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Vacances (un peu) cabossées : de la houle à l’espérance.

Axelle Huber 9 septembre 2025
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Chronique d’une aidante pas toujours au top, mais toujours en route !

J’ai plusieurs fois dans ces colonnes écrit sur les vacances des aidants, tant l’enjeu est de taille. Bon, eh bien voilà, je me suis un peu pris les pieds dans le tapis cette année…

  Lorsque l’été approche, beaucoup d’aidants se prennent à rêver de vacances comme d’un horizon lumineux. Après des mois (parfois des années) de routines contraignantes, de vigilance constante, de nuits trop courtes et de journées saturées de responsabilités, l’idée de se reposer, de se retrouver ailleurs, prend une valeur presque sacrée, comme une promesse.
Ainsi, le départ se prépare avec excitation : refaire la valise, prévoir les trajets, imaginer la légèreté des retrouvailles. Et, au fond du cœur, cette espérance simple : « Enfin, quatre semaines pour changer d’air et se reposer »

Comme on a pu en rêver nous aussi de ces vacances après cette année difficile… Nous avions autant besoin de moments festifs que de nous reposer à ne rien faire, à regarder les coucher de soleil en prenant l’apéro sur la plage. Aussi, nous avions décidé d’accepter des invitations à des mariages en juillet et d’aller en bord de mer en août. 

L’énergie était là pour retrouver un peu de normalité. Je me prêtais de bonne grâce au jeu du Tétris pour faire rentrer les valises dans le coffre et arpenter trois samedis de suite la France dans trois directions différentes. J’avais presque pensé à tout : valise et tenue de mariage pour chacun (sans oublier les chaussures), draps et serviettes de toilette, paniers de serviettes de plage, sacs de médicaments, fauteuil roulant, déambulateur et béquilles, sac de livres, sac de jeux…  J’étais assez fière de moi et de cette organisation pour une grande expédition. Cet élan s’accompagnait d’une promesse de joie partagée : aller voir les autres, recevoir leur chaleur, leur sourire, leur vitalité, se sentir de nouveau porté par la joie collective et bien sur retrouver une forme de normalité : être là, comme tout le monde, partager un repas, trinquer, danser peut-être. Ces instants sont précieux parce qu’ils rappellent que la vie ne se réduit pas aux contraintes quotidiennes. On n’est plus seulement aidant, on redevient frère, sœur, cousin, ami, invité..  J’avais décidé d’ouvrir les mains et d’accepter les généreuses propositions de prêt de maison en bord de mer et essayé d’anticiper au mieux en louant pour une quatrième semaine un appartement. Certes il était à l’étage (euphémisme de dire que c’était loin d’être pratique), mais on avait une vue sur la mer et je n’avais rien trouvé d’autre.

La fatigue.

Très vite, derrière cette joie, une fatigue sourde s’installe. Les trajets en voiture entre les 3 mariages aux 3 coins de la France pour revenir ensuite pour une semaine d’examens et de soins médicaux, les routes interminables, la chaleur, le bruit, les nuits trop courtes : tout cela pèse plus lourd. Là où d’autres récupèrent en dormant une nuit, je sens mes réserves plus fragiles. Le corps ne répond plus comme avant, l’esprit sature vite. Au fil des jours, cette fatigue revient comme un boomerang. Nous espérions que quatre semaines suffiraient à nous retaper, mais la fatigue est là, tapie comme une ombre. Elle oblige à ralentir, à dire non, à se retirer au moment même où la fête bat son plein. Et la déception surgit : pourquoi ne puis-je pas profiter comme les autres ? Pourquoi ce rôle d’aidant semble me poursuivre même en vacances ? Je jette ma fatigue à la mer. Elle enfle et me revient plus forte, comme une lame de fond. C’est une fatigue qui colle, qui s’invite partout : dans les repas trop longs, dans les nuits hachées, dans les journées trop vides. Dans un premier temps, elle m’empêche de profiter pleinement, m’obligeant à me ménager, à ne pas me coucher trop tard et même à prolonger des siestes. Enfin, elle s’atténue et me permet de retrouver de l’énergie pour aller marcher dans l’eau, prendre un café (voire même un mojito) !

Les autres.

À cette fatigue s’ajoute une autre peine, encore plus douloureuse : celle de voir l’aidé lui-même ne plus pouvoir vivre les vacances comme avant. Le handicap, la fragilité, la fatigue physique empêchent l’aidé de suivre, d’aller là où son cœur le portait, de profiter des instants comme il le faisait jadis. 

Tout le monde se déploie sur la plage, sort les raquettes, les serviettes colorées, les bouées en forme de licorne. Les familles voisines s’éclaboussent dans l’eau limpide comme dans une publicité d’Hollywood Chewing Gum. Pour l’aidé, l’eau est regardée avec méfiance: comment y entrer, comment ne pas avoir mal au dos, comment ne pas avoir froid ? Et que dire du fait qu’il n’y ait qu’une seule plage (sur les 5 de cette station balnéaire) équipée de fauteuils allant dans l’eau, pour des personnes handicapées. On sourit ou/et on s’agace. On dit : « Ce n’est pas grave, on va savourer l’air marin. » Mais à l’intérieur, ça pique. Parce qu’on se souvient d’avant, des bains interminables sur la plage des rouleaux, des rires, des corps libres. Maintenant, l’horizon est là, immense, et nous, on se cogne à une marche trop haute, une rampe absente, un escalier qui ne pardonne pas.

