rôle. Je crois que lorsqu’on est parent aidant, il faut plus de courage et plus de force c’est certain. Mais je crois aussi que lorsque nous croisons le sourire de nos enfants, ceux sont eux qui nous donnent l’énergie et la force pour nous occuper d’eux. Et ils nous le rendent !

Quels conseils donnerais-tu à des mamans aidantes pour se ressourcer ?

Il y a trois choses qui sont importantes pour moi. La première, c’est la sieste. Cela peut sembler drôle mais c’est vrai. Dormir 5 minutes par jour me sauve. Cela permet de récupérer de l’énergie de manière naturelle.

La seconde chose, c’est que j’essaie de m’octroyer chaque mois deux heures juste pour moi. Cela peut être une manucure ou un coiffeur. Je cale ces moments dans mon agenda comme les autres rendez-vous. Si je n’y arrive pas, je fais de la marche. Quand je vais chercher Isaac à la crèche, c’est ma bulle.

La troisième chose qui me porte c’est la prière, car je suis chrétienne. Ce cœur à cœur avec Dieu me permet de prendre soin de moi, de décharger les choses. Certaines personnes ne prient pas et font de la méditation ce qui me semble excellent aussi. Dans tous les cas, je crois que lorsqu’on a un enfant différent, il faut vraiment avoir une très bonne hygiène de vie. Avec Isaac, on a pas du tout la même vie qu’avant. Par exemple, avant sa naissance, on avait tout le temps du monde à la maison. Aujourd’hui, on a une vie beaucoup plus calme. On sait que les amis, c’est le week-end et pas la semaine, car nous avons besoin de temps pour notre travail et pour Isaac.

Il est aussi nécessaire de nous coucher tôt et de manger sainement. Tout cela va participer à l’énergie qui va découler de nos semaines et de nos journées. Nous ne voulons pas subir notre vie. Nous n’avons pas choisi le handicap d’Isaac mais nous choisissons d’être heureux. Et le fait que notre couple aille bien, que chacun d’entre nous aille bien, participe au bonheur d’Isaac. Enfin, avec Vincent, nous avons souhaité ne pas avoir de deuxième enfant tout de suite pour se concentrer sur cette phase de notre vie avec Isaac. C’est un choix qui est très personnel. Nous savons que pour donner tout ce que nous avons à donner à Isaac jusqu’à ses quatre ans, c’est nécessaire pour l’instant !



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Cet article a été écrit par :
Claire Guigou

Journaliste, collaboratrice pour les Fabuleuses aidantes

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