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Enfants extraordinaires

Une pause à nos combats

Rebecca Dernelle-Fischer 15 juillet 2024
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C’est le milieu de l’été. Les horaires sont chamboulés, les priorités aussi.

Pas de devoirs scolaires pour les enfants, pas de réveil qui sonne, de taxi-bus qui passe, ni de goûter à préparer. Même l’orthophoniste fait une pause dans le programme thérapeutique de notre aidé.

Le rythme change, les températures aussi. La météo et ses caprices ont bien leur mot à dire sur le déroulement de notre programme. À certains moments, un bon feu de cheminée serait de rigueur, à d’autres, on aimerait dormir dans le réfrigérateur, pour avoir « juste un peu d’air frais »

Alors on jongle, entre les espoirs, les attentes, les projets, les habitudes de toute la famille, les bagages, les plans, les piques-niques, les « de quoi s’occuper en chemin » et les « je m’ennuie » réguliers qui nous rappellent que « non, vraiment, les vacances en tant que maman, ce n’est pas de tout repos »

Et puis, on négocie, on décide de qui fait quoi et où. 

On fait des compromis, on en fait même parfois en notre faveur. Et on se permet de dire « non, je n’ai pas envie, allez-y sans moi ». 

Pour profiter d’une petite pause dont on a bien besoin. 

Nos corps le savent et ils nous le disent bien haut et fort, encore plus clairement avec chaque année qui passe : « Tes ressources d’énergie ne sont pas illimitées. Tu arrives au bout de tes batteries. Tu t’assèches et tu as besoin d’une pause, de te ressourcer, de laisser ta réserve se remplir à nouveau »

Oui, mais… C’est facile à dire mais en réalité, pouvoir faire de vraies bonnes pauses est parfois bien loin de nos réalités quotidiennes. Si les mamans ne se les créent pas, il n’y a pas de pauses pour elles et encore moins pour les aidantes. Il y a une liste de choses à faire, longue à nous donner des frissons. 

Cette to-do liste monstrueuse danse langoureusement avec celle des attentes que nous avons envers nous-même. Un amas d’idées, de choses que je voudrais encore vite faire, de mes idéaux de maman qui veut le mieux pour ses enfants, d’aidante qui donnerait tout pour aider l’autre, celui dont elle prend soin.

Les injonctions sont innombrables. Il faut : 

  • stimuler assez tout en aidant à trouver le calme,
  • laisser la personne faire des choix tout en lui offrant le meilleur pour elle,
  • la garder à l’œil tout en la laissant respirer,
  • remarquer l’émergence de tout nouveau symptôme,
  • surveiller de près son alimentation, son sommeil, son humeur,
  • ne rater aucune occasion de la rendre plus indépendante,
  • avoir la force d’être là, de rester calme, de respirer la confiance, la détermination et l’amour inconditionnel ! 

Quelle pression sur les épaules des aidantes, qui ne sont en rien des super héroïnes mais bien plutôt des êtres humains complètement normaux !

Alors, évidemment, quand on rajoute à cette liste le point « faire une pause, profiter de l’été bien mérité, se reposer » et bien ça cale, ça bloque. Ça vient comme un grain de sable qui se glisse dans l’engrenage et nous pensons juste : « Facile à dire les gars ! »

Parce que même si la volonté de se reposer est bien là, dans la pratique, c’est autre chose. Quand on arrive enfin à essayer de faire une pause, dans nos têtes, les voix se déchaînent. Parce que quand on s’est enfin allongée au soleil pour se nourrir des odeurs, de la chaleur, d’un moment calme, nos tempêtes internes ne sont plus cachées par notre activisme, nos débats personnels s’intensifient.

Complètement débordées par la situation, certaines aidantes peuvent en arriver à renoncer même à l’idée de pouvoir faire des pauses, à ne plus espérer qu’un jour cela ira mieux. En effet, nous sommes parfois dans un tourbillon de problèmes tellement grands qu’on en oublie que cela puisse s’améliorer un jour… On boit la tasse dès qu’on sort la tête de l’eau et on n’a même plus la force de chercher à changer quoi que ce soit. On devient aveugle aux possibilités de trouver de l’aide, de se reposer. On se bat en essayant de survivre sans penser, travailler sans s’écouter, surtout ne pas s’arrêter, on risquerait de tout planter, de craquer totalement. 