Les autres ne sont pas handicapés. Ils courent, ils bronzent, ils mangent des glaces qui fondent trop vite. Et parfois, une pensée de jalousie me traverse, comme une vague sale. Mais je la laisse repartir, parce que rester dans l’amertume, c’est s’empoisonner les vacances. Et franchement, on n’a pas fait des heures de route pour ça.

L’aidante que je suis, témoin impuissante de ces limites, mesure doublement l’écart : ce n’est plus seulement ma propre énergie qui fait défaut, c’est aussi celle de l’autre. Alors la joie espérée se heurte à la déception de ce qu’on ne peut plus partager ensemble comme avant. On expérimente en famille encore ces montagnes russes de la perte : émotionnelles, cognitives, sociales, physiques dont j’ai si souvent parlé.

Les imprévus lumineux.

Heureusement, il y a ces imprévus lumineux. Le serveur du restaurant qui déplace trois tables sans broncher pour installer le fauteuil « au meilleur endroit ». L’inconnu qui propose spontanément son aide, sans pitié dans les yeux, juste avec simplicité. L’enfant qui demande : « Tu me prêtes ton fauteuil roulant ?» ou encore « on fait une course avec ? »

Ces petites attentions, ces rencontres improbables, ça sauve les journées. Parfois, ce sont elles, les vraies vacances : des bulles de gentillesse, de solidarité, d’humour partagé. Comme ces ados et adultes qui poussent l’aidé en fauteuil pour qu’il puisse rejouer au tennis, et retrouve des sensations de frappe et de puissance. Comme ces autres qui écoutent et osent affronter les larmes sans détourner le regard. Ces généreux qui invitent, proposent de l’aide. Eux, ils ont gagné la médaille d’or de l’été.

Et puis, il faut le dire, le handicap attire aussi des situations drôles, absurdes. Comme ces fois où les aînés prennent le fauteuil pour un attelage et tirent l’aidé en imitant des chevaux.

  Les vacances deviennent alors un contraste permanent. D’un côté, la joie sincère d’avoir pu se retrouver avec les siens, de partager des moments lumineux. De l’autre, la désillusion : quatre semaines ne suffisent ni à effacer totalement la fatigue, ni à rendre la liberté d’autrefois, ni à rendre à l’aidé la vigueur qu’il avait avant. Le cœur se serre devant cette réalité, car même loin du quotidien, le poids d’être aidant et la fragilité de l’aidé ne disparaissent pas. Ils restent inscrits dans les corps, dans les habitudes, dans les regards. Les vacances, version aidant, ce n’est pas le Club Med. C’est un patchwork de frustrations, de galères, de beaux gestes et de petits miracles. Ce n’est pas parfait, mais c’est la vie, telle qu’elle est maintenant. Et si je dois choisir entre rester enfermé chez moi à ruminer ou affronter ces montagnes russes en bord de mer, je choisis toujours la mer.Et pourtant, au-delà de la déception, un apprentissage se dessine. il y a cette vérité un peu ironique : les vacances ne sont pas des parenthèses magiques, ne guérissent pas le handicap, mais elles nous rappellent que la vie continue malgré tout. Elles ne gomment pas la maladie, les difficultés ou la fatigue. Elles ont juste un décor différent. Attendre d’elles une perfection irréelle, c’est se préparer une chute. Mieux vaut les accueillir comme elles viennent, avec leurs rires imprévus et leurs ratés aussi. Être aidant, c’est avancer avec cette double vérité : renoncer à ce qui était, tout en accueillant ce qui reste. Ce n’est plus comme avant, ni pour soi ni pour l’autre, mais la vie continue. Elle continue avec ses petites victoires, son lot de joies, de 1001 petites joies du quotidien à voir et accueillir. Coexistant avec ses difficultés et ses frustrations mais l’on peut s’entraîner à se dire “c’est déjà ça” : au lieu de dire “on n’a pas pu faire ceci ou cela”. Et parfois, ces parcelles de bonheur suffisent à tenir debout, à donner du sens, et à se dire qu’au fond, malgré tout, il reste encore beaucoup de vie à aimer et à partager. Et que l’humour est une excellente bouée de sauvetage.

Chère fabuleuse, si toi aussi tu as eu des vacances un peu cabossées, rappelle-toi que tu as déjà essayé : de rêver, de prévoir, d’emmener un peu de lumière. Même si le résultat n’a pas été celui espéré, tu as planté une graine. Peut-être qu’elle germera plus tard, dans un souvenir doux, dans une photo qui vous fera sourire, ou simplement dans l’énergie d’avoir persévéré.

Alors oui, ces vacances n’étaient pas comme les autres. Elles étaient cabossées, mais elles étaient vivantes. Et c’est déjà tout un miracle.



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Cet article a été écrit par :
Axelle Huber

Coach et thérapeute, Axelle Huber accompagne aujourd’hui les personnes sur des enjeux de connaissance de soi, de compétences émotionnelles et relationnelles,  de développement personnel, et notamment dans des contextes de ruptures de vie comme peuvent l’être l’aidance ou le deuil. Elle donne des conférences et anime des ateliers sur ces sujets.

Elle est l’auteur de Si je ne peux plus marcher je courrai, Mame 2016 et  de Le deuil, une odyssée, mame 2023.

https://axellehuber.fr

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