Si c’est le cas pour toi,

Le besoin de repos et de prendre un peu de distance avec la situation est encore plus essentiel. Tu me répondras peut-être : « Je ne vais pas aller me reposer si la personne que j’aime tant va mal, est en fin de vie, je me reposerai après ». Je comprends ton inquiétude, ton besoin d’être présente, de rester active. Mais parfois, les autres ont aussi besoin qu’on reprenne notre souffle, qu’on retrouve des ressources. Dans le burn out, ce qui se passe c’est qu’on est comme une terre brûlée à l’intérieur : rien ne peut pousser tant que la terre n’a pas récupéré. Quand on est trop fatiguée, on perd notre capacité d’empathie envers les autres, c’est ce qui s’appelle l’usure émotionnelle. En nous se développe un énorme vide, c’est comme si l’amour disparaissait, le feu à tout emporté : la tendresse, le rire, les idées, la créativité. Et la personne qu’on aide en vient à nous énerver, on n’en peut plus d’être confronté à cette peine, on ne la supporte plus. Sais-tu ce qui risque d’arriver ? Eh oui, malheureusement, des gestes brusques, peut-être même agressifs.

Ton système n’en peut plus, il n’a plus rien à donner. 

Alors, là, tu vois, c’est le moment de crier « à l’aide », pour toi et pour ta famille. Rien ne changera dans une situation où il n’y pas de forces disponibles, pas d’idées, pas de patience, pas de réaction calme et presque plus d’amour à donner à la personne aidée. C’est comme vivre sur le bord d’un volcan en activité, en craignant à tout instant qu’il ne se mette à exploser. Si tu te trouves dans cette situation, vidée, incapable de penser, alors ce dont tu as besoin en tout premier, c’est de te ressourcer, de te changer les idées, de te reposer : un peu, beaucoup, plus encore. Tu as besoin de récupérer. Et cela prend du temps. Cherche de l’aide jusqu’à en trouver, appelle au secours auprès des associations, des groupes de gens qui connaissent l’intérieur de ta situation. Appelle les centres de répit, frappe à toutes les portes qui pourraient te donner du soutien et ose attraper les mains qui se tendent : c’est la seule manière de retrouver ton souffle. Fais-le pour toi et pour toute ta famille, pour ton aidé. Il a besoin de toi, oui, mais de toi avec des ressources. Je sais que nos vies nous donnent parfois l’impression que rien ne changera, mais c’est un mensonge. Parfois, un petit geste posé tous les jours, 5 minutes, 15 minutes, à faire une balade seule, à dessiner, à chanter, à coudre, peut changer tout le cours d’une vie sur le long terme.

Et en pratique, comment faire pour profiter de nos pauses ?

Car, même si nos têtes et nos corps s’en languissent, il est une petite voix au fond de nous qui prend la parole quand le silence s’installe. Quand on a enfin mis pause à notre programme de maman et d’aidante, la voix sournoise de la culpabilité, du besoin de tout contrôler et de l’inquiétude, s’impose. La voix d’un manager super puissant en nous, limite dictateur qui murmure, crie, répète sans arrêt : 

« Si tu t’arrêtes, c’est fini, si tu t’assieds, tu n’auras plus la force de te relever, si tu ne fais rien, tout le monde en pâtira, vous prendrez du retard, vous perdrez cette bataille, vous le regretterez plus tard. »

Cette voix interne crache dans nos têtes des sempiternelles reproches, ne s’arrêtant ni à ce jour-là, ni à cette pause-là, mais critiquant notre vie entière : « Tu ne fais jamais assez, quelle fainéante, allez, c’est ta responsabilité, occupe-toi bien de tout, n’écoute pas ton corps, il n’a pas le choix, tu es forte, vas-y, il faut, on a besoin de toi, ne ralentis pas sinon tu tombes, et si tu trébuches, tout s’effondre. »

Ce dictateur compte les heures, les progrès, les efforts.

Il presse, il pousse, à bout, vraiment à bout, jusqu’aux limites et bien plus loin, bien trop loin. Bien trop près de la falaise du burn-out, de la crise de nerfs, de la maladie. Parce que nos corps tiendront le coup un temps et puis ils payeront cash le travail qu’ils auront livrés jour et nuit trop longtemps. 

« À bas les dictateurs internes, les managers impitoyables, leur voix et leurs exigences ! » Vraiment ? Est-ce cela que nous devons faire ? Punir ces voix, les extraire de nos têtes et nous en débarrasser ? Eh bien non, ce n’est pas ça, la solution. Ces voix essayent de nous aider (très mal, mais elles essayent). Elles font de leur mieux, pour nous permettre de garder la tête hors de l’eau, pour nous donner un semblant de contrôle dans nos vies. Elles essayent de nous sauver, elles nous veulent du bien mais s’y prennent bien mal. 

Je nous invite à tenter une autre approche.

Et si nous disions ceci à notre manager interne ?

« Merci à toi, merci à toi qui ne ménages jamais tes efforts pour essayer de m’aider à gérer ma vie, à jongler avec tout, qui me forces à me lever le matin. Merci de faire de ton mieux. Je sais que tu as peur, et que tu crains que si je lâche un peu la pression, si je me repose, si j’ose mettre d’autres priorités pour les mois de l’été, la situation empire, on risque de passer à côté d’occasions hypers importantes de progresser. 

Mais tu sais, pour être efficace sur le long terme, j’ai aussi besoin de me reposer. C’est une bonne chose. Tu peux me féliciter quand j’arrive à me détendre pendant une heure ou deux. C’est une bonne nouvelle. Je reprends des forces, je me laisse respirer, je laisse le reste de la famille respirer. De plus, tu oublies combien de choses ne sont pas dans nos mains. Certains processus prennent du temps, peu importe combien on essaye de l’accélérer. Un proverbe africain dit que l’herbe ne pousse pas plus vite quand on tire dessus.

C’est tellement vrai, parfois, il faut accepter que ne rien faire, ne pas aider, ne pas se précipiter, ne pas tout gérer, c’est une chance immense pour que quelque chose de nouveau émerge. Alors, j’ai bien compris que depuis des années, tu t’efforces de tenir le cap. Tu es sûrement très fatigué de tout ce travail. Ce n’est pas facile de porter toute cette responsabilité sur tes épaules, mais tu sais, je ne suis plus une enfant. Je suis devenue adulte, je suis une maman, j’ai vécu beaucoup de choses, laisse-moi un peu te décharger de ce poids qui t’écrase, va jouer, dessiner, observer les nuages qui passent. Moi, je vais reprendre des forces, faire de bonnes pauses et pour autant, tu verras, tout se passera bien. Notre petit monde ne s’effondrera pas. Je ferai attention : aux autres et à moi ». 

Faire des pauses, se reposer, ne pas courir après l’intervention thérapeutique, ni l’éducatif à tout moment, à n’importe quel prix est un acte courageux, un acte de résistance, un acte que nous pouvons poser ! Une attitude fabuleuse de confiance et de gratitude, de lâcher-prise et de partage, un cadeau que l’on se fait à soi et à nos proches.

Chère Fabuleuse,

osons la pause cet été ! Une pause à nos combats, un été bien mérité. C’est tout le bien que je te souhaite.



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Cet article a été écrit par :
Rebecca Dernelle-Fischer

Psychologue d’origine belge, Rebecca Dernelle-Fischer est installée en Allemagne avec son mari et ses trois filles. Après avoir accompagné de nombreuses personnes handicapées, Rebecca est aujourd’hui la maman adoptive de Pia, une petite fille porteuse de trisomie 21.
https://dernelle-fischer.de/

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